La recherche scientifique et le développement technologique sont directement liés à l'amélioration du quotidien du citoyen, à la croissance économique, à la lutte contre le chômage, à l'efficacité du système productif. Toutefois, le cheminement est long et parfois complexe et coûteux, qui de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, à la concrétisation de ses résultats jusqu'à la phase de développement vérifie l'applicabilité industrielle. Le processus est à la fois coûteux surtout les phases de développement et d'innovation, lent15 à 25 ans et parfois plus, et risqué. Ainsi, l'Etat ou les pouvoirs publics sont-ils sensibles à ce processus, conscients que c'est le seul moyen de s'en sortir de toute crise ? Ont-ils la volonté politique d'orienter, de programmer et de financer la recherche scientifique, afin de favoriser le développement, stimuler les compétences et accélérer l'innovation ? 1- Situation actuelle de la recherche Aujourd'hui malheureusement, la recherche scientifique est perçue par les pouvoirs publics algériens comme une activité marginale, voire une perte d'argent. La question de la place de la recherche scientifique dépend de la volonté politique au plus haut sommet de l'Etat. Cette volonté politique est identifiable déjà dans l'organigramme gouvernementale où le secrétariat d'Etat à la Recherche n'a autorité que sur quelques centres de recherche et n'exerce aucun pouvoir hiérarchique sur les institutions de recherche et le budget alloué à la recherche ne représente même pas 0,50% du PIB, alors que nos voisins en Tunisie et au Maroc ont dépassé largement les 1%. Et enfin, la place sociale du chercheur, toujours sans statut, sans reconnaissance sociale, avec un salaire qui représente à peine 4 fois le Smic. Alors que chez nos voisins, le chercheur débutant touche toujours plus de 7 fois le SMIC, sans oublier l'instabilité institutionnelle et l'atomisation des tutelles et des crédits alloués à la recherche. Il est à signaler aussi que les pouvoirs publics ont mis en place des programmes de relance de 7 milliards de dollars en 2002 et 150 milliards en 2004, sans que la recherche scientifique et la communauté scientifique soit consultée, ni concernée, ni exploitée, ni bénéficiaire, et les résultats de ce programme et son impact sur le développement et l'amélioration du quotidien du citoyen sont connus par tous, et visibles à travers la peinture de quelques immeubles et le grand projet national de rénovation des trottoirs, et bien sûr le 1 million de logements et l'autoroute Est-Ouest où les études et conseils bénéficient aux bureaux d'études étrangers. Un nouveau programme de 50 milliards de dollars prévu pour les 5 ans à venir va connaître le même sort et les mêmes résultats malheureusement, puisqu'on remarque les mêmes projets, les mêmes réflexes et les mêmes intervenants. Quelle est la place de la science, de la recherche, des études et du consulting national dans la programmation de ces grands projets ? On a vu les pouvoirs publics s'intéresser de temps à autre aux compétences nationales installées à l'étranger. Certes c'est un geste louable, mais il faut savoir que la contribution des scientifiques algériens installés à l'étranger ne peut être effective, efficace et concrète que si les conditions socioprofessionnelles des chercheurs restés en Algérie et leurs places sociales changent radicalement et si et seulement si, on accorde une attention toute particulière à la communauté des chercheurs restés en Algérie qui, malgré de nombreuses difficultés, tentent de rester à l'écoute des avancées technologiques. Le potentiel scientifique algérien est aujourd'hui à tout point de vue un des moins développés d'Afrique. Le niveau des étudiants ne cesse de se dégrader et le taux d'encadrement baisse d'année en année. Le nombre de chercheurs algériens se situe bien en deçà des systèmes de recherche maghrébins, le nombre des chercheurs permanents est de 1500 aujourd'hui, auxquels viennent s'ajouter quelque 4500 enseignants chercheurs contre plus de 20 000 au Maroc et plus de 15 000 en Tunisie, alors que le nombre de chercheurs par discipline est loin d'atteindre une masse critique, les recrutements sont gelés et la première génération est sur le point de partir en retraite, sans qu'une véritable relève soit assurée. Certes, l'Algérie dispose encore d'une importante infrastructure, mais ayant gravement négligé l'investissement dans l'homme (l'éducation nationale, l'enseignement supérieur, la formation professionnelle et la recherche scientifique), celle-ci est mal ou sous-utilisée. Alors qu'on continue à injecter des milliards de dollars pour s'équiper en armements militaire, on néglige le facteur humain qui en cas de guerre ou crise est plus important que des milliers de chars ou Mig et on a vu le cas de plusieurs pays qui ont négligé les deux facteurs importants qui soudent la relation entre les citoyens et le pouvoir politique, qui sont les libertés et l'investissement dans l'homme. L'impact sur le rendement scientifique du pays est évident : en 1997, les bases de données françaises (Pascal) et américaines (ISI) s'accordent à faire apparaître l'Algérie parmi les derniers pays africains avec 170 articles scientifiques recensés, contre 1462 pour l'Afrique du Sud, 1990 pour l'Egypte, 472 pour le Maroc, 454 pour la Tunisie, 441 pour le Nigeria et 263 pour le Kenya. L'Algérie est suivie de près par la Côte d'Ivoire avec 169 articles, le Cameroun et le Sénégal avec 159 articles chacun. La relation université-recherche-industrie, le triangle de développement par excellence et le modèle de réussite s'est constitué au cours des années 70 et 80 sur un malentendu et une mauvaise coordination, faute de décision politique courageuse. La plus part des pays qui ont réussi à conjuguer les efforts de ces institutions sont passés par la création d'un ministère d'Etat à la Recherche et à la Technologie ou à la Recherche et l'Industrie ou à la Recherche et au Développement technologique. Ce malentendu a excédé la défiance entre les deux partenaires, alors que l'idéal serait une coopération sur la base d'une complémentarité respectant les 2 principes de base de toute coopération entre une institution scientifique et une entreprise industrielle, la non-substituabilité et la reconnaissance mutuelle. Il est temps de réguler les interactions entre l'université, la recherche, l'industrie et d'accroître la synergie entre le besoins de l'entreprise et la disponibilité de répondre à ce besoin de la recherche scientifique et le développement technologique au sein des centres de recherches et les universités, ce qui renvoie au problème général de la gestion de la recherche et le problème de coordination des objectifs socioéconomiques et leur traduction en programmes mobilisateurs de recherche, et le financement adéquat pour exécuter ces programmes et afin d'atteindre les objectifs arrêtés. Cela est devenu presque une réalité à la fin des années 80 avec la création du HCR sous l'autorité de la Présidence, qui avait pour objectif de créer cette interface université-recherche-entreprise. Malheureusement, comme toute bonne idée ou action en Algérie, elle ne dure pas dans le temps, le HCR fût dissout, les équipes de recherches éparpillées, le capital expérience est totalement perdu et une sorte de revanche s'est abattue sur les centres de recherches et on a remarqué chez quelques responsables l'envie même de dissoudre ces centres de recherche. La communauté scientifique est disloquée et les équipes de recherche difficilement constituées sont éclatées. Les médias parlent de plus de 30 000 scientifiques et diplômés de l'enseignement supérieur partis s'installer à l'étranger durant les 15 dernières années, ceux qui sont restés sont gagnés par un scepticisme et un pessimisme aux effets ravageurs et luttent pour leur survie physique et économique dans un pays où la nomenklatura plus puissante que jamais, à l'ombre des institutions financières internationales, est mieux rémunérée qu'un chercheur ou enseignant universitaire ou professeur de médecine. Plus que le terrorisme, c'est la condition économique, sociale et professionnelle faite au scientifique durant cette même période qui a conduit au dépérissement quantitatif et qualitatif de la communauté scientifique nationale. 2- Propositions La recherche scientifique et le développement technologique doivent constituer pour les pouvoirs publics un élément important d'une stratégie qui vise à transformer notre société et à trouver en particulier les bases réelles d'une nouvelle relance économique, politique et sociale. Partant à la fois de ce constat et de cette évidence, la communauté des chercheurs à travers leur représentants ne cesse de lancer des appels urgents aux pouvoirs publics afin de prendre réellement en charge les problèmes de la recherche et du chercheur à travers les propositions suivantes : – 2-1/ Sur le plan institutionnel : En Algérie la recherche scientifique a changé plusieurs fois de tutelles. Aujourd'hui, sous celle de plusieurs départements ministériels sans aucune coordination, elle a montré ses limites. Les changements de tutelles et de formes d'organisation et de coordination souvent éphémères au regard de la période minimale de maturation d'un projet de recherche ont fini par déstabiliser complètement le secteur de la recherche dans ses trois dimensions essentielles, à savoir les structures d'orientation et d'exécution de recherche, l'accumulation de l'expérience et du savoir-faire et la capitalisation des ressources humaines. Ce phénomène se poursuit malheureusement encore. La question de rattachement administrative de la recherche scientifique est devenue un handicap majeur pour l'épanouissement de ce secteur. Plusieurs formules ont été essayées, rattachement à la Présidence, à l'éducation, à l'enseignement supérieur ou atomisation de tutelles. Aujourd'hui, notre préférence, celle des pays voisins et d'autres qui ont réussi, se penche plus pour l'autonomie de la recherche scientifique en étroite articulation avec l'enseignement supérieur. – Cette autonomie se concrétise par la création d'un ministère de la Recherche, de l'Industrie et du Développement durable. – Relance du Conseil national de la recherche scientifique présidé par le chef du gouvernement qui ne s'est plus réuni depuis 1992 et qui a pour missions : – L'élaboration des grandes orientations politiques du Pays. – Le choix des programmes mobilisateurs. – La décision d'accompagner ces programmes mobilisateurs par un financement adéquat. – L'évaluation périodique des programmes, orientations et financement en fonction des besoins socioéconomiques du pays. – Mise en place d'un organe directeur de recherche conforme à la loi qui aura sous sa tutelle scientifique et financière l'ensemble des institutions de recherche scientifique. – Rattachement du fonds national de la recherche à l'organe directeur. – Rattachement direct au budget de cet organe et les crédits de l'ensemble des institutions de la recherche (EPST et autres). – 2-2/ Financement de la recherche scientifique : Pour renverser la tendance à l'érosion qui se manifeste continuellement, il faut consacrer une part beaucoup plus importante du PIB à la recherche scientifique et au développement technologique (objectif en 2010 de 1,5% du PIB contre 0,5% aujourd'hui). Pour cela, il faut admettre que les besoins de la société ne sont pas réductibles à la recherche au profit, avec 1,5% du PIB, une grande part de ce budget doit être destinée à une croissance programmée de l'emploi scientifique et le recrutement de nouveaux chercheurs, au moins 30% par an de l'actuel effectif, afin de doubler au moins l'effectif des chercheurs d'ici à 2010. Ensuite, une part doit être consacrée à la modernisation et l'équipement de laboratoire et en crée de nouveaux centres de recherches. Pour sortir de la crise, la recherche scientifique constitue l'une des clés essentielles, peut-être la seule clé de relance. Seul un gigantesque effort de recherche permettra à notre pays de conserver son indépendance. A titre de comparaison avec d'autres pays qui ont réussi parce qu'ils ont cru à la science et ont investi considérablement dans l'homme. La chine n'est pas une puissance économique par hasard, elle consacre plus de 1,5% de son PIB à la recherche scientifique, et aujourd'hui elle projette de devenir le leader mondial dans plusieurs domaines technologiques porteurs de plus-values considérables, notamment l'électronique, le ferroviaire… Et pour atteindre cet objectif, les pouvoirs publics chinois ont décidé d'augmenter le budget recherche d'ici à 2010 à 2,5%, ce qui équivaut à 45 milliards de dollars annuelle. La Malaisie consacre plus de 3% de son PIB à la recherche scientifique. Les pays européens consacrent déjà 2,5% de leur PIB à la recherche et ils projettent d'atteindre les 3% et plus d'ici à 2010. Les pays du Maghreb ont largement dépassé le 1% du PIB et projettent à atteindre le 1,5% d'ici l'an 2010. – 2-3/ Problèmes socioprofessionnels :Face au grand vent de la concurrence, à l'individualisme régnant dans un monde dominé de plus en plus par la finance, l'insuffisante rémunération des chercheurs les conduit souvent à changer de métier ou carrément quitter le pays. Le nombre des chercheurs permanents est passé de 2700 en 1998 à 1500 en 2007, et cette hémorragie va continuer si une décision courageuse n'est pas prise. Beaucoup de formation de post-graduation se font à l'étranger, mais rares sont ceux qui reviennent, surtout ces dernières années. Comment rendre notre système de recherche plus attractif et plus compétitif ? Certainement pas en raréfiant l'emploi scientifique, certainement pas en bloquant les salaires, mais en rendant les carrières plus attractives et en octroyant un budget considérable à la recherche scientifique. Le salaire moyen d'un chercheur en Tunisie et au Maroc dépasse les 1500 euros/mois et le salaire moyen d'un chercheur en Europe dépasse les 6000 euro/mois en plus d'une totale prise en charge en matière de logement, de transport et de scolarisation des enfants. Le remède à cette situation passe obligatoirement par : – L'élaboration d'un statut spécifique au chercheur et la revalorisation du salaire en fonction du SMIC, au moins 10 fois le SMIC pour le débutant avec un rapport de 1 à 4 entre le chercheur débutant et le chercheur le plus gradé en fin de carrière. A l'inverse de beaucoup de pays africains et de nos voisins immédiats, la Tunisie et le Maroc, l'Algérie a beaucoup rechuté durant les dernières années. Longtemps en tête des pays maghrébins en matière d'enseignement-formation-recherche, elle est actuellement le pays dont le système de recherche est le moins développé. Ayant fourni le plus important effort d'industrialisation, elle est paradoxalement aujourd'hui sans aucune base industrielle, outil d'accompagnement indispensable à la croissance, en général, et à la recherche scientifique, en particulier. Mais le handicap majeur de la recherche est moins dans le manque de moyens, aussi flagrant soit-il (0,5% du PIB alors que la Tunisie et le Maroc dépassent largement 1 % du PIB), mais dans les conditions humaines, sociales et professionnelles du chercheur. La place du chercheur dans la société s'amoindrit, la primauté de l'administration sur le scientifique est déterminante. Ce qui a engendré une course au poste administratif au détriment de la recherche pour une simple raison : une rémunération plus attrayante. Bref, la marginalisation, l'humiliation et la détérioration du niveau de vie ont incité le potentiel scientifique à se déployer vers des activités matériellement plus sécurisantes, ce qui a secoué gravement l'avancement de la recherche scientifique en Algérie. Les difficultés de publier, l'absence de valorisation industrielle ou commerciale des résultats de la recherche, l'instabilité institutionnelle de la recherche et, par conséquent, des équipes de recherches et de gestionnaires ont poussé plus au recul des activités scientifiques. La situation sécuritaire a joué certes en défaveur de la recherche, mais le refus des pouvoirs publics d'accepter le chercheur et le scientifique d'une façon générale comme source d'études et d'expertises, comme force de négociation sociale a plus affaibli cette activité fragilisée. Au lieu de considérer le chercheur comme acteur décisif du développement donc comme partenaire social indispensable à toute sortie de crise, les pouvoirs publics ont fait un rival qu'il tentent de contenir soit par l'environnement sécuritaire et donc répressif, soit par son maintient dans une situation de survie économique. A cela, il faut ajouter la mise en faillite des entreprises publiques, ce qui a rompu les liens entre la recherche et l'industrie ; on a tendance à favoriser beaucoup plus les importateurs spéculateurs au détriment de ces grandes entreprises qui produisent de la richesse et créent de l'emploi (la facture d'importation a dépassé largement les 40 milliards dollars contre 10 milliards en 1999). Avec la mise à mort du tissu industriel, l'Algérie risque de renouer avec la science-discours des pays sans base industrielle. Les mesures prises sous la conduite du FMI et la Banque mondiale, dans le cadre des plans d'ajustements structurels, y ont contribué en créant une situation contraire à ce qu'elles prétendent chercher à promouvoir, si elles cherchent vraiment à promouvoir quelque chose. Elles ont affaibli et désarticulé l'entreprise de production, l'université, et par extension la recherche scientifique. Ce qui a rendu le pays beaucoup plus dépendant et donc, son indépendance et sa souveraineté sont remises en cause. En fin de compte, les objectifs déclarés d'affranchir les citoyens et la société des pesanteurs et de l'emprise bureaucratique se sont concrétisées en leur contraire et le processus de libération de la société à l'égard des pouvoirs qui prospèrent habituellement à l'ombre des Etats de non-droit est définitivement remis en cause. L'auteur est ancien président du Syndicat national des chercheurs