– Une année après son lancement, quel sentiment vous inspire cette Union pour la Méditerranée ? Certains pensent que cela a été juste un dessein personnel du président Sarkozy pour se donner une aura régionale, voire internationale via cette UPM qui fait un peu doublon avec l'Union européenne… – Tout d'abord, il faut avoir la lucidité de reconnaître que le président Nicolas Sarkozy a eu le mérite de lancer ce projet qui a permis de replacer la Méditerranée au centre des enjeux géopolitiques. En effet, après la chute du mur de Berlin, les pays européens avaient concentré tout leur intérêt sur l'Europe centrale et ils avaient oublié le sud de la Méditerranée, qui est pourtant leur partenaire naturel. Sous l'influence d'une Allemagne marquée par son esprit boutiquier et son désintérêt pour tout ce qui n'est pas son environnement immédiat, le processus de Barcelone ne présentait aucune perspective d'envergure pour le sud de la Méditerranée. Toute différente est l'Union pour la Méditerranée. C'est une grande idée, c'est un projet nécessaire et sa construction est un défi que nous devons relever. Il est clair que le président Sarkozy, qui est un homme qui sait voir loin, a voulu rétablir les équilibres nécessaires entre le nord et le sud de la Méditerranée et engager les pays européens dans une nouvelle forme de coopération avec les pays de la rive sud. Il fallait donc imaginer autre chose de plus égalitaire : un partenariat Nord-Sud. C'est pourquoi nous sommes, heureusement, sortis du processus de Barcelone pour faire autre chose à la fois de plus équilibré et de plus ambitieux. – Pourtant, il a suffi de l'agression d'Israël sur Ghaza pour que ce processus s'arrête net. Pensez-vous que l'UPM puisse réussir tant que le conflit israélo-palestinien n'est pas réglé ? – Partisan du projet d'Union pour la Méditerranée, je suis aussi de ceux qui ont dit, dès le début, qu'il ne fait pas confondre volontarisme et irréalisme. La réalité politique ne peut pas être laissée de côté. Cette réalité est dominée par une série de conflits. La crise majeure est naturellement la question de la Palestine.Bien sûr, on aurait pu rêver que l'UPM pourrait servir de cadre pour favoriser la paix au Proche-Orient, c'est-à-dire le retrait israélien de tous les territoires occupés en 1967 et l'instauration d'un Etat palestinien pleinement souverain, mais cela impliquait un véritable désir de paix de la part des dirigeants israéliens. Hélas, tel n'est pas le cas et la scandaleuse attaque israélienne contre Ghaza, fin décembre 2008, a été un véritable coup de poignard dans le dos de l'UPM. Un camouflet ! Pourtant, cela ne signifie pas que l'UPM s'est arrêtée. Il est d'ailleurs notable que ce sont les deux coprésidents de l'union, la France et l'Egypte, qui ont déployé le plus d'efforts pour arrêter le massacre de Ghaza. Pour le reste, si l'UPM ne peut servir de cadre de paix et contribuer à faire avancer le règlement juste et définitif du conflit israélo-arabe, il faudra en tirer les conséquences et, pour éviter toute paralysie, il vaudrait mieux faire avancer les choses selon une géométrie variable, par exemple en travaillant au sein de l'UPM à relancer le dialogue euro-arabe. Cela aurait le mérite d'éviter des ambiguïtés et de permettre une coopération plus équilibrée entre deux grands ensembles : les 27 pays de l'UE et les 22 de la Ligue arabe. En tout cas, la persistance du conflit israélo-arabe ne peut être un prétexte pour ne rien faire et ne pas prendre les décisions innovatrices concernant l'avenir de notre espace euro-méditerranéen. – Sur le plan structurel, cette Union peine également à installer ses organes exécutifs. N'est-ce pas là une preuve qu'elle a pris un faux départ ? – Je ne pense pas que l'Union ait pris un faux départ mais elle a été rattrapée par la crise du Proche-Orient, avec l'attaque israélienne contre Ghaza. En outre, elle a été reléguée au second plan par la crise financière internationale qui a conduit les pays à rechercher d'urgence des stratégies de sortie de crise. Enfin, en ce qui concerne plus précisément l'installation des organes exécutifs, il faut bien voir que les rivalités interétatiques et les susceptibilités des uns et des autres ont contribué à freiner le processus. A cet égard, il est indispensable de mettre un terme aux querelles stériles entre certains pays du Sud. Mais le processus a tout de même avancé ; un siège a été trouvé à l'UPM : c'est Barcelone. Une coprésidence franco-égyptienne s'est établie. Le reste va suivre, notamment l'installation du secrétariat. Il faut bien voir que nous sommes en présence d'une construction ambitieuse et fondamentale, cela ne se fera ni facilement ni rapidement, mais ce qui importe est la volonté qui sous-tend le projet. Celui-ci n'est pas en panne, malgré ses imperfections dues à la frilosité de nombreux partenaires européens, non méditerranéens, de la France et, il faut bien le souligner, le manque d'engagement résolu de certains pays du Sud. – Avec cette coprésidence franco-égyptienne, on a l'impression que l'exemple du couple franco-allemand au sein de l'Union européenne a fait tache d'huile… – Toute construction politique a besoin de locomotive. Elle doit s'identifier par l'intermédiaire de responsables ou de porte-parole. Surtout, la coprésidence franco-égyptienne traduit bien la volonté de la France de faire en sorte que l'UPM soit un véritable partenariat fondé sur une base égalitaire entre la rive nord et la rive sud. La coprésidence, c'est l'expression d'un projet partagé et solidaire, dans l'égalité des droits et dans le respect mutuel. C'est d'ailleurs tout ce qui manquait à l'ancien processus de Barcelone. Pour ma part, je suis persuadé que le couple franco-égyptien fonctionne d'une façon beaucoup plus sereine, plus confiante et plus franche que le couple franco-allemand. Mais ce couple n'est aucunement exclusif, il est souhaitable que d'autres grands pays s'impliquent, en particulier ceux du Maghreb. – Le sommet de Paris avait opté pour des partenariats bilatéraux à géométrie variable entre les pays membres pour éviter de forcer des digues politiques. Qu'est-ce que cela change, concrètement, avec le processus de Barcelone ? – Il faut répéter qu'il y a une différence fondamentale avec le processus de Barcelone. Il y a un changement total. Piloté par l'administration eurocratique de Bruxelles, le processus de Barcelone a été également marqué par tous les défauts de l'Union européenne : bureaucratique, gagne-petit et sans souffle. A vrai dire, dès le départ, le processus de Barcelone était fondé sur de mauvaises bases. Déjà déséquilibré en 1995, alors que l'Union européenne ne comptait que 15 Etats membres, il l'est devenu encore plus quand l'Union européenne a réuni 27 membres pour une petite dizaine de pays du Sud. Le principal vice du processus de Barcelone venait du fait qu'il était déséquilibré et inégalitaire. Les programmes étaient le plus souvent soumis à des conditions politiques ou sociales et à des pressions de toutes sortes de la part des partenaires européens. Enfin, les concessions se sont faites à sens unique, au détriment des pays du Sud : ouverture de leurs marchés aux produits européens mais restriction à l'entrée des produits du Sud dans le marché des pays européens. L'UPM s'inscrit dans un tout autre cadre : plus pratique, plus égalitaire, plus tourné vers des réalisations communes et concrètes, avec une meilleure implication des sociétés civiles, des acteurs économiques, intellectuels, artistiques. – Beaucoup d'observateurs de la rive sud estiment que l'UPM sert un peu d'instrument politique pour endiguer les flux migratoires vers l'Europe, dans une espèce de coopération à sens unique. Quel est votre commentaire ? – Ce serait un mauvais procès de réduire l'ambition du projet à cet aspect des choses. Le problème des flux migratoires est un problème auquel nous sommes tous confrontés, aussi bien en Europe que sur la rive sud de la Méditerranée. On assiste maintenant à un flux migratoire vers des pays comme l'Algérie, la Tunisie ou le Maroc. Il est clair que l'intérêt commun des pays du sud de la Méditerranée – je pense surtout aux pays du Maghreb – et de ceux du Nord est d'endiguer ce mouvement. On sait bien que ces flux sont organisés par des mafias, des gens sans scrupules, des «négriers» des temps modernes. Ces flux ne règlent aucun problème et ne font pas reculer la misère. Les solutions à la misère sont ailleurs : elles sont précisément dans des projets communs d'aide au développement, dans des formes renouvelées et originales de coopération Nord-Sud. Les solutions passent aussi par la cessation des crises politiques. Souvent, les candidats à l'exode sont les ressortissants de pays frappés par les crises politiques et les guerres : l'Irak, l'Afghanistan, la Somalie… – Quel regard peut-on porter sur l'UPM, un an après la grand-messe de Paris ? – D'abord que la France a été fidèle à une certaine idée d'elle-même en réunissant à Paris tous les riverains de la Méditerranée pour leur proposer de voir loin et de voir grand ensemble. Le meilleur moyen de n'arriver à rien aurait été de rester à ne rien faire et de laisser les autres bâtir l'histoire de demain. Nations européennes et monde arabo-musulman, nous sommes devant un grand défi commun pour construire une intégration régionale qui permettra de fonder un axe euro-arabe, un ordre régional original et une dynamique de partenariat exemplaire. Nous devons être persuadés que nous avons encore un rôle à jouer. Et ce rôle, nous le jouerons d'autant mieux que nous saurons imaginer ensemble une politique de civilisation reposant sur la construction d'un dialogue fécond, faisant de la Méditerranée un nouveau creuset de civilisation. L'UPM est un projet qui s'inscrit dans la perspective d'une politique de civilisation visant à renouer un dialogue constructif entre les grands pôles de nos civilisations voisines et cousines qui sont à la source des hautes valeurs spirituelles, intellectuelles et morales partagées par le christianisme et l'Islam. Cette union est donc une formidable occasion de nous rapprocher pour répondre ensemble aux défis du monde moderne.