Aussitôt la visite de trois jours en Italie du guide libyen Mouammar Kadhafi terminée, certaines ONG internationales de défense des droits des migrants et des expulsés relancent les débats autour des accords bilatéraux de réadmission signés entre les deux pays. Car, estiment-elles, avec la Libye, partenaire privilégié dans les échanges entre immigration et pétrole, les négociations étaient en phase de stagnation, indique la Cimade dans un document confidentiel parvenu à notre rédaction. En effet, rappelle l'ONG, l'accord « d'amitié », signé en août 2008 entre les deux pays, prévoyait un financement italien de 5 milliards de dollars jusqu'en 2028, « vendu » par Rome en échange de l'arrêt de tout débarquement sur les côtes siciliennes. En la matière, souligne le même document, le premier accord entre les deux pays remonte à 2000 et portait sur la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, le trafic de drogues et l'immigration illégale. Au terme d'un second accord opérationnel conclu en 2003, l'Italie s'était engagée à fournir à la Libye un soutien pour la formation de policiers libyens, le financement d'un programme de charters pour renvoyer depuis la Libye les migrants en situation irrégulière vers leur pays d'origine, une assistance au sauvetage en mer et le financement de la construction, au nord du pays, d'un camp pour migrants. Mais, « cet accord est resté quasiment lettre morte, les autorités libyennes considérant que les contreparties à leur coopération étaient bien maigres : l'embargo, en vigueur à l'époque, empêchait la livraison des hélicoptères équipés de viseur à infrarouge, vedettes, radars et autres instruments sophistiqués à usage civil et militaire. Un obstacle qui contrariait d'autres projets du gouvernement italien, d'ordre commercial ceux-ci. Une raison de plus pour que, répercutant le chantage libyen sur ses partenaires de l'UE, le ministre italien de l'Intérieur en soit venu, à la fin de l'été 2004, à menacer de rompre unilatéralement le blocus si les négociations n'avançaient pas », est-il écrit dans le document de la Cimade. A cette date, un accord bilatéral avait été signé à Tripoli dont le contenu n'a jamais été rendu public. Les engagements, pris alors par les deux pays, permettaient la réadmission par la Libye des migrants expulsés par l'Italie. Lorsqu'en octobre 2004, indique la Cimade, dans la foulée de la levée de l'embargo, Silvio Berlusconi s'était rendu pour la quatrième fois de l'année en Libye. L'objet de la visite était l'inauguration du pipeline Greenstream, long de 520 km, construit et géré par l'entreprise italienne ENI et destiné à alimenter la Sicile en gaz libyen. Mais dans le même temps était organisée la première vague massive d'expulsions depuis l'île de Lampedusa (1134 personnes refoulées en six jours), et des négociations avaient repris pour la mise en place de patrouilles mixtes italo-libyennes (navales, aériennes et terrestres) destinées à la surveillance des 2 000 km de côtes libyennes et des 4 000 km de frontière qui séparent la Libye de ses voisins. Lors des mêmes négociations, il était convenu que l'Italie assure le financement aussi bien de la construction de plusieurs centres de détention pour regrouper les migrants en provenance d'Afrique centrale que d'un programme de rapatriement de migrants séjournant illégalement en Libye. 5688 migrants clandestins, principalement originaires d'Egypte, du Ghana et du Nigeria avaient ainsi été reconduits par vols charters à la fin de l'année 2008. Les liens « d'amitié » tissés entre les pays et où se mêlaient intérêts économiques et lutte contre l'immigration illégale, s'étaient consolidés en 2006. Une année particulièrement marquée par l'ouverture du premier des trois « centres d'accueil » pour étrangers que Rome s'était engagé à construire en Libye. Au même moment avait été discutée la construction par l'Italie d'une autoroute de 1 200 km le long de la côte allant de la Tunisie à l'Egypte, promise au colonel Khadafi, en échange du règlement d'impayés réclamés par des entreprises italiennes et de visas d'entrée pour les expatriés chassés par le régime libyen en 1970. Tout en continuant à poursuivre l'application des accords signés avec la Libye en 2008, le gouvernement italien continue à jouer la carte de la négociation avec les pays d'origine des migrants clandestins.