Frontières ouest. De notre envoyé spécial Dans ce bourg paisible, tous les trafics se conjuguent au quotidien. Chéraga, ce hameau enclavé aux routes sinueuses et tortueuses n'est pas le quartier connu de la capitale du pays. Ce petit patelin, habité par une cinquantaine de familles, dont une trentaine est marocaine, est situé au fin fond ouest de l'Algérie. Chéraga est la désignation marocaine des habitants de l'est de l'Algérie. «Ici, tous les coups sont permis et les trafiquants poussent comme des champignons.» Le carburant passe directement du territoire algérien au sol marocain via des conduites souterraines, conçues initialement pour l'irrigation. Ces conduites alimentent les contrebandiers du Maroc à partir du sol algérien. Dans ce hameau, les gardes-frontières algériens sont sur le qui-vive permanent. Lundi. Le temps est au beau fixe en cette journée, les agents de surveillance de la bande frontalière algérienne redoutent la recrudescence de la saignée le soir. La «mouqatilat» et le baudet font cause commune 52 km de frontières sont le front à boucler par les éléments du 19e GGF. «Tout le monde est éparpillé dans les 15 postes et les 28 points d'observation», nous informe le lieutenant-colonel Bouziane Belarbi. La mission de ce soir n'est pas simple : les hommes en vert doivent contrecarrer autant de phénomènes, notamment les halaba (trafiquants de carburant), et le trafic de drogue. «Nos hommes sont prêts», affirme le premier responsable du groupement de Bab El Assa, qui déplore les contraintes liées au relief et parfois climatiques de la région. Le premier départ est pris en direction du poste de Sidi Ayad. Les éléments des GGF de ce poste ne chôment pas. Les saisies sont nombreuses. En effet, la cagnotte de ce lundi a été conséquente : 400 bouteilles de liqueur et près de 8000 l de mazout ont été saisis tôt le matin. Idem au poste de Lahouassi. Cette fois-ci, les GGF de ce point de surveillance ont stoppé la course folle de deux mouqatilate (des Renault 25 réaménagées de sorte à résister aux aléas rigoureux de la région). Les mouqatilat sont ces véhicules qui font d'incessants va-et-vient nocturnes au niveau des frontières, avec à leur bord des centaines de jerricans pleins de carburant. Chacune de ces «voitures» peut acheminer vers le Maroc 15 000 l. La mouqatilat, cette voiture équipée d'un moteur et d'un accélérateur, s'acquiert au prix fort vu son rendement. Une R25 peut arpenter les monts de Bab El Assa et d'Oujda pendant quatre navettes chaque nuit. Sa solidité et sa vitesse font d'elle une voiture très recherchée par les narcotrafiquants du fait qu'elle peut leur rapporter de gros gains. A Bab El Assa, il n'y a pas de maison ne possédant pas une voiture de ce type. Tous les chemins mènent au Maroc, tandis que tous les moyens sont déployés. Le baudet est pleinement de la partie. Les ânes de Bab El Assa connaissent par cœur les itinéraires, aller et retour, qui relient les localités des deux pays voisins. A Bab El Assa tout comme à Maghnia, un baudet coûte les yeux de la tête. Il revient coûte fois plus cher que le mouton de l'Aïd. Les plus futés investissent dans la location des baudets spécialisés dans le transport du carburant. Le trafic de mazout a connu une recrudescence phénoménale. En effet, près de 740 000 l ont été récupérés en 2009 contre 376 000 l en 2008. Vu les dividendes qu'il engrange, ce commerce est très juteux. Des gains rapides sont tirés par tous les membres d'une chaîne qui commence à partir d'une station-service jusqu'au dernier client qui est le consommateur marocain. Un fût de 30 l de mazout revient à 450 DA à la base, alors qu'il est cédé aux frontières au double avant qu'il n'arrive à 1300 DA une fois sur le sol marocain. La drogue n'est pas en reste. Le carburant est souvent troqué contre du kif traité. Les saisies opérées par le groupement de la Gendarmerie nationale de Tlemcen sont révélatrices ; elles ont connu une hausse de près de 20% cette année. Trois réseaux de trafic de stupéfiants ont été démantelés. Les opérations en question ont permis l'arrestation de 15 barons et la saisie de près de 3000 kg de kif traité. Ce que l'Algérie doit aux GGF «Nous allons protéger nos frontières le mieux que nous pouvons, des mesures coercitives sont prises et il y aura des changements radicaux», a déclaré le lieutenant-colonel Bouziane Belarbi, ajoutant que la modernisation de l'armée des GGF vise à contrecarrer toute tentative de violer les frontières algériennes. Selon l'officier, la première mesure prise est le renouvellement, tous les trois ans, des éléments des GGF. «Il ne faut pas que nos éléments soient tentés», explique le colonel Ayoub Abderrahmane, chef de la cellule de communication du commandement de la Gendarmerie nationale.