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” Entre le profane et le sacré, notre rapport à l'hygiène n'est pas simple “
Publié dans El Watan le 12 - 09 - 2009

Plus de 700 nouveaux cas de grippe porcine ont été recensés en 24 heures en Europe… En Algérie, le ministère de la Santé en est à 43 cas… Plausible ?
J'oserai dire tout d'abord que cette pandémie est une opportunité pour nous. Elle nous permet de mettre à niveau notre système de préparation et de riposte face aux menaces sanitaires. Notre système d'information est classique, fragmenté et routinier. C'est-à-dire que nous sommes plus habitués à fonctionner sur des schémas répétitifs, peu réactifs, sans interrelation et pas du tout innovants. Souvent des réponses à des événements n'ont pas tenu compte des données factuelles et s'appuient faiblement ou pas sur des connaissances validées par des niveaux de preuves élevés et d'un rapport coût-efficacité intéressant. Il est vrai que les avis techniques des professionnels ne sont émis qu'au titre de l'aide à la décision, celle-ci appartient en définitive aux politiques. Par rapport au nombre de cas enregistrés, je dirais que ceci correspond au niveau de circulation des personnes. La majorité des cas sont observés chez des sujets ayant voyagé. Nous nous trouvons dans une situation presque identique à nos voisins marocains (109) et tunisiens (19). Ceci dit, ce n'est pas tant les chiffres qui importent que l'organisation de la surveillance et les procédures mises en place. Nous observons que la réaction du ministère de la Santé a été légèrement décalée dans le temps par rapport au début de la pandémie mais les procédures adoptées correspondent bien à celles recommandées par l'OMS. Il est à rappeler qu'en matière de surveillance de la grippe on surveille le syndrome grippal avec des signes peu spécifiques (fièvre, courbature, asthénie, toux, dyspnée). Deux aspects sont à noter : d'un côté en période épidémique (ou pandémique) la perception du risque chez les professionnels est très sensible et fine, le moindre signe est corrélé à la grippe ; d'un autre côté pour la grippe ou toute autre infection, le sujet contaminé passe par une phase d'incubation (24-48H) sans aucun signe, impossible à déceler à ce stade. Ce qui rend la situation moins aisée c'est l'existence de formes sub-cliniques et asymptomatiques indécelables et donc non reportés dans les statistiques. D'autres facteurs peuvent influencer la fiabilité des statistiques, à savoir l'acceptation socio-psychologique, le niveau de recours aux services, la couverture médicale…
Les 33 postes «sentinelles» sont-ils suffisants pour avoir une idée du nombre de cas ?
Ce n'est pas tant le nombre de postes sentinelles que les critères qui ont conduit au choix des sites qui comptent le plus. Pour d'autres programmes, tel celui pour le Sida, depuis une vingtaine d'années, mais surtout celui de la grippe saisonnière, depuis 2006, l'expérience menée en Algérie a montré des résultats intéressants, notamment en matière de collaboration, à travers les Grog, entre les médecins du secteur public et ceux du secteur libéral. Ceci étant, presque tous les pays qui surveillent la grippe utilisent cette méthode.
La question du diagnostic virologique me paraît en revanche plus pertinente. Il est regrettable de constater que nous fonctionnons toujours avec un seul lieu pour la confirmation du diagnostic virologique à Alger (IPA) et qui traite aussi bien la grippe que d'autres maladies virales, malgré l'existence de quatre autres régions sanitaires comptant sept CHU (Annaba, Constantine, Batna, Sétif, Oran, Sidi Bel Abbès et Tlemcen). Toutes les structures sanitaires du pays s'adressent à ce centre pour tout prélèvement nécessitant une confirmation que ce soit pour la grippe ou pour les autres maladies virales sous surveillance (Sida, poliomyélite, rage, hépatites…). Il est vrai que le niveau de développement de notre pays ne nous permet pas de déployer des laboratoires de niveau de protection P3 (classification correspondant au risque présenté par les virus manipulés, dans ce cas très élevé) partout sur le territoire, mais les techniques moléculaires ont beaucoup évolué permettant la décentralisation de beaucoup de techniques diagnostiques.
Depuis la fin du mois de juillet, l'OMS recommande à ses pays membres de se limiter à un décompte des cas groupés, c'est-à-dire des foyers d'infection. Cette méthode de calcul a depuis été adoptée par la plupart des pays atteints dans le monde. Procède-t-on comme cela en Algérie ?
A un certain stade de la pandémie où la tendance est connue, il ne sert plus à rien de compter les cas individuels. En Algérie, nous ne sommes pas encore à ce stade-là. Nos cas sont liés essentiellement à des expériences de voyage avec quelques cas de contacts secondaires. La transmission communautaire y est encore faible jusqu'à l'heure actuelle. Si nous passons à un autre scénario, comme par exemple un taux d'attaque plus élevé et/ou une transmission communautaire soutenue, il serait alors pertinent d'adopter non seulement un nouveau mode de notification, mais aussi une nouvelle stratégie de prise en charge des cas telle l'hospitalisation des cas graves uniquement, la décentralisation au niveau ambulatoire…
L'Organisation mondiale de la santé a appelé la planète à se tenir prête au choc de la deuxième vague, voire troisième vague du virus, alors que l'hémisphère Nord s'apprête à entrer dans la saison de la grippe saisonnière. Peut-on évaluer l'évolution de la pandémie sachant qu'elle va beaucoup plus vite que les prévisions ?
Alors qu'au niveau de l'hémisphère Nord la première vague a commencé à ralentir dès la 25e semaine (la pandémie a commencé à la 15e), le Sud connaît une flambée à cause de l'hiver austral. Les pays comme l'Argentine, l'Afrique du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont dépassé le pic et connaissent actuellement une tendance à l'accalmie avec la fin de l'hiver en cette 35e semaine de l'année. Selon les spécialistes les régions en zone tropicale seront d'un grand intérêt pour le Nord, notamment avec la rentrée des classes. Ainsi, la situation à Maurice et à la Réunion commence à fournir des enseignements très instructifs. Pour le premier territoire, la rentrée scolaire, en début de mois d'août, a fait flamber la situation atteignant un taux d'attaque estimé à 15%, soit 15 personnes atteintes sur 100 exposées. Pour la Réunion, la rentrée scolaire, qui a eu lieu 15 jours plus tard, a joué le même rôle déclencheur de l'explosion des cas. Quelques jours plus tôt, un éminent spécialiste se demandait sur son blog si la différence entre ces deux territoires était due à la performance du système de santé français (médecins plus compétents, meilleur dispositif de sécurité sanitaire entre autres) ou bien que l'explication soit donnée par les vacances scolaires. Il n'avait pas tort sur ce deuxième point. Il est important de rester vigilant et de suivre la situation mondiale de très près. Toutes les pistes de recherche restent ouvertes. La modélisation mathématique est l'une d'elles qui se fixe comme priorité de mieux connaître la dynamique de la transmission du virus, de caractériser la gravité de la maladie et d'évaluer les effets des interventions de santé (vaccination, traitement antiviral). Ainsi, nous voyons que beaucoup d'incertitudes entourent le sujet. Nous devons déployer d'énormes efforts et nous inscrire dans les dynamiques internationales pour ne plus réfléchir seuls dans notre coin et entre nous. Parmi ces actions, l'évaluation continue de la situation épidémiologique nationale, des interventions mises en place par les pouvoirs publics et des scénarios de riposte compte tenu des évolutions et des leçons de l'expérience mondiale.
Dans le monde, la mortalité par grippe saisonnière est d'environ un cas pour un million. D'après les experts, la mortalité du H1N1 serait cent fois celle de la grippe… Y a-t-il des raisons de s'inquiéter ?
L'imputabilité d'un décès à la grippe est très difficile à établir. Le taux de létalité pour la grippe pandémique que vous avancez est basé sur des estimations obtenues à partir des données provenant d'une population insulaire (Maurice), impossible de collecter par ailleurs, mais qui nécessitent d'être reproduits dans des études plus robustes. La létalité a été calculée à partir des données sur la mortalité directe par pneumonie virale ou syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), qui conduit inévitablement à une prise en charge en réanimation, plus facile à repérer dans les systèmes d'information basés sur les pathologies.
Les autres causes de mortalité directe sont la surinfection bactérienne, la décompensation de maladies chroniques graves. Les services de santé avec capacités de prise en charge en réanimation peuvent estimer leur charge de travail partant de ce chiffre de 1 SDRA pour 10 000 sujets atteints de grippe pandémique. Nous devrions être inquiets si aucun signe de préparation et d'anticipation à faire face à cette situation n'était observé. Un tableau de bord synthétique avec des indicateurs simples et rapides à construire devrait permettre une meilleure visibilité de la gestion de la situation. Enfin, il y aurait inquiétude aussi si tout le monde (décideurs, professionnels de la santé, médias, public) n'était pas prêt à s'impliquer dans le processus : pour les uns dans les interventions médicales (services, médicaments, vaccins…) et pour les autres dans les interventions de santé publique (information, sensibilisation, perception du risque, hygiène…).
Jusqu'à aujourd'hui, seize Saoudiens seraient morts de la grippe porcine en Arabie Saoudite. D'après vous, est-il raisonnable de laisser les gens partir à la omra ou faudrait-il, comme l'Iran, interdire le pèlerinage ? D'autant que l'Algérie a publié une liste de pays où elle déconseille de voyager…
Les données officielles annoncées par le ministère saoudien de la Santé sont de 3500 cas et de 23 décès au 06/09/2009 alors qu'ils étaient de 595 cas confirmés et de 19 décès, dix jours plus tôt, soit 41% de l'ensemble des décès enregistrés dans la région OMS-EMRO, qui comprend 20 pays allant du Maroc au Pakistan. Pour rappel, la Mauritanie et l'Algérie font partie de la région OMS Afrique. Même si l'on considère que les pays sont souverains pour adopter les mesures qui conviennent à leur propre situation, ils sont tout de même tenus de le faire dans les limites des résolutions de l'OMS (règlement sanitaire international de 2005) où la question de la restriction de la circulation des personnes et des biens est centrale et très sensible, et c'est cela qui nous met dans cette situation ambiguë. Si l'OMS considère les rassemblements de masse comme un facteur favorisant la propagation du virus, le comité régional de l'OMS-EMRO du 22 juillet 2009 en s'appuyant sur les travaux du workshop de Djeddah (27-30 juin 2009) a pris la résolution d'autoriser le pèlerinage en maintenant les restrictions aux enfants, personnes âgées, malades chroniques et femmes enceintes. Les deux seuls pays ayant pris une décision, appliquant le principe de précaution, sont la Tunisie et l'Iran pour la omra du Ramadan. Enfin, en ce qui concerne la liste des pays déconseillés pour le voyage, il s'agirait, à mon avis, d'une note informant les voyageurs sur les pays à transmission communautaire et vu sous cet angle c'est une bonne chose.
Les caméras thermiques installées dans les points de transit peuvent-elles déceler le virus avant que les symptômes n'apparaissent ?
Les caméras thermiques ne permettent pas de poser le diagnostic viral, leur seule capacité c'est de déceler une hyperthermie chez les sujets au point et au moment du passage. Les cas dépistés sont ensuite pris en charge par le personnel de santé pour essayer d'expliquer cette fièvre. En cas de doute, les personnes sont orientées dans le cadre du dispositif. Dès le passage à une probabilité plus grande de transmission communautaire du H1N1, les caméras thermiques ne seront d'aucune utilité.
Le ministère de la Santé a aussi annoncé que des millions de masques sanitaires ont été stockés. Comment peut-on savoir si ces «millions» (à usage unique) seront suffisants ?
De quels masques parle-t-on ? Il y a les masques pour éviter de contaminer les autres (de type chirurgical en textile non tissé) et les masques pour se protéger soi-même, le FFP2 (filtering facepiece particles 2), capables d'arrêter 92% de particules, mais qui coûtent très cher. Sachant que la vitesse de propagation de la grippe pandémique est 4 fois plus rapide que celle d'autres virus, que le taux de reproduction de base (nombre de cas générés secondairement par un cas) estimé entre 1,2 et 1,7 dans la plupart des pays (N. Zelande 1,96 et Japon 2,6), que le taux d'attaque avoisinerait les 30% (estimation OMS) et qu'enfin le changement de masques chirurgicaux est fréquent, alors faisons le compte. N'oublions pas que les conditions d'utilisation du masque devraient être standardisées afin de ne pas tomber dans les excès et les abus, puis dans la pénurie. Les Américains le font, même s'ils disposent de 6000 dollars de dépenses de santé annuellement, alors pourquoi ne pas nous en inspirer alors que nous n'en disposons que de 200 dollars !
Idem pour les 6 millions de boîtes de Tamiflu et le million d'unités de Saiflu et des 40 000 unités de Tamivir ?
Nous devons rappeler que les antiviraux sont indiqués pour réduire la charge virale et l'intensité de la maladie chez les personnes déjà infectées, ils ne peuvent prévenir la maladie, ce n'est pas un vaccin. Mais cette seule donnée, concernant les stocks, ne peut nous aider à comprendre la stratégie poursuivie, il faut l'inscrire dans le cadre du plan national de préparation. Plan qu'il s'agira d'évaluer périodiquement pour savoir jusqu'à quel niveau il atteint les objectifs déclarés. Quant au vaccin contre la grippe pandémique, deuxième moyen médical de lutte, nous n'avons aucune idée. Mais ne nous faisons aucune illusion : les quantités produites ont déjà été réservées pour les pays riches. Mais ce qui peut nous rassurer un peu c'est qu'aucune étude sur la sécurité du vaccin anti-grippal (saisonnier ou pandémique) utilisé en population générale n'est disponible et, qu'en fin de compte, l'absence de disponibilité de vaccin devrait orienter notre stratégie sur l'usage rationnel des anti-viraux et l'application des mesures sanitaires générales.
En termes de sensibilisation, on ne voit rien : aucun spot ni à la télé, ni à la radio, aucune affiche… Par quoi faudrait-il commencer ?
Les spots passent en boucle dans la plupart des télévisions et des radios étrangères, ceci contribue à maintenir un niveau élevé d'alerte et de vigilance en matière d'interventions sanitaires générales (information, éducation et communication, hygiène des mains, port de masque, habitudes saines par rapport à la toux, l'éternuement…) chez la population générale. En Algérie, nous avons fort à faire en matière d'hygiène, ce qui n'est pas en faveur d'une atténuation du risque. Notre rapport à l'hygiène n'est pas simple, entre le profane et le sacré, nous nous débattons. Beaucoup d'efforts doivent être entrepris en termes de bonnes pratiques hygiéniques tant lorsqu'on parle, tousse, éternue, se serre la main… Or, c'est là où les gestes élémentaires sont à corriger.
En matière de communication sociale, nous sommes dans la moyenne des pays similaires, 22 communiqués au 28 août 2009 et deux spots radio de 20'' (dans les trois langues), l'un sur les règles d'hygiène et l'autre sur les symptômes de la maladie. Cependant, si les spots sont bien ciblés, les informations contenues sur le site du ministère de la Santé sont trop brutes, sans aucune synthèse et non orientées en fonction des populations spécifiques : professionnels, médias, voyageur, public. Les attentes et les besoins en information des uns et des autres ne sont pas les mêmes, alors demandons-leur, permettons une interactivité entre les responsables de la santé et la population (sites internet, émissions télévisuelles ou radiophoniques), multiplions les vecteurs en plus du numéro vert 3030.
Des campagnes de sensibilisation et d'éducation sanitaires sont prévues dans les écoles qui seront aussi toutes équipées en eau. Qu'en est-il sur le terrain ?
Tout cela a été décidé au niveau central, mais en périphérie, les premiers concernés parmi les professionnels, le personnel de la santé scolaire et universitaire, n'ont pas encore été briefés. Sensibiliser les cadres de l'éducation n'est plus suffisant à ce stade, c'est plutôt les plans de riposte en fonction des scénarios qui doivent assimilés. Nous savons pourtant que la phase de préparation contre toute menace sanitaire est une étape cruciale à ne pas rater. Savoir tirer les leçons des expériences passées ici et ailleurs (débriefing ou retour d'expérience) est un des moyens de la préparation pour ne pas commettre des erreurs évitables. Ainsi, l'expérience de la reprise des cours dans l'île de la Réunion (près de 20 000 cas en une semaine et un absentéisme scolaire de près de 7%, mais sans fermeture d'école) devrait, entre autres, nous servir pour adapter notre plan de lutte, qui ne prévoit “la fermeture des crèches et des écoles qu'en cas de transmission accrue et durable dans la population générale” (phase 6), mais ce plan a été élaboré il y a quatre mois déjà, en mai 2009. L'OMS prévient de la survenue d'une seconde vague de la pandémie dans l'hémisphère Nord, et qu'il semble important de s'interroger sur les actions entreprises jusqu'à présent et de voir dans quelles mesures nous devons incorporer les données nouvelles afin de modifier nos stratégies initiales. Pour terminer, n'oublions pas de rappeler que cette pandémie était prévue dans la fin des années 1970, après la pandémie de grippe asiatique de 1957 (H2N2), puis celle de Hong-Kong de 1967 (H3N2). Le virus H1N1 (variant porcin) a pu réapparaitre, après 20 ans, de manière très localisée et sporadique, notamment à travers l'épidémie de Fort-Dix aux USA en 1976. Avec ses 8 segments d'ARN, le virus possède un grand potentiel de combinaisons. Les autorités sanitaires n'ont droit à aucun répit en matière de surveillance et d'adaptation des stratégies de riposte, mais ceci ne devrait pas nous faire oublier les immenses priorités de santé qui restent à satisfaire.
|BIO EXPRESS|
|Maître de conférences hospitalo-universitaire, Saâda Chougrani, 55 ans, a commencé sa carrière dans des programmes nationaux de santé publique au début des années 1980. Co-coordinateur du comité de lutte contre la dernière épidémie de peste en 2003, il est aujourd'hui membre du Réseau d'économie et des systèmes de santé au Maghreb (RESSMA), créé en 1994 à Ghardaïa. Ce réseau dispense un cours annuel à Marrakech, des cours spécialisés en Tunisie, sur la Sécurité sociale, et projette de lancer un cours destiné aux professionnels de l'information à Oran. |


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