Pour montrer l'efficacité du langage direct, on enseigne encore dans les écoles de publicité le slogan d'un grand magasin parisien, depuis longtemps disparu. La formule n'a pas sauvé l'enseigne, mais est restée : «On trouve de tout à la Samaritaine». Aujourd'hui, c'est Internet qui devait la reprendre. L'incroyable machine, sans limites d'espaces, de temps et de sujets, est la Tour de Babel du troisième millénaire. Auparavant, dans une bibliothèque, on devait savoir ce que l'on voulait et chercher patiemment dans les casiers à fichiers cartonnés le thème ou le titre voulu. Aujourd'hui, les informations vous sautent au visage et, même à la recherche d'une donnée précise, vous avez de fortes chances de tomber sur son antipode. Cela vous distrait de votre objectif initial, ce qui n'est pas méthodique du tout. Mais d'un autre côté, cette tentation permanente à la flânerie cybernétique est bien plaisante, et parfois surprenante. Ainsi, récemment lancé sur la lecture publique dans le monde, je suis tombé sur un texte relatif à la bibliothèque d'Hitler. On n'a jamais retrouvé sa dépouille, mais on peut dire que sa vie a été passablement autopsiée. Journaliste américain, Thymothy W. Riback s'est intéressé à sa bibliothèque et en a tiré un ouvrage. Selon lui, ou plutôt selon le texte évoqué (la confusion des sources, encore un travers des pratiques Internet !), le führer aurait possédé environ 16 000 ouvrages. Cet autodidacte lisait un livre par jour ! Ryback n'a eu accès qu'à 1200 d'entre eux – échantillon assez significatif – car les autres, pillés par les soldats russes et américains en 1945, ont disparu ou traînent chez les bouquinistes new-yorkais. Avec ces 8%, conservés à la bibliothèque du Congrès à Washington, le journaliste a tenté de reconstituer l'univers livresque du dictateur en sélectionnant «les volumes existants qui recelaient un contenu émotionnel ou intellectuel significatif». Il s'est particulièrement intéressé aux livres écornés et annotés dont l'usure témoignait de l'usage fréquent. Et là, ce sont les ouvrages de stratégie militaire, les essais racistes et antisémites et les livres ésotériques qui se sont avérés les plus lus. L'occultisme, avec «des douzaines d'ouvrages», occupait apparemment une place importante dans le cerveau du dictateur. Et, comme si l'on regardait une autre version de la caricature cinématographique que lui a consacrée Chaplin, le propre livre d'Hitler, Mein Kampf (Mon combat), figurait en de nombreux exemplaires sur ses étagères. Celui qui avait fait brûler des tonnes de livres en avait donc de nombreux chez lui et, en tant que plus grand serial killer de l'histoire, il aurait bien pu se nommer Hannibal Lecteur. Finalement, le hasard aussi peut instruire. Et en apprenant, on apprend toujours sur soi. Je me croyais maître dans l'analyse d'une personne à travers les livres qu'elle possède. Grossière erreur. Il faut s'intéresser à ceux qu'elle a vraiment lus.