Il faudra un jour parler des centaines de milliers de personnes prises sous les bombardements de l'armée, ou encore sous le feu de la guérilla accusée, quant à elle, de s'en servir comme boucliers. Des procédés condamnables, mais il se trouve que cette situation a été quelque peu étouffée, comme s'il fallait laisser passer le rouleau compresseur srilankais. Il a fallu donc que cela cesse pour que le monde bouge en ce sens. En effet, la commissaire européenne aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, a appelé, hier, le gouvernement srilankais à accorder à l'ONU un «accès total» aux civils, après l'annonce de la cessation des combats par les rebelles tamouls dimanche. Tous les combats sont terminés au Sri Lanka et les rebelles tamouls ont été battus, a annoncé, quant à lui, le chef de l'armée de terre, le général Sarath Fonseka. «Toutes les opérations militaires ont été stoppées grâce à la prise du dernier bout de territoire» de moins d'un kilomètre carré dans le nord-est, qui était encore contrôlé par les Tigres tamouls, a annoncé le général Fonseka. «A présent, le pays tout entier est libéré du terrorisme et 250 cadavres de terroristes gisent sur ce dernier bout de terre», a ajouté l'officier srilankais. Autre signe allant en ce sens, c'est l'annonce, hier, selon laquelle le chef de la guérilla, Velupillaï Prabhakaran, a vraisemblablement été tué dans le nord-est de l'île et une annonce officielle va être faite dans la journée. Cette victoire a été annoncée dans une déclaration du président srilankais, Mahinda Rajapakse, tout en proclamant officiellement la fin de 37 ans de guerre séparatiste, ce matin, devant le Parlement. Et maintenant, devrait-on dire pour le Sri Lanka ? Toute la question est là car il faut remonter aux racines de cette insurrection et admettre que ce pays a vaincu les rebelles séparatistes, mais il est loin d'avoir gagné la paix avec la minorité tamoule dans un conflit ethnique profondément enraciné dans l'histoire de l'ex-Ceylan. D'autant qu'après 37 ans de guerre séparatiste dans cette île de l'océan Indien et une ultime offensive depuis janvier, 200 000 Tamouls croupissent dans des camps de réfugiés, sans espoir à court terme de rentrer chez eux. «Le gouvernement a peut-être gagné la guerre, mais il doit se pencher sur ses causes profondes : la discrimination de nombreux Tamouls», résume V. Anandasangari, président du Front uni tamoul de libération. Car pour des historiens, le conflit dans ce pays de 20 millions d'âmes s'explique en partie par le ressentiment de la majorité cinghalaise (74%) à l'égard de la minorité tamoule (12,5%), soupçonnée d'avoir été favorisée par le colonisateur britannique jusqu'à l'indépendance du 4 février 1948, notamment en termes d'éducation et d'emploi. Dès sa prise de contrôle total de Ceylan en 1815, la Grande-Bretagne avait mené une politique consistant à «diviser pour mieux régner», suivant des divisions ethniques et non religieuses. Les Cinghalais sont, pour la plupart, bouddhistes, avec une minorité de chrétiens (5%), tandis que les Tamouls sont hindouistes et comptent aussi des chrétiens (3%). Il y a également 7% de musulmans et 5,5% de Tamouls d'origine indienne. Une fois les Britanniques partis, la volonté du pouvoir cinghalais de reprendre les emplois occupés par des Tamouls alimente les tensions inter-communautaires. Le 13e amendement Cela a débouché sur cette insurrection. Mais aujourd'hui, la classe politique tamoule modérée espère que ses demandes pour davantage d'autonomie politique ne seront pas enterrées par le président Mahinda Rajapakse. «Beaucoup de Tamouls redoutent que ces revendications ne soient pas satisfaites, mais je crois qu'une solution politique acceptable sera trouvée», confiait récemment Dharmalingam Sithadthan, chef du Front démocratique de libération du peuple. Ce Tamoul modéré, mais co-fondateur des Tigres, pense que le chef de l'Etat mettra en œuvre le 13e amendement de la Constitution de 1978 prévoyant une décentralisation vers les neuf provinces, notamment celles du nord et de l'est où les Tamouls sont concentrés. Le président, architecte depuis 2006 de la victoire militaire contre les Tigres, s'engage régulièrement à trouver «règlement politique» via «un accord de partage du pouvoir» entre communautés. Place alors à la politique ? C'est l'attente dans la grande île.