Le thème n'était pas des plus simples. Il est même l'un des plus ardus pour les hommes de religion : le pardon. Comment pardonner l'acte barbare de la tuerie de sept moines, dont le Coran dit qu'« ils ne s'enflent pas d'orgueil » ? Deux invités de marque y ont répondu de la plus belle et de la plus intense des façons qui soit, avec beaucoup de pudeur et une dimension spirituelle sincère. La Sœur Colette Hamza (son père est d'origine algérienne, d'où son nom), déléguée du diocèse de Marseille pour les relations avec l'Islam, et Azzedine Gaci, imam, président du conseil régional Rhône-Alpes du culte musulman (CRCM), étaient les témoins du jour. Dans le public, venu nombreux désormais, et d'année en année, de tous les coins de France, étaient présents le pasteur Hugh Johnson, ancien président de l'Eglise protestante d'Algérie, expulsé du pays en 2008, et un dignitaire bouddhiste. Colette Hamza refuse de dire que le pardon est une chose facile. Pour illustrer cette difficulté, elle relate brièvement l'assassinat, pendant les années noires en Algérie, de son cousin Allel. « Le pardon va à contresens de nos blessures », dit-elle, parlant d'une catégorie intellectuelle, « difficile et impossible », en fait trop humaine. Elle cite, en outre, « les conflits violents, les viols, les bombardements aveugles de Ghaza ». Face à cet insupportable, « l'humilité du pardon » n'est que « dans la démesure du don de Dieu » car sa réalité n'est pas d'un ordre terre à terre, mais spirituel. Après avoir « fait résonner en nous les mots de la colère », il faut ainsi « entrer dans le pardon avec la force des mains nues » car si ce pardon est « loin de notre condition humaine, c'est qu'il nous vient d'ailleurs, de ce Dieu qui pardonne, un Dieu patient ». Et c'est donc au nom du « Dieu de tendresse et de pitié » que le pardon est nécessaire, pour « refuser la spirale du mal, être vainqueur du mal ». Et de s'appuyer sur la phrase de Christian de Chergé, le prieur assassiné de Tibhirine : « Le monde a besoin de fontaines de miséricorde. » Il s'agit entre chrétiens et musulmans, et vice versa, de se nourrir de cette « miséricorde mutuelle » qui permet « l'exode vers l'autre » qui est une « terre promise ». Azzedine Gaci, accompagné d'une forte délégation musulmane, continue dans le même sens, lui qui est un peu le « poil à gratter » du Conseil français du culte musulman (CFCM) dans ce domaine sensible de la relation islamo-chrétienne. Le président du CRCM avait organisé, en novembre 2006, un remarqué voyage de musulmans et de chrétiens à Tibhirine, parmi lesquels l'archevêque de Lyon, Philippe Barbarin. Il en est revenu touché. « J'ai appris à revisiter les textes fondateurs de l'Islam au contact des chrétiens, j'ai pris encore plus conscience que la diversité religieuse est une volonté de Dieu », explique-t-il, citant un verset du Coran : « Craignez de rompre vos liens de parenté », argumentant que ces liens sont ceux qui lient tous les humains : « Vous ne croirez que lorsque vous serez miséricordieux ! » Azzedine Gaci explique, à la lumière du Coran, que la « diversité est un défi, une épreuve ». Le texte sacré indique : « Si Dieu avait voulu, il aurait fait de nous une seule communauté. » Pour l'imam, « la diversité fait qu'il y a un équilibre sur terre ». Mais ce n'est pas pour autant une marque de facilité, car si chacun s'arc-boute sur sa foi inextinguible, comment dialoguer ? « Où s'arrête sa foi et où commence celle de l'autre ? » « Humilité, écoute et respect de la complexité. » C'est avec ces éléments qu'on peut « pardonner d'un beau pardon ». Une bien belle expression.