Un rien suffit pour raviver les tensions communautaires au Liban. Dans ces élections législatives, qui opposent deux blocs politiques, les électeurs devront s'évertuer à ne pas réveiller les vieux démons. Les Libanais iront aux urnes aujourd'hui pour choisir entre le bleu représentant le parti du futur, l'orange pour le parti du changement de Michel Aoun, et jaune pour le Hezbollah, parti de Dieu. Le Liban n'est pas seulement le pays de Faïrouz et de Khalil Gibran. Ce n'est pas juste un petit pays méditerranéen d'à peine 4 millions d'habitants. C'est surtout une démocratie bien singulière, basée sur un système complexe de quotas pour les 17 factions officielles dans un Parlement comprenant 128 députés. C'est le seul pays où il existe le plus de manuels scolaires d'histoire représentant les différents clans et plusieurs points de vue. C'est un pays connu pour être la caisse de résonance de tous les maux du Moyen-Orient. La donne politique a pris un nouveau virage après l'assassinat de Rafik Hariri. Le Liban s'est transformé en un grand ring dans lequel s'affrontent les pro-syriens et les anti-syriens. Dans ces élections encore, ce sont ces deux camps qui s'opposent : d'un côté la coalition du 14 mars composée de Saâd Hariri et son courant d'El Moustaqbal (considéré comme pro-occidental), Walid Joumblatt, le chef druze, et la droite chrétienne. De l'autre, l'Alliance du 8 mars du Hezbollah, le Courant patriotique libre (CPL) du général maronite Michel Aoun et des mouvements de résistance comme le groupe Amal. Dans ce pays considéré, par certains comme un « jouet » aux mains des puissances étrangères, les deux camps ont plusieurs sponsors. Il y aurait un bloc « américano-saoudien », et un autre « iranien » et « syrien ». Il appartiendrait ainsi aux chrétiens, partagés entre les deux camps, de dessiner le nouveau visage du Liban. L'armée libanaise trop faible Les chrétiens qui, à l'exemple de Michel Aoun, soutiennent le Hezbollah, motivent leur position par le fait que « jamais, le chiite n'a tourné ses armes contre eux ». Ils estiment, que l'armée libanaise, trop faible, ne pourra pas les protéger des tanks d'Israël et que même lorsqu'il a accédé au pouvoir en 2000, le Hezbollah ne leur a pas demandé d'arrêter de vendre du whisky. Il a juste exigé de ne plus l'importer d'Israël. D'autres estiment, au contraire, que le parti de Dieu est une menace pour la stabilité de ce pays déjà fragile. « Si les pro-syriens devaient l'emporter, le Liban serait livré en sous-traitance à l'axe d'acier Damas-Téhéran et, alors, bonjour l'indépendance, la souveraineté, la démocratie ou les libertés », peut-on lire dans le journal libanais L'orient le jour, proche du bloc du 14 mars. Une pétition appelant à faire barrage à l'armement du Hezbollah, a réuni les signatures de 400 intellectuels, universitaires et journalistes. « Ils nous donnent le choix entre la paix civile sous leur protection et à leurs conditions, ou la guerre civile. Il ne saurait y avoir de salut pour nous si nous cédons à un tel chantage car ce serait alors accepter la reddition face à la logique de la force et des projets aventuriers. Nous refusons de nous en remettre aux armes, car cela mènerait à la guerre civile », écrivent les rédacteurs de la pétition. Le pays du Cèdre se retrouve déchiré entre deux parties. La situation actuelle est comme un ultime bégaiement de l'histoire : une moitié du Liban s'élève contre l'autre. Les craintes d'un nouvel affrontement fratricide sont grandes. Le président Michel Sleimane a appelé les électeurs à « se rendre aux urnes dans le calme et la responsabilité, et accepter les résultats de façon civilisée ». Dans un rapport publié le 4 juin, l'International Crisis Group estime que « dans tous les cas de figure, que la coalition dominée par le Hezbollah ou celle proche de l'Occident l'emporte, la formation d'un gouvernement viable risque d'être difficile à réaliser et exigera des compromis de la part de tous ». Et de mettre en garde : « Aujourd'hui, les postures adoptées par les deux camps indiquent une volonté d'en revenir à une politique du bord du gouffre, c'est-à-dire à des prises de position maximalistes visant à faire céder l'adversaire par un chantage sur les risques de déstabilisation du pays. » Les Libanais sont condamnés à faire des concessions. » La conséquence en est que, quelle que soit l'issue des tractations postélectorales, le mieux que l'on puisse espérer est d'éviter une nouvelle confrontation violente – même au prix d'une paralysie politique et de la reconduction de conflits sous-jacents, analyse l'International Crisis Group. La destinée du Liban ne dépend pas uniquement de ses habitants. Le pays est l'objet d'enjeux régionaux qui le dépassent largement. En plus des alliés extérieurs des deux camps (en particulier les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite, l'Egypte, la Syrie et l'Iran), d'autres parties restent actives à l'exemple de la France, la Turquie et le Qatar. « Il est certain que le sort de ce pays dépend toujours largement des turbulences extérieures. Dont l'évolution peut du reste s'appuyer sur l'exploitation classique des ressources qu'offre cet essuie-pieds commode qu'est le Liban politique », écrit, sans concession, l'Orient le jour. Pour éviter une fin malheureuse à cette crise politique, l'International Crisis Group recommande aux forces étrangères de « s'abstenir de creuser les divisions entre les parties libanaises, en soutenant le principe d'un partage du pouvoir ». Un observateur algérien résume la situation en ces termes : « Si les élections se déroulent correctement, elles pourraient contribuer à stabiliser l'instabilité fondamentale qui est, depuis très longtemps, le lot ordinaire du Liban. » Un sondage réalisé par le journal libanais El Safir penche vers une victoire de la coalition du Hezbollah et du général Michel Aoun. Mais peu importe les résultats, l'essentiel est que les Libanais veuillent toujours vivre ensemble.