– Novembre 1989, novembre 2009. Qu'est-ce qui a véritablement changé ? – Le monde soviétique a disparu, mais contrairement à ce que pouvait laisser penser Francis Fukuyama dans son essai The last man…, traduit par la «fin de l'histoire», celle-ci ne s'arrête évidemment pas ; elle prend d'autres chemins de traverse. La Chine communiste, effrayée par ce qui s'était passé chez les voisins «frères» et «adversaires», s'est convertie sans état d'âme au «capitalisme d'Etat» plus violent que le capitalisme libéral qui a permis le développement du «monde occidental» mais symbolise le développement rapide d'une partie du monde considéré jusqu'alors comme «tiers», qui bouleverse l'économie mondiale. Les Etats-Unis, qui apparaissaient comme vainqueurs de leur confrontation avec l'URSS, ne sont plus maîtres des opérations comme cela avait été le cas après la Seconde Guerre. Le monde bipolaire a fait place à un monde multipolaire beaucoup plus incertain, plus risqué sans doute, mais riche d'évolutions positives pour une majorité de l'humanité dont le niveau de vie s'améliore rapidement. En revanche, pour ceux qui ont raté la marche du développement, la situation risque de se détériorer, d'autant que les richesses de la Terre ne sont pas inépuisables. Seul un gigantesque effort universel d'instruction, de développement technique et scientifique permettra de compenser. Pour l'Europe, la situation a complètement changé puisque les pays dominés par l'URSS sont presque tous devenus membres de l'Union européenne et espèrent s'enrichir rapidement, à l'instar de leurs devanciers sortis de la dictature comme l'Espagne et le Portugal ou de l'archaïsme comme l'Irlande. Mais là aussi, la transition est plus longue, plus lourde que beaucoup ne l'avaient espéré mais que certains ne l'avaient craint. – Beaucoup pensent qu'il subsiste encore un mur «mental» entre les Allemands de l'Est et ceux de l'Ouest. Partagez-vous cet avis ? – Les mentalités, les comportements ne changent pas sur simple décision politique. Comme cela vient d'être dit, la transition est longue et l'est de l'Allemagne est loin d'avoir rattrapé l'ouest, malgré les dépenses considérables engagées. On crédite le chancelier Kohl de la réunification du pays, mais dans le futur, on le débitera de la parité entre les deux monnaies qui handicape toujours l'est de l'Allemagne. Ce sont les seuls pays entrant (de facto) au sein de l'Union européenne qui n'ont pas été soumis aux lourdes et longues contraintes de l'adhésion à l'euro qui ne cherchent pas à punir les candidats mais à limiter les conséquences négatives de la parité monétaire. L'Allemagne de l'Est continue à voir sa population diminuer. Ceux qui restent et qui sont vieillissants peuvent soutenir une certaine nostalgie. Mais un récent sondage souligne que seuls 20% regrettent la disparition de la RDA, ce qui correspond grosso modo au potentiel électoral d'un parti communiste. – Pensez-vous que la chute du Mur de Berlin a consacré la promesse d'un monde meilleur ? – Le risque de guerre n'était plus important en Europe mais la «confortation» de l'Union européenne en fait un exemple utile. Après s'être déchirée pendant 75 ans, l'Europe construit, avec difficulté, trop de lenteur, un système inter-étatique apaisé à l'intérieur, peu agressif à l'extérieur et qui cherche à apporter le bien-être à son peuple, y compris aux nouveaux entrants et migrants qui parviennent à se faire accepter. De manière générale, un événement important, mais réduit au niveau des temps historiques, n'est pas à même d'apporter l'espoir d'un monde meilleur ; c'est la responsabilité des hommes, de tous les hommes, de tout temps.