Au moment où le cinéma en Algérie, au Mali et ailleurs se range dans une situation précaire et incertaine, voici qu'au Maroc, le mécanisme de production se met comme par miracle à fonctionner. Si l'on se refère seulement à l'Algérie, le cinéma a vécu dans les années 1970-80 des années heureuses. Ce fut une période de production abondante et de qualité. Les cinéastes tournaient dans des conditions uniques, avec des budgets importants et des succès mérités : Chronique des années de braise, de Mohamed Lakhdhar Hamina, Palme d'or à Cannes en 1974. Les critiques étrangers étaient alors frappés positivement par la rigueur du travail des Youcef Tobni, Slim Riad, Mohamed Bouamari, Brahim Tsaki et beaucoup d'autres réalisateurs. La virtuosité des techniciens et des acteurs algériens faisait aussi l'admiration. L'Etat algérien (et ses revenus pétroliers) était alors attaché au cinéma et avait une vive conscience de son utilité. Les revenus pétroliers sont toujours là, mais le cinéma est totalement largué aujourd'hui. Sauf dans des circonstances exceptionnelles comme le Panaf' 2009, l'Etat s'est retiré, laissant la place aux coopératives privées aux moyens financiers limités et aux cinéastes qui courent individuellement derrière des budgets sans toujours les trouver. Sans trop généraliser, dans le reste du continent, la plupart des Etats n'ont aucun rôle déterminant dans le domaine culturel et ne financent pas le cinéma. Au Mali, Souleimane Cissé a failli changer de métier. Pendant une longue période après son dernier film Waati qui date de 1995, il a fait le siège des banques et des ministères d'Afrique sans pouvoir produire une seule image. Jusqu'à cette année, où par un heureux miracle il a présenté, à Cannes, son nouveau long métrage Fin Yé. Quatorze ans de galère, ça marque terriblement un artiste, sa créativité et sa confiance en soi. Paradoxe africain : au moment où le cinéma en Algérie, en Tunisie, au Mali et ailleurs se range dans une situation précaire et incertaine, voici qu'au Maroc, le mécanisme de production se met comme par miracle à fonctionner. L'an dernier, 25 longs métrages marocains étaient en compétition au Festival national de Tanger. Le cinéma marocain enregistre plus de recettes que Harry Potter ou Spiderman dans des salles rénovées et bien entretenues. De jeunes cinéastes marocains émergent, à l'image de Nourredine Lakhmari, primé récemment au festival de Taormina pour son excellent Casanegra où il chasse le discours langue de bois de certains de ses aînés pour s'adresser avec brio à une jeunesse marocaine, anxieuse et désorientée. Les dures réalités économiques et politiques en Afrique obscurcissent les perspectives d'avenir du cinéma. Si au Maroc, il y a des salles attrayantes, un studio moderne à Ouarzazate et des enveloppes budgétaires suffisantes, ailleurs, le terrain du cinéma est miné et faute de moyens, les cinéastes peinent à s'exprimer. Ces mêmes cinéastes se tournent en dernier ressort vers l'Europe et sont souvent réduits à fabriquer des histoires qui plaisent d'abord à leurs producteurs européens. Cette situation évolue cependant, comme dans la musique et la littérature : les cinéastes qui ont du talent ne font aucune concession. On n'est plus au temps de : « oui patron, merci patron, vous avez raison patron ! ». De plus en plus, la direction prise par les cinéastes d'Afrique est celle de Rachid Bouchareb, Hailé Gérima, Abderrahmane Cissako, Mahamet Salah Haroun ou de Tariq Téguia qui ont repoussé les limites de la liberté de création. Ils ont démontré à la fois leur talent et leur savoir-faire et surtout rencontré un large public au niveau international.