Pour son prochain film, le cinéaste indien Hemanth Hegde avait commandité la construction d'une statue du célébrissime Charlot, haute de 20 m et dominant une plage de l'Etat méridional du Karnataka. Le chantier devait être achevé en avril et, dès le tournage du long métrage terminé, le monument était censé devenir une attraction touristique. Mais le week-end dernier, quelques dizaines d'activistes d'un groupuscule fondamentaliste hindou ont fait irruption sur la plage d'Ottinene — à 400 km de Bangalore, la capitale indienne de l'informatique et des hautes technologies — et ont stoppé le chantier. Les militants ont jugé que la statue salissait l'image d'un temple hindou tout proche, alléguant que «Chaplin était un chrétien qui n'a rien apporté à l'Inde», a raconté M. Hegde. Le réalisateur a refusé de nommer l'organisation extrémiste qui entrave son projet cinématographique et qui est apparemment soutenue par le parti nationaliste hindou au pouvoir au Karnataka. «Si les gens sont contre une telle statue, alors je le suis aussi», a ainsi déclaré K. Lakshminarayana, parlementaire local du Parti du peuple indien. Mais le Britannique Charles Spencer Chaplin, icône mondiale du cinéma, a encore beaucoup de fans en Inde, un géant multiculturel et laïc dont la modernisation ces dix dernières années a été phénoménale. «De nombreuses personnalités du cinéma, du théâtre ou de la littérature ont été choquées par cet incident», a assuré un porte-parole de M. Hegde. Une pétition sur internet pour la défense de «la liberté artistique» et contre «l'intolérance religieuse» a déjà réuni plus d'une centaine de signataires. «Ne mélangeons pas l'art et la religion», écrit l'un d'entre eux, prévenant que «toute tentative de talibanisation de l'Inde ne sera pas tolérée». Car c'est la troisième fois cette année que ces «talibans hindous» — comme les a surnommés en février la ministre chargée du Développement des femmes et de l'enfance — font parler d'eux dans le Karnataka. Fin janvier, dans la ville de Mangalore, des nervis d'un groupuscule hindou d'extrême-droite, le Sri Ram Sena (SRS, l'armée du seigneur Ram), avaient agoni d'injures et tabassé des jeunes filles jugées «obscènes et débauchées», parce qu'elles fumaient, buvaient et dansaient dans un café branché. Pour la Saint-Valentin le 14 février, le SRS avait menacé, sans passer à l'acte, de marier de force tous les couples surpris en public en train de s'embrasser. «Boire, sortir, fêter la Saint-Valentin font partie d'une culture occidentale qui corrompt la culture indienne», avait alors expliqué le secrétaire général du SRS. «Nous sommes contre ces mœurs relâchées des jeunes générations qui singent aveuglément l'Occident», avait dénoncé cet hindou puritain.