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La tribu, el gos'sa et la république des trafiquants
Publié dans El Watan le 05 - 02 - 2009


Bir El Ater : De notre envoyé spécial
Des chefs contrebandiers ont accepté de faire le guide pour nous au cœur de ce monde impitoyable et complexe qui épouse la sociologie locale. Pour des raisons qu'on devine, leur véritable identité ne sera pas révélée. En cette journée ensoleillée de fin décembre, il y a foule au marché. Nous faisons un «pseudo lèche-vitrine» chez les épiciers pour confirmer tout ce qu'on dit sur la marchandise «made in Tunisia». Concentré de tomates, couscous et pâtes alimentaires de tous types, huile de table, sucre et «halwa» orientale… tous les marchands vous répondent sans la moindre gêne que ces produits qui dominent l'offre et la demande locale proviennent de Tunisie dans les véhicules légers de la contrebande. Nous partons sur la RN16 qui mène sur 90 km à la commune de Bir El Ater avant de fouler le dernier arpent algérien au village Lemzara, 40 km plus loin.
Sur «la route de la soie» des trafiquants, quand on n'est pas un voyageur naïf bayant devant un paysage ennuyeux, c'est le pays des merveilles qui s'ouvre devant nous. Cette route fascinante se multiplie en dizaines de pistes aussi périlleuses les unes que les autres qui prennent racine à Tébessa et Khenchela, traversent le passoire de nos frontières pour déboucher sur des villes tunisiennes, véritables aspirateurs de nos richesses. Les populations tunisiennes, vivant sur la bande frontalière, trouvent un véritable exutoire dans cet approvisionnement infaillible et leurs demandes déterminent l'activité des contrebandiers. Olives, poudre à canon, produits agroalimentaires, armes à feu, cheptel, rond à béton, drogue… tout peut faire l'objet de négoce.
Mais c'est le trafic de carburant qui nous intéresse le plus de par les proportions qu'il a prises ces dernières années, devenant permanent, au point où les clients de la ville tunisienne de Feriana ne proposent plus le carburant algérien à l'étalage et alimentent désormais les réservoirs des stations autorisées. Rien que pour les onze premiers mois de 2008, la direction régionale de la douane, avec ses trois inspections, Tébessa, Bir El Ater et Oum El Bouaghi, a enregistré 335 interventions, tous trafics confondus, et saisi plus de 16 000 litres de carburant, cette quantité représente trois livraisons pour une simple camionnette. Une prouesse qu'on peut réaliser en une journée quand les conditions le permettent et l'on peut mesurer l'insignifiance du bilan de l'action anti-contrebande.
C'est donc Bir El Ater, capitale incontestée de ce trafic à grande échelle, qui va être notre principale destination.
Dans cette ville atypique, il n'existe que l'envers du décor, un véritable El Paso du XXIe siècle, sauf que les chevaux sont remplacés par des engins motorisées. Depuis plus de dix années, Bir El Ater, située à l'extrémité est de nulle part, aux frontières tunisiennes, fait parler d'elle sous le label de la contrebande tous azimuts et l'interconnexion des réseaux et des intérêts avec ceux du terrorisme. Comme partout dans les villes d'Algérie, une grande plaque dressée à l'entrée souhaite la bienvenue aux visiteurs. Quatre pompes à essence, alimentées par Naftal à raison de 55 000 l/jour environ, ravitaillent à leur tour la ville. Les pénuries de carburant sont pourtant fréquentes ici, surtout en été, haute saison du trafic. Entre la demande réelle de la population locale, ajoutée à celle des routiers et ce que consomment réellement ces quatre établissements, il y a tromperie, s'exclame Ammar, notre guide. Ce dernier va nous permettre d'emprunter le parcours d'un «mouharrib» afin de nous enfoncer dans les rouages les plus cachés de ce phénomène pour en comprendre les multiples facettes.
La sociologie à la rescousse
Le boulevard principal, appelé «trig charikat», en référence aux nombreuses sociétés de blanchiment d'argent, nées et aussitôt enterrées dans les années 1990, sépare en fait les deux tribus les plus influentes de Bir El Ater, à savoir les Nememcha et les Ouled Abid. La vie sociale, économique et politique est bipolarisée. L'occupation de la cité est ainsi calquée sur cette dualité, la partie basse est habitée par les Nememcha et celle haute, la plus proche des frontières, par les Ouled Abid. Si les premiers sont restés attachés aux métiers de l'élevage, la tribu rivale a fait de la contrebande un monopole. Sur ce boulevard, nous avons constaté de visu des véhicules de type 4×4 circulant en plein jour sans plaque d'immatriculation.
Sommes-nous en Algérie ? Notre guide nous conseille de réserver notre étonnement, car le plus choquant reste à venir. Nous nous engouffrons dans un quartier appelé L'géni, un amas de constructions anarchiques, inachevées, dressées sur un site accidenté, devenu le QG de la contrebande du carburant.
On sent le danger roder autour de nous dans ce no man's land infréquentable. Ammar s'arrête au niveau de deux hommes, un jeune et son père, qui réparent leur voiture. Il demande au jeune, qu'il appelle par son prénom, le prix de vente de l'essence : «600 DA», lui répond l'autre. Notre guide interroge combien il est vendu aux autres (les contrebandiers) : «550 DA», rétorque encore le jeune en toute confiance.
«Il s'agit du bidon de 20 litres d'essence qui coûte 400 DA dans la station», explique Ammar. Ce jeune, ne dépassant pas les 25 ans, comme des dizaines d'autres habitants de ce quartier de garages réservoirs, achète le carburant auprès des stations en toute légalité. Il vide le double réservoir de sa voiture, dont le deuxième est bricolé, dans des fûts installés au garage et peut ainsi en récolter de grandes quantités pendant la journée. Ensuite, le produit est revendu aux trafiquants qui viennent faire leurs courses avec des véhicules pouvant contenir jusqu'à 1000 l.
En quittant le quartier L'geni, on s'engage sur des pistes connectées à la route menant au village de Oglat Ahmed, dernière agglomération avant de pénétrer chez nos voisins. On scrute des transporteurs et en moins de 20 mn, on croise cinq camionnettes roulant à toute allure. Des Mazda, des Toyota Hilux, version essence, certaines revenant avec des vides et d'autres en route pour la livraison. Au fur et à mesure qu'on avance vers les frontières, notre guide nous explique avec force détails le fonctionnement du système. En effet, la machine du trafic de carburant ne laisse rien au hasard. Au bas de l'échelle, le chauffeur et son accompagnateur travaillent pour le compte du transporteur, le premier prend le 1/3 du revenu alors que l'autre, préposé aux tâches ingrates, notamment le fait de se débarrasser de la cargaison en cas de poursuite par les gendarmes, peut se faire jusqu'à 1000 DA par livraison. Une cargaison de 1000 l rapporte environ 5000 DA au transporteur. Ce dernier est en fait le propriétaire du véhicule ; lui-même sous-traite pour des personnes qui organisent tout le trafic et tire le plus grand profit. Ces gens, qui ont fructifié leurs affaires des décennies durant, ont aujourd'hui accès à d'importants postes de décision briguant même des mandats parlementaires.
En politique justement, l'annonce du ministère de l'Intérieur de promouvoir Bir El Ater en wilaya déléguée a fait paradoxalement des mécontents parmi ceux qui craignent qu'un arsenal administratif plus important ne vienne perturber leurs affaires. Le phénomène date de l'indépendance, il a pris les proportions d'un fléau à partir des années 1980, suite à la dévaluation du dinar algérien. Depuis, toute la région de Tébessa est soumise au trafic avec l'émergence et la «spécialisation» de quelques villes, telles Bir El Ater, Chréa et Houijbat. Pour ce qui est du carburant, même les chauffeurs de taxi et les propriétaires de camions se sont mis eux aussi au trafic qui rapporte plus que leurs activités déclarées.
«Leur part du pétrole»
Nous poursuivons notre balade sur la route de Oglat Ahmed sur des airs émis d'une station FM tunisienne. La caserne des GGF en ligne de mire.
Un camion appartenant au groupement est garé sur une petite colline qui domine la route pour observer le trafic routier. A environ une centaine de mètres plus loin, sur une piste parallèle créée pour les besoins d'un chantier de pipelines, les véhicules roulent sans être inquiétés. Malgré les efforts déployés par les unités de la douane et de la GGF, l'essentiel du trafic échappe aux mailles qui s'avèrent trop larges pour des pêches miraculeuses. Arrivés à hauteur de la base Sonatrach, qui gère le projet Nicolas Matteï de transfert de gaz vers l'Italie, nous bifurquons à gauche en direction de la dechra de Lemzara et, avant d'y parvenir, notre chauffeur s'arrête pour faire monter un jeune auto-stoppeur.
La discussion engagée, ce dernier nous révèle que les temps sont durs pour le village ces jours-ci, depuis que la demande tunisienne de l'olive a diminué. La région est en effet couverte d'oliveraies financées par l'argent du FNDRA. Quand le produit figure parmi la demande de nos voisins, la récolte est acheminée illégalement en Tunisie avec beaucoup de facilité par les habitants du village qui n'ont qu'à traverser Oued Lemzara, que nous avons trouvé à sec, pour se retrouver en territoire tunisien. Les spécialistes du carburant utilisent eux aussi et avec autant de facilité ces parcours affranchis et des dizaines d'autres sur toute la frontière. Sur le chemin du retour, nous continuons à croiser des transporteurs. Notre guide reçoit un coup de fil de la part d'un officier des douanes, il a eu une idée de génie de brancher le haut-parleur et s'improvise intermédiaire entre son interlocuteur et nous et nous présente comme étant des contrebandiers. Il lui annonce que nous voulons «acheter la route pour une heure de temps» et, pour toute réponse, l'autre propose d'en parler plus tard.
La complicité et la corruption au sein des services des douanes et ceux de la gendarmerie sont un secret de Polichinelle. Ici, on appelle ça «el gos'sa» (pourcentage retranché sur les bénéfices et payé en pot-de-vin en échange de la sécurité de la route). Le douanier rappelle quelque temps après et Ammar revient à la charge. Le douanier accepte de nous vendre autant d'heures que nous voulons et l'affaire est conclue. Cependant, la négociation n'ira pas plus loin et le prix n'est pas fixé tout de suite. Notre guide reçoit un autre coup de téléphone, cette fois de la part d'un ami qui voulait lui remettre de l'argent. Ammar profite de l'occasion pour dire à son ami qu'il est en compagnie de journalistes qui veulent rencontrer des contrebandiers et lui assure que son nom ne paraîtra pas.
Rendez-vous est pris dans quinze minutes, le temps qu'il faudra pour rejoindre Bir El Ater. Nous attendrons quelques minutes de plus avant que pointe notre contact, un transporteur prospère, propriétaire de trois camionnettes. Il ne tardera pas à arriver enfin dans un 4×4 rutilant. L'image qu'on s'était fait du type est vite démentie, il s'agit d'un jeune qui ne dépasse pas les 35 ans, blouson en cuir, chemise noire entrouverte et jeans.
Après les présentations et les premiers échanges de sympathie, on tente d'aborder le sujet en essayant de briser la glace. Peine perdue, l'individu refuse de répondre à nos questions relatives à certains détails précis des opérations. Il abondera en revanche dans le sens de la défense des contrebandiers qui, selon lui, n'ont pas le choix de vivre autrement, à moins que ce soit dans le dénuement total. «C'est leur manière de prendre leur part du pétrole», dira-t-il, en ajoutant que des centaines, voire des milliers de familles puisent leurs seules ressources dans ce travail en s'exposant aux risques de la route et ceux de la répression.
Pour nous témoigner sa bonne volonté face à son ami, qui l'a sollicité pour nous, il nous propose en contrepartie de revenir une autre fois pour passer la nuit avec lui à Lemzara et de suivre le cours des opérations qui sont beaucoup plus fréquentes que durant le jour.
On prend congé les uns des autres et, en ce qui nous concerne, nous décidons de rentrer à Tébessa avant qu'il ne fasse nuit. En quittant Bir El Ater, nous passons devant un café-terrasse, probablement le plus grand de la ville, où s'attablent les enfants payés par les trafiquants afin de les informer en cas de sortie des brigades de la gendarmerie de la caserne située en face.
On se rince l'œil à la vue de la demeure du patron de LG, baptisée Mao Tsé-toung, en raison du style architectural, vaguement chinois et, enfin à gauche, on retrouve la station d'essence de l'entrée toujours assiégée par les clients, avant de reprendre la RN16 à travers un champ de thym et autres herbes odorantes.


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