Il y eut mort d'hommes au Liban, jeudi, suite aux affrontements ayant opposé partisans de l'opposition et du gouvernement. Ce qui était à craindre a finalement eu lieu avec des affrontements qui ont causé la mort de quatre personnes à Beyrouth jeudi. Plusieurs quartiers de la capitale libanaise ont été ainsi le théâtre de violences entre partisans de l'opposition et du gouvernement. On s'est battu à coups de pierres et de bâtons quand des échauffourées ont mis aux prises au niveau de l'université, situé, au sud de Beyrouth, des étudiants partisans de l'un ou de l'autre camp. Ces affrontements se sont étendus ensuite aux quartiers sunnites et chiites limitrophes avec l'université. Sur le terrain, il a été comptabilisé la mort de quatre personnes alors qu'il est à déplorer plus de 150 blessés (ce qui fait au total cinq morts et plus de 300 blessés depuis mardi, jour de la grève générale déclenchée par l'opposition). Les violences entre chiites et sunnites en ce triste jeudi ont suscité la réaction des principaux partis et leaders politiques libanais qui ont mis en garde contre une escalade qui ramènerait le pays à la situation des années 1970. Ceux-là mêmes qui, quelque part, ont allumé le feu qui risque de faire exploser le Liban, ont appelé au calme et à la retenue leurs partisans. Dans une déclaration faite jeudi, le chef de la majorité parlementaire, le sunnite Saâd Hariri -fils de l'ancien Premier ministre assassiné, Rafic Hariri- a déclaré à la chaîne de télévision Future (qui lui appartient) «J'appelle tous les partisans du Courant du futur à rester calmes et à ne pas répondre aux provocations de ceux qui veulent semer les troubles au Liban pour saboter les résultats positifs de la conférence internationale d'aide au Liban qui se tient à Paris.» De son côté, le Hezbollah, dans un communiqué diffusé par sa chaîne de télévision Al Manar, a aussi demandé la retenue appelant «ses partisans à se retirer des rues et à empêcher les fauteurs de troubles d'atteindre leurs objectifs». D'autre part, le chef du mouvement chiite Amal, Nabih Berri, président du Parlement et l'un des leaders de l'opposition, a demandé aux «partisans des deux bords à se retirer des rues» affirmant à la télévision: «Nous assistons à des scènes qui rappellent celles de la guerre civile. Il faut revenir au dialogue, il n'y a pas d'autre solution». La capitale libanaise a été placée jeudi soir sous couvre-feu. C'est que les choses sont allées loin, trop loin, mettant à nouveau en danger l'existence du Liban. Ce sursaut, si sursaut il y a, des responsables libanais sera-t-il suffisant pour calmer les esprits et inciter à revenir à l'essentiel qui est la refondation unitaire du pays, accompagné de véritables réformes économiques, tel que préconisé par l'accord de Taef de 1989 resté jusqu'à ce jour lettre morte. Mais cela va-t-il être le cas, lorsque le Premier ministre, Fouad Siniora, l'un des acteurs du durcissement de la situation, conforté par le succès de la promesse faite par la Conférence de Paris d'une aide de près de 8 milliards de dollars au Liban, et surtout par le soutien que lui ont lourdement apporté les Occidentaux, Français et Américains en tête, semble plus que jamais décidé à imposer son point de vue? Or, fort du soutien de Paris et Washington, M.Siniora n'a rien tenté pour essayer de faire baisser la tension, bien au contraire, en prenant une position maximaliste sur les demandes de l'opposition chiite et chrétienne (du Courant des patriotes libres -CPL- de Michel Aoun), en faisant ratifier par le gouvernement la création d'un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri, passant outre l'opposition d'une des composantes du tissu social libanais, les chiites, en ne prenant pas en compte l'avis du président libanais (chrétien) Emile Lahoud, seul habilité par la Constitution à négocier les traités internationaux, le Premier ministre (sunnite) libanais a participé à l'aggravation de la situation en mettant quasiment le feu aux poudres par ses fins de non-recevoir à l'opposition. Or, le Liban fonctionne sur le schéma constitutionnel, fondé sur le communautarisme (marqué par le triptyque donnant la présidence aux maronites, le Premier ministère aux sunnites et la présidence du Parlement aux chiites) forme de gouvernement imposé en 1943 par la France, justement, qui est aujourd'hui, certes, obsolète -et cause principale de la guerre civile de 1975-1990- ne répondant plus aux besoins de développement du Liban. Mais pour le moment, c'est le seul qui existe, et il faut s'y faire et faire avec et surtout s'y conformer, jusqu'à ce que les Libanais soient en mesure de mettre au point une Constitution moderne plus en phase avec leurs aspirations, comme le recommandait l'accord de Taef de 1989 qui mit fin à la guerre civile. Rien de tel n'a été fait et les tergiversations des uns et des autres ont, en revanche, fini par ramener le pays du Cèdre au point zéro. Or, la démission à la mi-novembre de six ministres, dont cinq chiites, a induit une rupture de l'équilibre politique libanais remettant en cause la légitimité de l'actuel gouvernement conduit par Fouad Siniora. D'autre part, la marginalisation du président Emile Lahoud, tant par le cabinet Siniora que par l'Occident, est un autre élément de la crise que vit le pays du Cèdre que l'on réduit à tort à une querelle entre pro et anti Syriens, pour les uns, ou pro et anti Américains, pour les autres. Ce qui est réducteur, mais le problème n'est pas aussi simple alors qu'il y va de l'existence même du Liban en tant qu'Etat uni et souverain Les vieux démons de la guerre semblent ainsi de retour et les Libanais ont, à raison, peur d'une nouvelle fitna dont le pays pouvait largement en faire l'économie. Une peur que la presse libanaise unanime évoquait hier en Une et que résument parfaitement les cris d'alarme d'As Safir et Ad Diyar, le premier s'exclamant «Que Dieu maudisse celui qui l'a réveillée!» alors que le second appelle à une solution rapide qui écrit: «Le Liban en proie à la sédition. Peu importe qui en est responsable. Peu importe qui a commencé les affrontements. Ce qu'il faut c'est une solution politique rapide et un gouvernement d'union nationale». Le Liban est aujourd'hui sur le seuil du point de non-retour, ses dirigeants - quelle que soit la chapelle politique qu'ils défendent - sauront-ils se ressaisir, où privilégieront-ils une nouvelle fois, une fois de trop, le pouvoir pour le pouvoir, option qui a déjà conduit le Liban au malheur dans les années 1970?