En s'intéressant au rôle du groupe Shell dans l'élimination en 1995 d'un militant qui contestait les conditions d'exploitation de l'or noir dans le delta du Niger, c'est une des pages sombres qui va s'ouvrir. Le géant américain est accusé, devant une cour fédérale, de complicité avec le régime militaire du président Sani Abacha, alors au pouvoir au Nigeria, dans la pendaison au terme d'une parodie de procès de l'écrivain et militant écologiste Ken Saro-Wiwa. Le très populaire fondateur du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Mosop), partisan de la non-violence, avait réussi à interrompre les activités de Shell dans le sud du pays. Il accusait le groupe de polluer l'environnement et de justifier la présence de militaires dans la région, sans pour autant partager ses gains avec la population locale. Jugé avec huit autres militants, il avait été condamné à mort au terme d'une procédure hautement controversée, puis exécuté à Port-Harcourt. Shell, qui a constamment nié toute implication dans cette affaire, est accusé d'avoir participé à son élimination. Le groupe répondra aussi de complicité dans la torture, la détention et l'exil du frère de l'activiste, Owens Wiwa. L'audience à New York concernera un dossier vieux de 15 ans, mais dont les résonances dans l'actualité nigériane sont évidentes. Aux revendications du Mosop fait écho aujourd'hui la guérilla du Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (Mend), la principale rébellion du pays qui, depuis 2006, harcèle les groupes pétroliers, enlève des employés du secteur et s'attaque aux infrastructures industrielles de la région. A New York, le fils de l'écrivain, Ken Saro-Wiwa junior, estime que le procès est une opportunité unique pour rendre justice à son père. Dans un entretien à l'hebdomadaire britannique The Observer, il affirmait, dimanche, que Shell avait été directement mis en accusation par ce dernier, lors de son procès. L'audience civile est l'aboutissement d'une plainte déposée par des victimes du régime Abacha, dont Saro-Wiwa junior. Les militants ont réussi à faire resurgir cette face sombre du passé du groupe en vertu d'une vieille loi qui permet de poursuivre une entreprise américaine pour des crimes présumés commis à l'étranger. Le cas dépasse donc largement le seul dossier Shell au Nigeria. Il pourrait même faire jurisprudence et inquiéter nombre de groupes américains qui ont fait fortune dans l'ombre de régimes dictatoriaux. En avril, une cour américaine a ainsi considéré que des grands groupes, dont General Motors et IBM, pourraient être poursuivis par des victimes sud-africaines de l'apartheid pour collusion présumée avec le régime ségrégationniste blanc. Un destin similaire pourrait aussi être réservé à la société privée de sécurité Blackwater, que des Irakiens veulent poursuivre pour des violences commises en Irak depuis le début de l'intervention américaine.