Il est établi que la densité n'a rien à voir avec la longévité. Mais comment un homme décédé à l'âge de 36 ans peut-il laisser derrière lui une vie et une œuvre aussi riches ? Il est également prouvé que la distance est antinomique de la proximité. Mais comment un homme des Antilles a-t-il pu faire de l'Algérie, à plus de 6 000 km de sa Martinique natale, sa raison de vivre ? Ce sont là quelques-unes des surprises que réserve l'histoire, laquelle prolixe en multitudes et avare en élites, n'enfante que trop rarement un être aussi exceptionnel que Frantz Fanon. Où avait-il trouvé, tout le temps, la force et le génie de devenir tout ce qu'il fut à la fois : un militant d'abord, pleinement engagé dans le combat contre toutes les oppressions, un théoricien, sinon le théoricien de l'anticolonialisme, la voix de ceux qu'il avait nommé « Les Damnés de la Terre », un sociologue de la révolution algérienne qui examina les bouleversements socioculturels, un psychiatre d'avant-garde qui, à Blida, expérimenta des techniques de psychothérapie par le travail et la culture et même un dramaturge puisqu'il écrivit trois pièces de théâtre (L'œil se noie, Les mains parallèles et La Conspiration), restées inédites. Aujourd'hui encore, ses travaux, pensées et pratiques sont étudiés aux quatre coins du monde dans plusieurs disciplines : l'histoire, la philosophie, la politologie, la psychiatrie, la sociologie et même l'art contemporain. Son aura avait plané en 1969 sur le premier Festival culturel panafricain d'Alger et, notamment, sur le fameux symposium qui réunissait, pour la première fois, les intellectuels et artistes du continent. Naturel, dira-t-on, puisque l'époque était encore celle des indépendances et que Fanon avait, sa vie durant, pensé, agi et vécu pour combattre les oppressions coloniales, racistes ou assimilées. Dix ans auparavant, en 1959, il était d'ailleurs dans la délégation algérienne au Congrès panafricain d'Accra, premier rassemblement continental de l'histoire. Aussi, il n'est pas étonnant, 50 ans après, que le Panaf'2009 lui ait consacré un colloque international. Dans l'index de nos rues et espaces publics, il est le seul intellectuel à voir son nom porté par des lieux aussi importants que l'hôpital psychiatrique de Blida, où son âme plane encore, et le large boulevard d'Alger qui relie symboliquement l'ancienne Bibliothèque nationale au ministère de la Défense nationale, comme pour nous convaincre que le livre était la première arme de défense d'une nation. Cette reconnaissance honore l'Algérie qui n'a cependant pas eu la même attention à l'égard de nombre de ses plumes et talents. De plus, on ne trouve que difficilement la trace de Fanon dans nos programmes scolaires ou universitaires. Nul doute qu'il aurait préféré se passer de plaques commémoratives pour être mieux connu des jeunes Algériens qui, pour la plupart, ignorent sa vie et son œuvre. C'est pourquoi toutes les rencontres scientifiques ou intellectuelles programmées dans le Panaf' 2009 devraient non seulement voir leurs actes publiés au plus vite — ce qui sera le cas, nous rassure-t-on — mais faire aussi l'objet d'une réflexion sur la promotion de leurs contenus auprès des jeunes générations. Faute de quoi, elles ne garderaient de l'événement que son déploiement musical qui, pour être formidable et bienvenu, ne suffit pas à leur édification.