Pendant que l´Europe part chaque jour vers de nouvelles conquêtes et sert de locomotive à des pays très arriérés économiquement, de l´autre côté de la Méditerranée, la hache de guerre est toujours déterrée. Les Etats européens ont décidé de se déclarer la paix après la Seconde Guerre mondiale et de porter leur agressivité sur le théâtre de la conquête, par le savoir, de nouveaux mondes. L´impérialisme est toujours là, il est devenu technologique: il est protéïforme. On ne peut qu´éprouver un sentiment de frustration, voire de jalousie quand on voit ces pays, hier encore ennemis irréductibles, se congratuler et être véritablement heureux d´être dans l´Europe. La présidente ayant fait les choses en grand a pratiquement invité, sans exclusive, tous ceux qui ont fait l´Europe Depuis la chute du mur de Berlin, qui correspond globalement avec la tentative maghrébine de créer les conditions de l´Union, le monde a profondément changé. Comme l´écrit si bien Thierry de Montbrial: Le monde bipolaire a disparu avec la chute de l´Union soviétique, en 1991. Le monde monopolaire qui a émergé des décombres du système communiste pourrait ne pas survivre aux élections américaines de mi-mandat, en novembre 2006. Celles-ci ont mis un terme à la toute-puissance de George W.Bush. Au cours des années 1990, les Etats-Unis dominèrent le monde, si l´on peut dire, par défaut. On avait, d´un côté, une Amérique en plein essor économique, dotée de capacités technologiques en matière militaire sans équivalent ailleurs, et auréolée de l´image du vainqueur, l´idéologie libérale ayant gagné la guerre froide. En face d´elle, une Chine, certes, en pleine expansion, mais encore loin du peloton de tête et en proie aux affres du sous-développement; un Japon comme frappé de paralysie depuis la fin des années 1980; une Inde sortant à peine d´une stagnation longtemps entretenue par les choix idéologiques du Parti du Congrès; une Union européenne déstabilisée par la perspective d´avoir à absorber les Etats qu´on appelait précédemment les pays de l´Est; une Russie, enfin, tellement délabrée qu´on a pu se demander si elle n´allait pas se décomposer jusqu´à se réduire au grand duché de Moscou... Tout a basculé avec le nouveau siècle. Les attentats du 11 septembre 2001 ont fait prendre conscience d´un nouveau type de risque, qu´on a appelé hyperterrorisme, non directement lié aux Etats. En décidant d´intervenir en Irak, l´Amérique a involontairement contribué à l´accroissement des désordres, et donc des menaces au Moyen-Orient. L´image d´une suprématie militaire fondée sur la technologie s´est brouillée. Depuis novembre 2006, la question n´est plus de savoir si les Etats-Unis vont retirer leurs troupes, mais quand et comment. Le rêve d´un Grand Moyen-Orient démocratique s´est évanoui. Chacun sait désormais que le colosse technologique américain a des pieds d´argile. Le Japon est sorti de sa relative hibernation et multiplie les signes d´un appétit retrouvé pour la puissance. L´Inde bénéficie de sa conversion partielle au libéralisme économique du début de la précédente décennie et entend marquer le système international de son empreinte, notamment dans le domaine commercial. Quant à la Russie, elle est en pleine renaissance, au grand dam des idéologues occidentaux, qui déplorent le recul de la démocratie. Lorsque Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, en mars 2000, l´Etat était en pleine déconfiture. Sur le plan extérieur, le retour de la Russie est manifeste. Le monde est donc en train de devenir multipolaire. La distribution des rôles est, cependant, loin d´être stabilisée. Les Etats-Unis se portent toujours fort bien sur le plan économique. La Chine doit faire face à de redoutables problèmes sociaux et environnementaux. Le Japon ne paraît nullement prêt à affronter son protecteur. L´Inde reste une puissance essentiellement régionale. L´Union européenne est loin de pouvoir se présenter comme un acteur cohérent. Et la Russie est un pays en convalescence. Sur un autre plan, ce système multipolaire en voie de formation diffère à plusieurs égards, en dehors du nombre, de l´ancien système bipolaire. Aujourd´hui, les pays occidentaux s´en prennent à la Chine ou à la Russie au nom de la démocratie et des droits de l´homme. Les pays concernés leur reprochent leur arrogance, mais ils reconnaissent devoir évoluer dans cette direction, à leur rythme. Il en résulte que la rivalité entre les pôles concerne davantage les dimensions classiques de la puissance (économique, militaire, territoriale..) que l´idéologie. Ni la Chine ni la Russie n´entendent remettre en question leur ouverture à l´Ouest sur le plan économique. Cette stabilité de l´Europe a un nom: l´abnégation des pères fondateurs qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ont décidé de construire l´Europe. Ils étaient six, avec notamment le Français, Jean Monnet et le Belge, Paul Henri Spaak. Ce fut la Ceca: La Communaué européenne du charbon et de l´acier. Cette ost-politik, l´Allemagne en fut le moteur. La création de l´Union européenne doit beaucoup à deux géants, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer; ils se sont embrassés une fois d´une façon historique et définitive, ils venaient, par ce geste, effacer deux siècles de haine, de suspicion mutuelles, ce n´était plus le boche, ce sera l´allié. Le plan Marshall aidant, l´Europe profita des Trente Glorieuses pour s´édifier et graduellement la Ceca devient l´Union européenne et absorba une vingtaine d´autres pays en l´espace de cinquante. La chute du mur de Berlin joua en faveur de la réunification des anciens pays de l´Est, hier encore ennemis de l´Occident. La Turquie, candidate depuis plus de quarante ans, est toujours ignorée. Cela est, de notre point de vue, normal si on se rappelle de la phrase d´un dirigeant turc: l´Europe est un club chrétien. Pour aller dans ce sens, le pape Benoît XVI a admonesté l´Europe pour ne pas faire suffisamment mention de l´héritage chrétien. Parmi les défis qui agitent l´Europe, l´énergie et les nouveaux métiers. Comme l´écrit Daniel Cohn-Bendit: Certains prétendent que les avancées dans la construction européenne se sont produites face aux défis. Ironie du sort ou pas, l´Union européenne est aujourd´hui renvoyée à un défi des origines. Six ans avant les traités de Rome et d´Euratom, les six pays fondateurs signaient le traité sur le charbon et l´acier. Cinquante ans plus tard, les Européens doivent réduire leur dépendance énergétique, assurer la sécurité d´approvisionnement, mais en tenant compte, cette fois, de la dégradation climatique.(1). S´agissant des futurs métiers de l´ingénieur, le débat fait rage. On peut définir un métier comme un ensemble de compétences portées par un individu, mises en oeuvre dans un contexte professionnel précis, et valorisées au travers d´un statut professionnel. Un nouveau métier semblerait pouvoir être défini par une évolution concomitante marquée des compétences ou du contexte. Cette approche ne décrit qu´imparfaitement le cas de l´ingénieur, puisque celui-ci doit, à tout moment, faire la preuve de sa capacité à faire face à de nouvelles situations et à adapter ses compétences. L´ingénieur est ainsi, par construction, constamment projeté vers de nouveaux métiers. On ne peut alors parler de nouveaux métiers pour l´ingénieur que lorsqu´il y a une véritable rupture, impliquant une actualisation des connaissances et des outils de base. Dans ces conditions, l´identification des nouveaux métiers doit se faire à partir des ruptures. Seules les mutations qui impliquent un changement profond d´approche sont à prendre en considération. Sous cette réserve, on peut identifier des mutations techniques ou des évolutions répondant à ce critère. -Les nouvelles technologies de l´information et de la communication. L´informatique a remodelé les emplois techniques depuis son introduction dans l´entreprises dans les années 60. -Les technologies génétiques, qui ont des potentialités extraordinaires, en particulier dans le domaine de la santé. On doit admettre que, pour le moment, ce secteur n´est pas très demandeur d´ingénieur. -Les nanotechnologies qui devraient progressivement modifier en profondeur de nombreux produits. Cette liste ne ferme pas naturellement, la liste très longue des domaines techniques où des mutations parfois importantes se produiront. On peut citer, par exemple, le secteur des textiles, qui va devoir maîtriser l´élaboration de produits comme les bio-textiles, les textiles cosmétiques, les non-tissés, les géomatériaux, les textiles hybrides associant fibres et plastiques.... Pendant que l´Europe part chaque jour vers de nouvelles conquêtes et sert de locomotive à des pays très arriérés économiquement de l´autre côté de la Méditerranée, la hache de guerre est toujours déterrée. L´espoir qu´a suscité la mise ne place de l´Union du Maghreb est vite retombé. Nous sommes plus atomisés que jamais. A ce jour, rien de concret n´est sorti en l´espace de dix-huit ans. Il faut bien comprendre que personne au Nord ni au Machreq n´a intérêt à ce que les Maghrébins réussissent à s´entendre. Il n´est que de voir, à titre d´exemple, les accords conclus en ordre dispersé avec l´Union européenne. C´est un gigantesque marché de dupes. Peut-être qu´il serait judicieux de commencer les systèmes éducatifs maghrébins, mettre ses forces en commun pour prévoir les nouveaux métiers dans un cadre intégré. A cet égard, l´adoption du LMD par les trois pays pour être en conformité avec les standards européens est, de ce point de vue, une bonne chose. Peut-être qu´il serait bon de commencer à réfléchir à une politique maghrébine, notre destin ne se trouve pas dans une hypothétique alliance énergétique à dix mille kilomètres, il est là au Maghreb. 1.Daniel Cohn-Bendit: L´Europe face au défi de l´énergie, Le Monde 20.03.07