Ce qui se passe en Palestine met une fois encore le doigt sur la forfaiture du monde arabe, gouvernants et société civile inclus. La forfaiture ne concerne pas seulement les Arabes, hors Palestine : les Palestiniens eux-mêmes sont inclus dans cet immense gâchis qui a commencé en 1948, avec la création (par l'Organisation des Nations unies, il ne faut jamais l'oublier) de l'Etat sioniste, sur la base d'un partage, somme toute beaucoup plus avantageux que celui, ramené à la portion congrue, négocié par les Palestiniens eux-mêmes, sous la houlette américaine, après quelques guerres désastreuses. Israël coupable de crimes de guerre et de crime contre l'humanité Notre propos n'est pas ici d'innocenter l'Etat israélien, coupable devant le monde et surtout devant l'histoire de crimes de guerre (et même de crime contre l'humanité puisque que c'est un véritable génocide, qui a commencé avec l'embargo inique instauré contre le peuple de Ghaza et qui se poursuit avec l'agression militaire barbare actuelle, qui est en train de se perpétrer au grand jour, sans que personne parmi les grands dirigeants du monde «civilisé» n'ose élever la voix de peur de se voir traiter d'antisémite et surtout de voir «la puissante main du lobby juif» les déstabiliser. Le gouvernement israélien, avec son arrogance habituelle, (sûr qu'il est de l'impunité et surtout de l'immobilisme craintif des pays arabes qui ne sont pas près de renouveler le coup de l'embargo pétrolier de l'après-guerre du Kippour de 1973) avait préparé l'opinion mondiale à cette agression. Il était facile pour lui de profiter d'une provocation, somme toute dérisoire, du mouvement palestinien Hamas qui n'a pas voulu renouveler la trêve de six mois qu'il avait auparavant négociée avec le gouvernement de Ehud Olmert et qui prenait opportunément fin et avait repris et «intensifié» ses tirs aveugles de roquettes contre le sud d'Israël. Rappelons que les tirs de roquettes du Hamas n'avaient fait aucun mort parmi les habitants des villages du Sud israélien et que les quelques démolitions de parois de maisons, très vite transformées en «destructions massives» par les services de communication du gouvernement israélien, n'ont aucune mesure avec des faits de guerre «sérieux». On voit bien que les Israéliens avaient les moyens techniques de minimiser les effets des tirs des organisations palestiniennes «va-t-en guerre» du Hamas et du Djihad islamique. En fait, le gouvernement israélien a profité du discours guerrier du Hamas et des effets néfastes de ses tirs de roquettes, transformées par la propagande sioniste en véritables armes de destruction massive, pour faire la démonstration – facile – de son intransigeance et de sa «capacité à protéger son peuple contre un ennemi qui a juré de détruire Israël». Israël se trouve à quelques mois des élections législatives importantes qui devront porter au pouvoir soit Tzipi Livni, l'actuelle ministre des Affaires étrangères et patronne du nouveau parti Kadima ou Ehud Barak, le ministre de la Défense et patron du Parti travailliste (ou une nouvelle coalition entre les deux partis, si aucun d'eux ne l'emporte clairement aux élections). Chacun des deux leaders tient à se présenter devant les électeurs en adversaire crédible du candidat va-t-en-guerre de la droite, Benyamin Netanyahou, partisan de la destruction pure et simple du Hamas pour amener les Palestiniens à céder sur toute la ligne et renoncer à toutes leurs exigences. Chacun des deux partenaires au gouvernement met en avant sa «forte personnalité guerrière», seule capable de défendre le pauvre peuple israélien de l'incommensurable danger représenté par Hamas et les Palestiniens. Or, aucun des deux n'a de véritable passé «guerrier», à l'image d'un Sharon ou, avant lui, d'un Rabin, à l'exception de la désastreuse campagne contre le Hezbollah libanais. C'est l'occasion pour chacun d'eux, surtout Barak qui fait joujou avec Tsahal qu'il commande en qualité de ministre de la Défense, de se faire un curriculum vitae qui leur servira de rampe de lancement pour la prise de pouvoir aux prochaines élections législatives. La vie de centaines de Palestiniens (et de quelques Israéliens sacrifiés sur l'autel des intérêts politiques) importe peu. La responsabilité des régimes arabes Ceci posé (la responsabilité pleine et entière du gouvernement israélien, devant l'innommable qui est en train de se dérouler devant une opinion publique internationale blasée), la responsabilité des pays arabes, proches ou loin du théâtre de la guerre, est elle-même complètement engagée. Elle est historiquement engagée depuis le moment de la création de l'Etat hébreu en 1948 (et oui, Israël vient de fêter ses 60 ans d'existence !), où Palestiniens et Arabes n'ont pas su bloquer le mouvement ni le transformer en faveur de la création d'un Etat palestinien qui, c'est devenu aujourd'hui une évidence, aurait pu être viable. C'était compter sans les calculs des différents régimes arabes de l'époque, qui restaient sur une position purement idéologique : pas d'Etat israélien sur un territoire arabe et surtout pas sur le territoire palestinien «sacré». La guerre menée alors et toutes celles qui ont suivi n'ont eu pour résultat que d'installer plus et mieux Israël sur ce territoire palestinien «sacré» (plus quelques autres territoires qu'Israël a restitués depuis, à l'exception du Golan syrien). La seule voix raisonnable qui s'était élevée à contre-courant de la pensée dominante, pour exhorter les pays arabes à plus de réalisme et à accepter de négocier avec «l'Etat sioniste» qui est devenu une réalité incontournable, a été traitée de tous les noms d'oiseau. La position courageuse de Habib Bourguiba, le président tunisien d'alors, avait été qualifiée de traîtrise. Il avait même été mis pendant longtemps au ban du monde arabe. On sait aujourd'hui ce qu'il en est : l'Etat palestinien créé par une résolution des Nations unies en même temps que l'Etat juif, était fiable, avait une continuité territoriale et avait une superficie trois fois plus importante qu'Israël. Les Palestiniens ont depuis vu leur «Etat» se transformer au gré des guerres perdues (non pas par eux, mais par les Etats arabes !) en portion congrue. Ils ne peuvent plus espérer aujourd'hui, soixante ans après la création ratée de leur Etat, qu'un territoire qui a perdu la plus grande partie de sa superficie et aussi sa continuité territoriale. L'Etat que peuvent espérer aujourd'hui les Palestiniens a perdu de sa viabilité initiale. Il est devenu totalement dépendant du bon vouloir de l'Etat d'Israël pour survivre et exister en tant qu'Etat indépendant. A qui la faute ? En premier lieu aux Arabes, peuples et Etats, qui ont fait de la disparition de l'Etat hébreu, la mère des batailles, mais qui ne se sont jamais donné les moyens de leur politique. La seule fois où les Arabes ont quelque peu fait avancer leur «cause sacrée», c'était en 1973/1974 quand ils avaient décidé, tous unis, d'utiliser la seule «arme de destruction massive» qu'il possédait : le pétrole. Mais depuis, chacun s'en est retourné à ses péchés mignons : la division et la guerre fratricide. La Palestine et les Palestiniens sont redevenus ce qu'ils ont toujours été : un élément de politique intérieure pour certains régimes arabes, afin de se maintenir au pouvoir (la cause palestinienne fait aujourd'hui encore recette et permet aux gouvernants arabes de faire bonne figure devant leurs peuples) ; un objet de pression internationale pour d'autres qui naviguent entre soutien formel d'une diaspora palestinienne installée (dans des camps de réfugiés !) sur leurs territoires (Jordanie, Liban et Syrie) qu'ils essaient de manipuler et d'utiliser comme monnaie d'échange et massacres, quand ils deviennent gênants ou présentent un risque pour les pouvoirs en place (Septembre noir en Jordanie, Sabra et Chatila au Liban, etc.). La disparition précoce des deux chefs d'Etat arabes, éléments moteurs de l'embargo pétrolier, Fayçal d'Arabie Saoudite et Boumediène d'Algérie, a très fortement accentué la détérioration permanente de la cause palestinienne. Aucun Etat arabe ne tient réellement à voir la cause palestinienne aboutir à sa solution finale : la création d'un Etat fiable et la fin d'une situation de belligérance permanente avec l'Etat sioniste. Aucun Etat arabe ne mettra les moyens qu'il faut pour réellement aider au succès de la cause palestinienne. Il faut noter qu'il en est de même du côté d'Israël qui ne peut survivre sans cet Etat de belligérance qui lui permet d'être en situation de guerre permanente et qui lui garantit les très forts subsides américains sans lesquels Israël ne peut survivre longtemps. Cela, les Palestiniens eux-mêmes semblent l'avoir compris : ils n'attendent rien des gouvernements arabes, sinon quelques subsides pour leur permettre de survivre. Et même cela les Arabes ne les leur attribuent qu'au compte-gouttes. Il serait intéressant de voir quels sont les pays arabes, parmi les plus riches, qui contribuent au budget de l'Autorité palestinienne, et pour combien ! Les luttes intestines interpalestiniennes Mais les Palestiniens eux-mêmes sont victimes de la politique de division arabe : à aucun moment, même sous la main de fer du défunt Yasser Arafat, ils n'ont réussi à s'unir réellement pour atteindre un même objectif. Mais si Arafat avait su organiser un semblant de front commun palestinien (à l'intérieur de l'OLP d'une part et avec les mouvements islamistes du Hamas et de Djihad islamique d'autre part), le président actuel de l'Autorité palestinienne a fait montre d'une faiblesse telle, que même l'apparence d'unité des rangs palestiniens n'a pas pu tenir longtemps. Chacun a repris ses billes au profit d'intérêts idéologiques particuliers et d'Etats qui tirent les ficelles : l'Iran et la Syrie pour le Hamas, l'Egypte et l'Arabie Saoudite pour le Fatah. Résultat, une guerre civile qui a fait des milliers de morts et de blessés et, surtout, une partition d'un «Etat» en deux entités ennemies. L'agression actuelle du territoire de Ghaza par les Israéliens a aussi pour origine les luttes intestines entre Hamas et Fatah pour la prise de pouvoir dans les territoires. Les élections législatives annoncées pour l'année 2009 sont en partie responsables de la «provocation» du mouvement Hamas, vis-à-vis d'Israël. Une manière de se positionner en tant que seul mouvement véritablement nationaliste, défenseur des intérêts bien compris des droits du peuple palestinien à un Etat viable. Et bien sûr une manière de damer le pion au Fatah et gagner les élections futures, non seulement à Ghaza, mais aussi dans l'ensemble des Territoires palestiniens. Et les Arabes dans tout cela ? Ils sont restés égaux à eux-mêmes : des réactions verbales très fortes qui n'ont eu d'égal que leur immobilisme désespérant pour leurs propres peuples. Qu'on en juge ! Les pays du champ de bataille sont restés inertes et parfois très antipalestiniens à l'image de l'Egypte qui ne veut pas fâcher Israël en ouvrant le passage de Rafah pour soulager les souffrances des populations de Ghaza (lesquelles, il est vrai, seront empêchées par les troupes du Hamas de quitter le territoire pour continuer de leur servir de boucliers humains contre l'armée israélienne). Les Syriens font profil bas. Les Libanais de même, même si le Hezbollah s'anime et menace de reprendre la guerre contre Israël. La Jordanie, qui est tenue par un accord signé avec Israël, se tient tranquille, même si elle tolère des manifestations de soutien au Hamas sur son territoire (pas de quoi mécontenter son puissant voisin !). Les pays plus lointains n'agissent pas non plus. Des logorrhées verbales condamnant fortement les agresseurs sionistes, des manifestations organisées ou tolérées, des appels à des réunions des instances internationales… et c'est tout. Il y a bien quelques pays qui, à l'image de l'Algérie, organisent des ponts aériens entre eux et l'Egypte, pour permettre à ce dernier pays d'ouvrir le passage de Rafah (dans un seul sens évidemment !) et transmettre une aide humanitaire qui permettra au peuple ghazaoui de tenir encore quelque temps sous les bombes. Et les populations arabes, leurs sociétés civiles, qu'attendent-elles pour réagir et obliger leurs gouvernements respectifs à agir de manière réellement concrète ? Aucune population arabe, sous quelque régime que ce soit, n'est en mesure de s'exprimer librement. Tous les régimes arabes savent pertinemment que le jour où leurs populations investiront librement la rue pour manifester leur mécontentement, leurs jours en tant que gouvernants seront comptés. Ceci expliquant cela ! L'auteur est politologue