Ils étaient nombreux, des milliers, samedi soir, à s'être rassemblés sur la place Marc Aurele, devant la mairie de Rome, pour exprimer la solidarité des journalistes et des Italiens à Giuliana Sgrena. Une photo géante de l'envoyée de Il Manifesto a été accrochée derrière la tribune, sur laquelle se sont succédé le maire de Rome Walter Veltroni, le conjoint de Giuliana, Pier Scola, le directeur de Il Manifesto, Gabriele Polo, et le correspondant à Rome de Libération, Eric Joszef, qui a lu un communiqué de solidarité de la direction du quotidien français, qui attend depuis un mois la libération de son reporter Florence Aubenas, elle aussi enlevée en Irak. Ceux qui connaissent Giuliana Sgrena restent confiants, car ils savent que cette dernière courageuse et intelligente saura se faire entendre par ses ravisseurs, dont on ignore encore l'identité et si ces derniers nourrissent des revendications politiques. Car personne, ici, ne comprend pourquoi un groupe de la résistance irakienne s'en prend à une journaliste occidentale qui a toujours milité contre les guerres et s'était ouvertement opposée, dans ses écrits, à l'attaque américaine contre l'Irak. De plus, le quotidien Il Manifesto reste le seul journal italien qui a soutenu la cause palestinienne dès le début, s'attirant l'hostilité des pro-Israéliens et la marginalisation au sein des médias italiens plus enclins à choisir le camp du plus fort. Par ailleurs, grâce à Giuliana, les Italiens avaient appris beaucoup sur la lutte des femmes algériennes pour leur dignité et leurs droits et celle des démocrates en général pour un Etat de droit viable. Contrairement aux autres médias italiens, dont certains se demandent encore aujourd'hui « qui tue qui ? », Giuliana avait choisi sa bataille dès le début et avait écrit sur les attentats contre les journalistes algériens, puis le harcèlement contre les journaux. Elle avait suivi l'affaire de l'incarcération des six journalistes d'El Watan en janvier 1993 et avait rendu compte, à ses lecteurs, de toutes les étapes du procès jusqu'à la relaxe en juillet 2000. Elle était toujours la bienvenue dans la rédaction d'El Watan, à Alger, et nous racontait souvent, en riant, lors des dîners romains avec d'autres amis algériens et italiens, comment on l'aidait parfois à s'échapper de l'hôtel El Djazaïr et à esquiver la garde des gendarmes de l'escorte qui était imposée aux journalistes étrangers. Giuliana adore Alger et toutes les occasions étaient bonnes pour s'y rendre. Il y a un mois, lorsqu'on l'avait croisée, elle nous a avoué sa nostalgie pour l'Algérie et se promettait d'y retourner dès que possible. Entre-temps, l'actualité l'a portée en Irak. Son kidnapping a été dénoncé par l'ensemble des partis politiques italiens, et le chef de l'Etat italien, Carlo Azeglio Ciampi, qui lui avait décerné, l'année dernière, la distinction de Chevalier pour le mérite civil, en récompense à son engagement professionnel sur le terrain, a promis de suivre personnellement cette affaire. Hier, lors du rassemblement organisé devant la mairie de Rome, un groupe de journalistes arabes en poste à Rome a tenu à apporter sa solidarité aux collègues et parents de Giuliana, s'engageant à répercuter dans la plupart des médias arabes un appel pour la libération de Giuliana Sgrena.