Beaucoup d'entre nous s'en souviennent. Lui, c'est notre Pelé à nous, ce joyeux luron, cette cerise sur le gâteau d'un Chabab euphorique, dominateur et rayonnant des années 1960 auquel il a donné sa touche déroutante et envoûtante. «Ce n'est pas ce geste qui fait ma fierté, mais le privilège d'avoir joué à 22 ans contre le meilleur joueur du monde.» C'est lancé comme une boutade avec la plus grande modestie du monde. Salmi Djillali ne veut aucune étiquette accolée à sa carrière. Cheveux gris, coupés courts, silhouette fine, Djillali se montre chaleureux et distant en évoquant son riche parcours de footballeur, le plus gros passé à Belcourt. C'est d'ailleurs dans ce quartier populaire de la capitale que Djillali est né le 4 septembre 1946, «plus précisément à la rue Charles Sebencq qui se trouve au-dessus de la clinique Sakina, à l'Allée des Mûriers. C'est ce quartier qui a bercé mon enfance.» C'est dit avec une forte dose de nostalgie. Il se remémore sans doute l'époque où taper dans le ballon était un bon moyen de tromper la misère. A l'école «Oliviers», il boucle son cycle primaire pour décrocher son certificat d'études. Doué, il s'inscrit au concours du collège technique commercial, chemin Ghermoul, où il est admis aux études de comptabilité. Il en sort avec un brevet qui lui ouvre les voies d'un emploi stable. A l'indépendance, sa famille déménage aux Sources. «C'est là que je me suis fait de nouveaux amis, comme Abderrahmane Zaïr, Amoura Mesbah qui jouaient au football à l'OMR. Ce sont eux qui m'ont encouragé à signer au Ruisseau, sachant que j'avais déjà évolué à l'USHA avec les Aïssiou, Abbas, Hama, Oulkhiar…». Un Jeune très doué A l'OMR, Djillali reste 3 ans. «Avec des hommes comme Khabatou et El Kamal on ne pouvait trouver mieux en matière d'encadrement. C'était des pédagogues et des éducateurs. J'ai beaucoup appris à leur contact, comme j'ai côtoyé des gars merveilleux comme Guerenzi, Kennas, les Hamouche, Kamel Beroudji, Ichalalène et surtout Omar Rezoug qui a été pour beaucoup dans mon intégration dans le club, en fait une véritable famille. Je n'omettrai pas de citer aussi les M'hamsadji, Rachid Lamali et Zoubir Benganif qui entraînait les juniors». Pour Djillali, l'OMR c'était déjà un avant-goût de ce qui l'attendait. On parlait de lui avec des éloges flatteurs dans son ancien quartier. Pourquoi ne pas défendre ses couleurs «Rouge et Blanc» ? «Toute ma famille aimait le CRB. A l'époque, le président du Chabab, Kaoua, était l'ami de mes frères. Et puis, j'avais une envie pressante de changer d'air, j'avais hâte de sortir de ma coquille et de me mesurer aux grands. Les contacts ont été rapides et je n'ai pas tardé à endosser le fameux maillot «V», malgré la rigidité de la réglementation qui imposait la licence «B». Je suis resté un an en marge, en évoluant chez les réserves, pour ne pas rester inactif. J'étais heureux et soucieux à la fois. Jouer aux côtés de «monuments» et remplacer un pilier comme le regretté Ahmed Zitoun qui venait de quitter le club ? Les appréhensions me submergeaient mais j'ai tenu bon.» Le premier match, le baptême du feu, on s'en souvient forcément. Djillali l'évoque avec émotion : «C'était en 1967, CRB-USM Annaba au 20 Août. Tout le stade m'attendait. Lemoui qui venait de prendre l'équipe avait aligné une pléiade de jeunes, les titulaires ayant boudé pour une question de primes. C'était mon examen de passage. J'avais fait un grand match et permis à Kalem de marquer à quatre reprises. On a gagné 4 à 0 et le stade a vibré. Puis tout s'est enchaîné. On a inscrit 12 buts en 3 matches, dont 11 signés Kalem. Puis j'ai appris à m'intégrer dans cette machine animée par des monuments comme Lalmas, Arab, Achour, Hamiti, Djemaâ, Kalem. On faisait corps et on lisait le même football.» Lalmas, Un maître à jouer Salmi a apporté une note de fraîcheur et de fantaisie, faisant la gloire du Chabab qui écrasait tout sur son passage. Pourquoi le CRB dominait-il allègrement ses adversaires ? «Il y avait des individualités incontestables qui savaient mettre leur talent au service du collectif. Et puis, rares sont les équipes qui avaient un animateur de la trempe de Lalmas qui était un parfait chef d'orchestre. On se comprenait sur un simple geste, un simple clin d'œil. Ça aussi c'était notre force.» Salmi «explosa» lors d'un inoubliable Algérie-Santos à Oran, à la fin des années 1960, où le roi Pelé avait brillé de mille feux, tout en concédant ce fameux «petit pont». «Ma grande joie, je dois l'avouer, c'est d'avoir eu l'honneur de jouer contre lui et d'avoir réussi un grand match. C'est ce que je dois mettre en évidence et non le côté anecdotique. Une année après, Pelé a gagné la Coupe du monde au Mexique !». Djillali se souvient des faits marquants qui ont jalonné sa carrière. Il peut en citer à profusion, précisant qu'à son époque le foot était relevé et chaque équipe de l'élite possédait au moins un international en puissance. Lorsqu'on lui demande quel est l'entraîneur qui l'a marqué, Djillali, sans hésiter, cite «Khabatou qui a été toute une école pour moi. Quand on a 17 ans et qu'un jour le coach vient vers toi pour te dire : ‘‘petit, aujourd'hui tu joues en séniors, tu vas être un homme.'' A ce moment-là, il t'enlève une partie de ton adolescence. Mustapha El Kamal, un sage, était un père pour moi. Ahmed Arab, un homme merveilleux, parfois dur, mais avec le temps on a compris qu'il fallait agir de la sorte avec des stars. Avant, c'était le défenseur qui était avantagé. C'est vous dire la tâche ingrate de l'attaquant». Le sport, c'est un formidable vivier où même les anecdotes ont leur place. «En 1974, il y avait Achour comme entraîneur. Les stars étaient parties. On jouait à Oran contre l'ASMO. J'étais capitaine. Achour c'est mon ami et aussi mon entraîneur. La veille du match, on est restés longuement pour étudier la stratégie à appliquer sur le terrain. On avait arrêté la manière d'évoluer. Le lendemain, aux vestiaires, arrivée impromptue de deux dirigeants qui avaient pris en aparté Achour qui, contre toute attente, me laisse remplaçant sous prétexte de manque d'entraînement. Je n'ai pas accepté cette décision en feignant de partir. Je suis resté quand même sur le banc. A la mi-temps, Achour m'interpelle. Maintenant, tu peux rentrer. Sèchement, je lui rétorque : fais rentrer plutôt tes dirigeants. En fait, j'en rajoutais. Je suis rentré. On était menés 2-0. J'ai égalisé à 2 -2. A la fin, Achour est venu me dire, ‘‘je t'ai fait reposer exprès pour la deuxième mi-temps''. J'avais tout compris.» Les mentalités ont changé A 63 ans, Djillali jette un regard critique sur le football qu'il a côtoyé en qualité de dirigeant, aussi, lorsqu'il a présidé aux destinées du Chabab. «C'était en 1996, le CRB était jeté à la rue, délaissé par mes prédecesseurs. Les joueurs avaient été libérés. Il n'y avait pratiquement rien. Je ne sais même pas comment je me suis retrouvé candidat à la présidence. Il y avait des clans et des querelles à n'en plus finir. Certains ne voulaient pas de moi et passaient leur temps à me dénigrer, alors que je ne connaissais que très peu le nouvel environnement du club. Même les joueurs étaient méfiants. Un jour, un élément-clef de l'équipe est venu me réclamer 120 millions pour la signature. Je lui ai proposé 60. Il a refusé et m'a tarabusté. Je lui ai proposé un marché. Je te donne la première somme et 10 millions pour chaque but marqué. Cela lui a donné à réfléchir. Il était moins offensif. Après tergiversations, il a fini par accepter. Je suis resté quatre ans à la tête de l'équipe avec laquelle on a remporté la première coupe de la ligue puis le championnat avec panache en 2000. Il y avait une osmose complète. Toute la famille s'était retrouvée autour de ses véritables valeurs. Il y avait un retour de l'esprit du Chabab qui avait gagné tout l'environnement. J'en tire une fierté et je félicite tous les partenaires. Je suis heureux d'avoir remporté le titre national après 30 ans de disette.» Son appréciation sur le CRB actuel ? «Chaque club a ses valeurs. Celui qui vient et n'assimile pas ces valeurs ne peut faire avancer le club. Aujourd'hui, d'une manière générale, c'est la rue qui décide.» Djillali confie sa tristesse de voir notre foot péricliter. Il rit. Un peu jaune. Touche du doigt sans s'appesantir sur les maux qui rongent le sport-roi. «Le foot actuel a dévié de son esprit originel. On a plus mis en évidence les moyens. Regardez, Annaba, Sétif et d'autres équipes qui ont peu de joueurs du crû, allant faire leur marché ailleurs à coups de millions. Les dirigeants mentent aux joueurs car personne n'a les moyens de sa politique si tant est qu'il en existe une. Rares sont ceux qui ont une culture du sport. On ne parle que d'argent et je crois que la faillite du football provient de là». L'équipe nationale ? «Regardons la composante. C'est un bon indice. L'équipe, composée en majorité de «pros», a fait un excellent parcours. Les joueurs ont de la valeur ! C'est le dernier virage. Saâdane a son idée sur la suite des événements. Je suis convaincu que si on passe le Rwanda, on ne perdra pas en Egypte ! Les joueurs ont l'esprit «pro» et feront tout pour arriver. Il y va aussi de leur carte de visite. Qu'ils nous fassent rêver…». |PARCOURS| |Né en 1946, Djillali est issu d'une famille de 9 enfants. Enfant de Belcourt, il a une relation charnelle avec ce quartier. De famille modeste, son père, Abdelkader, était graisseur et travaillait dans le transport vers le Sud. «On ne le voyait pas souvent. Il s'est sacrifié pour subvenir aux besoins de la famille. C'était un père merveilleux». Salmi a connu sa première sélection en équipe nationale sous la houlette de Saïd Amara qu'il salue au passage. Il a participé à la première coupe d'Afrique en 1968 avec l'EN que dirigeait Lucien Leduc. Mais le match le plus mémorable où il a fait sensation est Tunisie-Algérie en Coupe du monde (0-0) où il a tiré son épingle du jeu parmi 7 professionnels aguerris. Salmi a pris part à la finale de la Coupe du monde militaire disputée à Athènes contre la Grèce en 1968. «Je tiens à rendre un hommage particulier au défunt Zerhouni Mokhtar qui présidait aux destinées du sport militaire et Ahmed Arab, alors entraîneur». Salmi, depuis sa retraite footballistique, s'est converti dans les affaires.|