Interrogez des élèves de terminale d'Alger, d'Oran ou de Béjaïa. Connaissent-il le général Mohamed Bellounis ? A cette question, vous avez une chance sur 100 000 d'obtenir une réponse positive. Chef de l'Armée nationale du peuple algérien (ANPA), le bras armé du Mouvement national algérien de Messali Hadj, Bellounis commandait un maquis contre-révolutionnaire pour s'opposer au FLN durant la guerre d'Algérie. Un traître, bien sûr. La place des traîtres n'étant pas dans les manuels scolaires, il faut donc rendre grâce aux historiens pour nous restituer la face sombre et cachée de la guerre d'Indépendance. Parmi eux, Phillippe Gaillard, journaliste et ancien correspondant de presse à Alger à la fin de la guerre d'Algérie, auteur de L'Alliance, la guerre d'Algérie du général Bellounis (Editions l'Harmattan), signe un remarquable ouvrage qui retrace l'équipée de ce général qui a voulu faire la guerre au FLN, mais qui finira exécuté de quatre balles dans la poitrine. Un renégat certes, mais non un personnage, ce général autoproclamé. Originaire de Bordj Menaïl, fils d'un paysan aisé, le jeune Bellounis fréquente l'école française jusqu'au certificat d'études. Sans être un intellectuel, le jeune homme n'est pas moins lettré. Mobilisé lors la Seconde Guerre mondiale sur le front à l'est de la France, il rentre au bled en 1942 après avoir été blessé et fait prisonnier par des Allemands. Militant du PPA-MTLD, propriétaire exploitant dans sa région natale, il devient un ponte du parti de Messali Hadj, tant et si bien que lorsque celui-ci entreprend une tournée en Kabylie en mars 1947, le zaïm ainsi que Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella et Rabah Bitat sont logés dans sa ferme. Militant de la cause nationale entre 1947 et 1954, Bellounis tourne casaque lorsque la guerre de libération éclate. D'emblée, lui choisit son camp : il fera allégeance à Messali Hadj plutôt qu'au FLN. Dès les premiers mois de 1955, ce dernier le charge de créer des maquis en Kabylie pour le compte du MNA. Bellounis en prend le commandement et installe son quartier général dans les forêts de Guenzet, un massif montagneux qui s'étend de Sétif à Akbou. Les dirigeants du FLN laissent faire et ne voient pas l'implantation de ces maquis d'un mauvais œil. Mais voilà, Abane Ramdane, qui venait d'être libéré de la prison d'El Harrach après deux ans de prison, tolère mal cette situation. C'est alors qu'il écrit une lettre aux dirigeants du FLN restés au Caire. «Nous sommes résolus à abattre tous les chefs messalistes», écrit-il. Un tournant, cette missive. Dès lors, en décembre 1955, le colonel Amirouche, chef de la zone de la Wilaya III, à la tête de plusieurs centaines de combattants, fend sur Guenzet pour en finir avec Bellounis. Ses fantassins réduits en charpie, ce dernier prend la fuite et se refugie dans le Sud. Avec les rescapés, il parvient néanmoins à se réimplanter en Kabylie. A-t-il été pourchassé à nouveau par les combattants de l'ALN ? Citant Zineb Bellounis, la fille du général ainsi qu'une note de la police judiciaire de Bouira du 9 mars 1965, Philippe Gaillard affirme qu'un accord est intervenu au terme duquel le MNA obtient autorité sur les versants sud et ouest du Djurdjura, alors que le FLN dispose du versant est. Et Philippe Gaillard de raconter les détails d'une anecdote cocasse. Au cours d'une opération de l'armée française dans le Djurdjura, un lieutenant découvre Bellounis caché dans un buisson. Les deux hommes se connaissant, le soldat poursuit alors son chemin sans mot dire. Bellounis s'en sort indemne. Ce lieutenant s'appelle Ahmed Bencherif et ralliera l'ALN le 30 juillet 1957. Plus tard, il deviendra ministre et haut gradé de l'armée algérienne. L'allégeance du général Bellounis à l'armée française intervient le 31 mai 1957, quatre jours après le massacre de Melouza. Face au capitaine Pineau du Centre de renseignement et d'opération du gouvernement général (CROGG) venu ce jour-là prendre acte du ralliement, Bellounis pose ses conditions : que Messali Hadj et le MNA soient considérés comme des interlocuteurs dans le futur statut de l'Algérie, qu'il soit reconnu comme commandant en chef de l'ANPA, le bras armé du MNA. En échange, il assure de sa disponibilité à faire la guerre au FLN. Son maître n'a-t-il pas déclaré un jour qu'il «est de salubrité publique de combattre le FLN, par tous les moyens, même au bénéfice du colonialisme» ? A la tête d'une armée de 4000 hommes, financés et équipés par l'armée française, solidement cornaqué par les services spéciaux, le général Mohamed Bellounis règne sur territoire qui comprenait une partie de la Kabylie, de Djelfa et de Bou Saâda. Entre 1957 et 1958, au cœur de l'insurrection, Bellounis caresse le rêve de négocier l'Indépendance avec la France après avoir éliminé ou contribué à éliminer le FLN qu'il qualifiait de «suppôt du communisme et de l'impérialisme soviétique». Sa chute, Bellounis l'entamera en mai 1958, lorsqu'il adresse un courrier à Guy Mollet, président du Conseil et au général de Gaulle, les menaçant de retourner les armes contre les troupes françaises s'ils n'accédaient pas à ses desiderata. Trop c'est trop. La France décide de lâcher ce général en goguette. Ou Bellounis rentre dans les rangs ou il disparaît. Lâché par l'armée française, «le général du désert» connaîtra une fin aussi peu glorieuse que le combat qu'il mena contre sa patrie. Ironie de l'histoire, lui le suppôt de la France, sera capturé par un peloton blindé du 27e régiment des dragons le 14 juillet 1958 dans le Djebel Zemra, non loin de Bou Saâda, avant d'être abattu de quatre balles dans la poitrine alors qu'il tentait de prendre la fuite. A-t-il été tué par des Algériens ralliés à la France ou par des soldats français ? A ce jour, on ne connaît pas encore la vérité. Cela dit, le 2 août 1958, «La voix de l'Algérie », la radio du FLN qui émettait du Caire, annonce que «le traître Bellounis a été exécuté par des patriotes du FLN». Ainsi s'achève la brève épopée du général Bellounis.