2°) Production pétrolière et gestion optimum des réserves Par l'abolition salutaire de la clause instaurant le régime de concession dans la loi d'avril 2005, la dénationalisation des hydrocarbures a ainsi été évitée ; la loi de juillet 2006 désormais en vigueur a restauré la Sonatrach dans son droit patrimonial sur les ressources en hydrocarbures avec une participation majoritaire dans toute nouvelle accumulation d'hydrocarbures mise en évidence en partenariat. Cela étant, ce cadre juridique redevenu favorable à l'opérateur pétrolier public, n'est évidemment pas une condition suffisante en soi qui garantisse une saine exploitation des hydrocarbures ; et les développements qui suivent vont montrer qu'il y a lieu de s'inquiéter sur cette question fondamentale, car les précautions impératives à une exploitation rationnelle des gisements ne semblent pas être la première préoccupation des sociétés pétrolières. Pour l'illustrer, il faut d'abord préciser ce qu'on entend par «exploitation saine ou optimum des ressources d'hydrocarbures». Le paramètre qui est le plus couramment usité est le taux de récupération des réserves prouvées Tr défini comme étant le rapport : Tr=Pc/Ri où Pc désigne la production cumulée de pétrole à un instant t, Ri étant le volume initial des réserves prouvées récupérables en place, qui peut faire l'objet de diverses évaluations et réévaluations, principalement dans les premières années de mise en production ; mais qu'on considère généralement relativement stable ou peu variable à partir d'une certaine époque. Il s'agit de voir comment évolue dans le temps le taux Tr, et déterminer sa valeur ultime Tu lorsque la production de pétrole est au stade final lorsque tous les procédés de récupération (primaire et assistée) ont atteint leur limite. A titre d'illustration, ce taux Tr est de l'ordre de 25 à 30%, avec l'espoir de parvenir à 40 – 5O% dans un futur plus ou moins lointain. Pour le gaz, il est généralement supérieur à 75% et peut avoisiner les 90%. Ce taux de récupération Tr, pour un gisement et un profil de production donnés, est primordialement fonction d'un ratio appelé GOR ou «gas oil ratio» qui est le rapport entre le volume de gaz et le volume de pétrole produits et mesurés en surface. Pour comprendre l'importance accordée à ce ratio, il faut rappeler que dans le réservoir, le pétrole contient du gaz dissous, et que ce gaz demeure dissous tant que sa pression de bulle reste inférieure à la pression du réservoir. Pendant le cycle de production, la pression du réservoir diminue ; et dès qu'elle devient inférieure à la pression de bulle, le gaz ne reste plus à l'état dissous, s'échappe et est produit en surface en même temps que le pétrole. C'est ce qu'on appelle couramment «le gaz associé», nommé également «gaz fatal», expression parfaitement justifiée au plan technique, sans aucune connotation métaphysique ou politique, signifiant que la présence de ce gaz est «fatalement» liée à celle du pétrole, et que, si l'on veut éviter de produire ce gaz, il ne faut pas produire le pétrole. Un volume donné Vf de pétrole brut avec son gaz dissous dans le gisement devient en surface Vs sans gaz dissous avec évidemment la relation : Vs «Vf (Vs inférieur à Vf). Le volume Vf s'est contracté (c'est le phénomène du «shrinkage» dans la terminologie anglo-saxonne) ; et le rapport Vf/Vs est appelé facteur volumétrique de formation (FVF). Il est clair que Vf/Vs est supérieur à 1. Concrétement, cela signifie que lorsque SH produit 1 million de barils par jour (Vs), le soutirage au niveau des gisements est bien plus grand (Vf). Lorsque le débit de l'huile dans le réservoir s'accélère (augmentation de Vf), la production dans les bacs de stockage Vs va augmenter aussi mais dans une proportion inférieure, car l'accroissement du volume de gaz libre qui en découle dans le gisement va influer sur le facteur volumétrique de formation qui va croître, de même que le GOR mesuré en surface. Optimiser la conservation du gisement revient donc, pour un profil de production Vs fixé, à soutirer de ce gisement un volume Vf (nécessairement supérieur à Vs) tels que l'écart (Vf-Vs) soit le plus faible possible, ou que, autrement dit, le facteur volumétrique de formation Vf/Vs soit le plus proche de 1 (tout en lui étant supérieur). Ainsi, dès que le GOR augmente, le FVF suit la même évolution, et le taux de production diminue. C'est la raison pour laquelle le contrôle du paramètre GOR est une règle de l'art primordiale, bien connue du personnel de réservoir engineering et de production, assurant que les opérations d'exploitation sont exécutées dans le respect de la conservation des champs pétroliers, dont le degré de déplétion doit être compatible avec une récupération optimale des réserves en place. Ce souci de conservation peut ne pas être partagé par un opérateur pétrolier qui dispose d'une concession limitée dans le temps, et qui pourrait n'être intéressé que par les bénéfices qu'il peut engranger à court et moyen termes. S'il n'est pas soumis à un contrôle sévère et régulier émanant d'une autorité de tutelle publique sourcilleuse sur ses prérogatives, il peut, par un rythme d'extraction accéléré des réserves en place, engendrer des préjudices qui peuvent s'avérer irréversibles pour le gisement, notamment pour sa durée de vie et pour son taux de récupération ultime. Il va de soi que cette prescription de limitation du GOR doit s'appliquer à tous les opérateurs pétroliers, surtout et y compris au premier d'entre eux, la Sonatrach, qui devraient produire avec un GOR estimé à 200 m3 de gaz maximum par m3 d'huile produits. Or, les informations émanant des champs pétroliers font état d'un GOR largement supérieur à 500 m3 de gaz par m3 d'huile, record historique dans l'exploitation pétrolière en Algérie ! Un tel niveau de production de gaz va irrémédiablement hypothéquer la durée de vie des réserves et leur taux de récupération. Si la société nationale SH ne donne pas l'exemple en s'astreignant scrupuleusement au respect des normes d'exploitation, pourquoi l'exiger des compagnies étrangères «qui n'ont pas à être plus royalistes que le roi». Les procédures de suivi et de contrôle de l'exploitation des gisements d'hydrocarbures ont été mises au point dès l'année 1964 par la Direction de l'énergie et des carburants (DEC), sous tutelle du ministère de l'Energie. Ces procédures, auxquelles devaient se soumettre toutes les compagnies pétrolières, consistaient principalement à faire le suivi périodique des pressions de fond des puits producteurs (puits fermés et puits en débit), des pressions en tête de puits, des facteurs influant sur le taux de production tels que le GOR ; le WOR («water oil ratio» pour évaluer le volume d'eau du gisement produit en surface), le FVF (facteur volumétrique de formation) de l'effluent injecté (eau ou gaz) dans le cas d'opérations de maintien de pression. Des campagnes d'essais de production des puits devaient être périodiquement exécutées pour la détermination du potentiel des puits et pour la conservation des gisements. A titre d'exemple, la CREPS, opérateur du gisement de Zarzaïtine, était contrainte par la DEC à limiter le GOR du réservoir dévonien F4 à 200 m3/m3 et à injecter 35 000 à 40 000 m3 d'eau par jour pour le maintien de pression. Ces obligations de la DEC ont été peu ou prou respectées dans leur intégralité, avant d'être plus ou moins perdues de vue. On peut en conclure que le niveau actuel d'extraction de pétrole brut algérien, soit 1,5 million de bbl/jour, couplé à la production de gaz associé de 500 m3 par m3, aura des répercussions néfastes sur la durée de vie des réserves et sur leur taux de récupération. Ces répercussions seront encore plus alarmantes lorsque le profil de production sera porté à 2 millions de bbl/j (soit 100 millions de tonnes par an) avec les mêmes champs que ceux qui sont en cours d'exploitation. 3°) Plaidoyer pour une politique gazière différente de celle du pétrole Sonatrach affiche l'ambitieux objectif d'exporter 85 milliards de m3 de gaz par an. Mis à part le fait de répondre aux besoins de consommation de ses clients étrangers, quel intérêt commercial cela représente-t-il pour l'Algérie ? Quel patrimoine gazier sera légué aux générations futures ? Pour répondre à la première question, il faut se rappeler que la rente gazière est reconnue étant moins importante que la rente pétrolière, ceci depuis toujours, quelle que soit l'évolution relative du coût des deux sources d'énergie fossile ; la rente au sens économique du terme, étant la plus-value obtenue après déduction à partir du prix de vente, de l'ensemble des frais d'exploitation et des charges d'amortissement. En effet : 3.1) le prix de vente du pétrole brut était de 120 US$ le bbl (baril) à fin avril 2008 ; celui du gaz naturel, fin octobre 2008, est de 6,80 US$ le million de btu (british thermal unit)(3), étant admis que la répercussion de l'indexation du prix du gaz sur celui du brut se fait avec 6 mois de décalage. Rappelons par ailleurs, qu'en termes de pouvoir énergétique, 1 bbl de pétrole # 5,8 mil btu de gaz. 3.2) Si on analyse la structure du prix de revient des deux sources d'énergie, on peut admettre qu'en première approximation un certain nombre d'inputs sont du même ordre de grandeur : il en est ainsi du coût de la prospection et du forage (bien que les réservoirs de gaz et de pétrole soient sensiblement à la même profondeur, un puits de gaz nécessitera un programme de forage plus lourd, donc plus onéreux), du traitement sur champ, du transport jusqu'à la côte. Ce qui diffère dans le cas du GNL, c'est : – le prix des installations de liquéfaction au terminal départ dont on sait qu'elles sont très onéreuses : 3,9 milliards $ pour une capacité de 4,5 millions de tonnes de GNL (juillet 2008 pour la nouvelle usine d'Arzew). Pour un amortissement en 10 ans, cela représente un investissement de 1,64 $ le million de btu (il y a lieu de rappeler que 4,5 mil tonnes GNL = 6 milliards m3 gaz naturel et que 25,2 m3 gaz naturel = 1 mil btu). – L'autoconsommation requise par le process de liquéfaction, estimée dans les nouvelles unités à 12% (elle était largement supérieure dans les années 70) soit 0,12 million btu de gaz naturel pour produire 1 million btu de GNL. L'indexation du prix du gaz naturel sur celui du pétrole doit nécessairement tenir compte du pouvoir thermique de chacune des deux sources d'énergie, de la structure du prix de revient de chacune d'elle, dont notamment l'investissement de liquéfaction spécifique au gaz et de la déperdition du gaz de service dont le coût «corrélé», pour un baril de pétrole à 120$, est de : (120/5,8) x 12% = 2,4 $ le million de btu. 3.3) Compte tenu de ces considérations pour que le gaz naturel dans sa forme liquéfiée ait un niveau de rentabilité en corrélation avec celui du pétrole, il faudrait qu'il se commercialise à : (120/5,8) +1,64+2,4 = 24,7 $ par million de btu. Le prix réel du gaz naturel étant de 6,80$ par million de btu, on en conclut que, dans les conditions actuelles du marché, il n'est pas suffisamment rémunérateur et que sa rentabilité commerciale est, à fin octobre 2008, (24,7/6,8) = 3,6 fois moindre que celle du pétrole lorsque celui-ci était à 120 $ le bbl. Ce qui aurait d'ailleurs conduit la Sonatach à entamer des négociations avec ses clients pour améliorer le prix de vente du gaz de 1$ par million de btu(4). Notons également ce qu'a déclaré le Premier ministre de la Russie, le 23 décembre dernier à l'ouverture du Forum des pays exportateurs de gaz à Moscou : «l'époque du gaz bon marché touche à sa fin.»(5) Courant novembre 2008, le prix du pétrole avoisine 60 $, soit une chute de 50% par rapport à son niveau d'avril dernier (et 60% par rapport à son plus haut niveau à 150 $ atteint au cours de la 2e quinzaine de juillet, lequel devait tendre vers 200 $ le bbl fin 2008, prédisait-on !) Dans 6 mois, soit fin mai 2009, on pourra évaluer le prix «corrélé» du gaz, dont le prix réel sur le marché n'est pas soumis à d'aussi amples fluctuations que celui du pétrole brut. En cette fin d'année 2008, pour un baril de pétrole à 40 $ et un prix du gaz autour de 7 $ le million de btu, et sans tenir compte du décalage de 6 mois entre l'indexation des deux sources d'énergie, le prix «corrélé» du gaz, selon la même démarche que celle décrite précédemment, devrait être de 9,3 $ le million de btu, soit «seulement» un tiers de moins que le prix du marché. Il semble donc que la tendance baissière de ce dernier bénéficie au gaz naturel dont le «gap» de rémunération se rétrécit, le rendant ainsi plus attractif. 3.4) Cette comparaison entre le prix des deux sources d'énergie est l'illustration que la rente gazière est nettement plus réduite que la rente pétrolière, même si la conviction en est acquise depuis longtemps dans la corporation des pétroliers et des gaziers et au-delà. L'on pourrait rétorquer que cela n'est pas dramatique, pour peu que le prix du gaz soit suffisamment rémunérateur et assure au moins une rente positive. Or, les informations publiées par la Sonatrach ne font état que des recettes de vente, comme si le chiffre d'affaires était le seul paramètre pour apprécier la rentabilité d' une activité ! Quid des coûts d'exploitation et des charges d'amortissement ? Il est à espérer que la Sonatrach dispose d'un système d'informations de gestion fiable et d'une comptabilité analytique rigoureuse qui puisse permettre de mesurer la profitabilité de chaque activité en dressant le compte d'exploitation de chacune d'elle. D'où le plaidoyer pour une approche différenciée dans la stratégie à adopter pour les hydrocarbures gazeux par rapport aux hydrocarbures liquides, et l'abandon à terme des exportations de gaz et une production limitée à la satisfaction du marché intérieur. L'objectif visant à exporter 85 milliards de m3 de gaz devrait être révisé à la baisse, les engagements pris en ce sens vont «écrémer» les réserves en place et priver les générations futures d'un patrimoine sur lequel elles ont des droits inaliénables. (A suivre) Notes de renvoi (3) Revue hebdomadaire américaine Oil and Gas Journal du 27/10/08 (4) Le Quotidien d'Oran du 14/09/08 (5) El Watan du 24/12/08