Un ancien enquêteur, appelons-le M.B. pour des raisons de sécurité, se présente comme un homme modeste et fier de sa carrière militaire. Il se dit assumer pleinement son passé. A présent, il est content d'avoir rangé son uniforme et jeté ses épaulettes pour couler des jours heureux en compagnie de sa famille et de ses amis. Durant sa carrière, M. B. a eu à conduire les fameuses « enquêtes d'habilitation », qui agréent la nomination de cadres aux fonctions supérieures de l'Etat et les patrons des entreprises publiques. Selon lui, le processus de récolte de renseignements sur un cadre est une entreprise difficile et ses coulisses sont des abysses souvent impénétrables. Notre interlocuteur a relevé d'emblée que les « services », dans un souci de confidentialité, changent souvent les techniques et les méthodes de récolte de renseignements. « Ils font preuve d'une imagination qui dépasse l'entendement », a-t-il estimé. « Les services de la présidence de la République saisissent les services de renseignement, par écrit, pour l'établissement d'une enquête administrative ou d'habilitation sur un cadre ou un candidat à une promotion à un poste important », souligne M. B. Pour ce faire, a-t-il ajouté, « tous les services de sécurité sont impliqués dans la recherche du renseignement ; la gendarmerie, à travers ses brigades de recherche, la police à travers ses Renseignements généraux (RG) et le DRS, véritable colonne vertébrale du renseignement. » Notre interlocuteur a précisé, par ailleurs, que les agents des deux premières institutions, à savoir la gendarmerie et la police, agissent officiellement. Ils rencontrent et auditionnent le concerné, tandis que les agents secrets du DRS opèrent et évoluent dans l'ombre. « La direction centrale du DRS prend attache avec ses sous-directions relevant des différentes régions militaires, suivant, bien entendu, le lieu de naissance et/ou de résidence du candidat objet de l'enquête administrative », explique-t-il. Selon lui, la première phase du processus de récolte de renseignements est la mise en place d'un plan d'action et la désignation d'un enquêteur en chef et de son équipe pour mener l'enquête d'habilitation. Première direction : les archives municipales. « L'agent décline son identité mais veille à bien garder le secret de sa véritable mission. Il demande à voir le fichier correspondant à l'année de naissance du concerné. Pour brouiller les pistes et surtout pour ne pas éveiller les soupçons du préposé aux archives et des autres fonctionnaires, l'agent du DRS demande le fichier de plusieurs personnes à la fois », dit-il. Quels sont les renseignements qui intéressent l'agent ? « Il note les détails de la filiation et les autres renseignements obtenus et établit deux extraits de naissance pour chacune des personnes choisies », a-t-il répondu. En parallèle, ajoute-t-il, « une autre équipe se poste devant le domicile et devant le lieu de travail du cadre en question ; ses mouvements, ses fréquentations, ses habitudes, son train de vie sont systématiquement surveillés de près et un Bulletin de renseignements quotidien (BRQ) est établi ». La filature se poursuivra, par ailleurs, jusqu'à l'établissement du rapport final et la fin de l'enquête. Selon M.B., un agent du Bureau de sécurité et de prévention (BSP) est placé dans le lieu de travail de l'intéressé. Il est également chargé d'établir des BRQ. S'il s'agit d'une personnalité importante (selon les spécificités du poste à pourvoir), le candidat est mis sur écoute téléphonique, note l'ancien enquêteur. « Le même agent, poursuit M.B., se déplace au tribunal territorialement compétent pour délivrer le casier judiciaire (type 1) du concerné ». Après les premiers éléments de l'enquête, les agents d'habilitation prennent attache avec la direction ou la tutelle du cadre en question d'où ils récupèrent son dossier de recrutement pour éplucher son curriculum vitae. Le passé de l'intéressé est dès lors revisité. Son cursus scolaire, du primaire jusqu'à l'université est ainsi passé au peigne fin. Ses attestations de réussite, ses certificats de bonne conduite et ses relevés de notes sont décortiqués et joints au dossier. Les enquêteurs entament une autre étape dans le processus de récolte des renseignements : la carrière professionnelle et politique de l'intéressé depuis le premier jour de son recrutement et de son adhésion au parti. Dans ce cadre, l'article 120 du statut du FLN interdisait l'accès à des postes de responsabilité à ceux qui n'étaient pas militants du parti. La dernière étape est l'enquête sur le patrimoine ou les biens du concerné. « Ce travail, dira notre interlocuteur, se fait au niveau du Cadastre. » Après toutes ces opérations, l'enquêteur en chef établit et signe un rapport de synthèse. « Les rapports de la police et de la gendarmerie ne sont que des appoints au travail des agents du DRS, parce que l'avis favorable ou défavorable dépend dans la plupart des cas, de l'appréciation des agents des services secrets », conclut l'ancien enquêteur.