Tous avaient les yeux émerveillés par l'image de cet homme à la barbe grisonnante et au visage de patriarche. L'enfant d'Ath Ouacifs (Tizi Ouzou) a forgé sa vie durant mille et un poèmes de haute volée pour des chanteurs d'expression kabyle, à l'image de Matoub Lounès, Nouara, Takfarinas, Medjahed Hamid... Et clou de sa création artistique, le légendaire texte Avava Inouva, admirablement interprété par Idir en 1973. Barde talentueux ; sans doute ! Mais quel secret ? « Ma mère, lorsqu'elle avait mal, c'est avec le chant qu'elle l'exprimait. Et je dédie cet hommage à ma mère qui m'a appris la valeur et la richesse du verbe », confesse-t-il. Propos confirmés par sa sœur Malha Benbrahim, chercheuse sur la poésie kabyle de résistance durant les années 1940. « Nous étions élevés avec et dans la poésie. Notre mère nous sermonnait même avec des mots ciselés », glisse-t-elle. Evoquant son riche parcours artistique ou son passage à la Chaîne II comme animateur d'émissions radio, Ben Mohamed n'a pas manqué de dire tout le mal avec lequel était considérée la langue berbère durant les années 1970, du temps de l'autocrate Boumediène : « Nous avions organisé, Aït Menguellat et moi, le premier gala en kabyle à Oran. Un type galonné s'est approché pour me dire que c'était interdit de chanter en kabyle (...) Je lui ai signifié que nous avions chanté à Alger sans grabuge. Une fois le tour de Lounis terminé, le même gars était resté ébahi devant l'harmonie suscitée entre le chanteur et son public. Je lui avais expliqué que Aït Menguellet chantait ce que le public ne pouvait exprimer. Je lui avais tout traduit. A la fin du spectacle, la même personne revient nous dire qu'il viendrait désormais assister aux spectacles des zwawas (Kabyles) », se souvient-il. Attentif et admirateur, le public a été gracieusement gratifié par la lecture poignante de ses plus beaux chefs-d'œuvre. Ses amis et autres compagnons, dont Lounis Aït Menguellet, Slimane Hachi, Hagira Oubachir, Slimane Chabi, Malika Bouguermouh et d'autres encore, étaient là. Tous avaient le même mot : reconnaissance et admiration. De quoi remplir le cœur d'un Ben Mohamed, éploré par la récente disparition de sa « yemma », la prunelle de ses yeux. Poète engagé depuis sa tendre jeunesse, Ben Mohamed, verbe pourfendeur en bandoulière, a été de toutes les luttes pour la consécration de la langue berbère. C'est la raison pour laquelle il était souvent tenu à distance par les officiels. « Les organisateurs de spectacles avaient une peur bleue de Ben Mohamed. Ils ne savaient rien de ce qu'il allait déclamer. Une fois, on m'a dit qu'il ne devait pas monter sur scène. J'ai refusé par solidarité de me produire », raconte son ami Aït Menguellat. Vieux routard, Ben Mohamed a été également le compagnon de grands noms de la littéraire algérienne comme Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Mohamed Issiakhem et Tahar Djaout. A 65 ans, l'auteur du magnifique poème Ayemma (ma mère), écrit en février 1973, garde toujours le cœur d'un enfant. Il n'aime pas le dernier mot et ça ne sera pas le dernier mot. Un poète peut-il se taire tonton « Ben » ?