Né au Sahara, c'est en 1957 qu'il a été amené dans cette ville qui, dit-il, a bercé son enfance et son adolescence avant de le décevoir adulte. Constatant, lui aussi, qu'elle était devenue « quelque chose d'innommable ». « La ville manque de confiance et les gens qui sont censés lui donner une âme ont failli, mais peut-être qu'avec ce livre et des gens de bonne volonté, les choses vont aller de l'avant. » Si l'art pouvait contribuer à sauver une ville de la mauvaise gestion, Il a omis de citer l'image, car il est aussi venu pour accompagner le cinéaste, Alexandre Arcady, qui devait faire des repérages dans la région (Oran, Aïn Témouchent et Sidi Bel abbès) pour les besoins du film adapté de l'œuvre et dont le tournage est prévu pour 2010. Certes, il devait également assister le même jour à la générale de la pièce théâtrale Essadma, adaptée de son autre roman l'Attentat. « La littérature algérienne n'a pas de saga et j'espère avoir réussi à lui en donner une », déclare l'écrivain, qui cite comme référence Autant en emporte le vent de l'Américaine Margarett Mitchell et Docteur Jivago du Russe Boris Pasternak. L'histoire de cette œuvre est, en elle-même, une petite saga qui remonte à il y a 26 ans. « En 1982, je venais d'acheter ma première voiture, ce qui me permettait en voyageant de m'arrêter là où je voulais et c'est ainsi que cette même année j'ai effectué une halte à El Maleh. J'ai visité le village, je me suis attablé dans ses cafés, discuté avec les habitants que j'ai tout de suite aimés, car ils sont adorables. L'idée d'écrire un livre a germé à l'instant où, au milieu de cette fascination, j'ai pressenti la présence d'une cohorte de fantômes qui voulaient tous me raconter leur histoire. » L'histoire sera différée d'année en année jusqu'en 2001. Là aussi, le livre qui devait s'intitulé tout simplement Rio Salado n'a pas pu voir le jour. Le titre sonnait comme Rio bravo, mais la vraie raison est qu'à cette époque-là, Yasmina Khadra était déjà un nom célèbre et devait faire face à une véritable polémique. « J'étais d'abord encensé puis enfumé et accusé de tous les maux : scribouillard du régime, espion, etc. Il fallait expliquer que je suis tout simplement un romancier », indique-t-il en précisant que sa vie est meilleure que dans ses livres et que s'il devait établir un classement, il serait d'abord mari, père, ami, voisin puis citoyen et, enfin, écrivain. Ce qu'il déplore chez ses concitoyens, c'est le fait de ne pas avoir été les premiers à le soutenir au milieu du tumulte. Pour certains, ce sera le contraire. Aujourd'hui encore, son passage au Centre culturel algérien, considéré comme une caution à un régime en mal de légitimité, il continue à susciter de la méfiance. Mais lui s'en défend. « J'ai accepté ce poste pour soutenir la culture algérienne et, pour preuve, non seulement le salaire que je perçois n'est que le 10e de ce que je touche chez Julliard (éditeur), mais j'ai invité une quinzaine d'auteurs en dehors du sérail et c'est une première. » Le livre lui-même n'est pas épargné par la polémique. « Certains, prenant des raccourcis, pensent que j'ai fait la part belle aux pieds-noirs. Ceux-là n'ont rien compris à la vie », déplore l'humaniste qui assène : « J'écris pour les gens qui aiment la littérature et qui aiment les autres et c'est ce qui fait ma force. Les gens qui n'aiment pas leur prochain ne m'intéressent pas. » Usant d'anecdotes, il raconte comment d'anciens pieds-noirs, qu'il a rencontrés et qui ne parlaient pas de leur passé, commencent peu à peu à se mettre en confiance et s'extérioriser après avoir lu le livre. « Si le livre aide les gens à se réconcilier et à pardonner, c'est tant mieux », retient-il de cette expérience modelée par sa propre façon d'être : « Je suis un homme d'un grand amour, très émotionnel. Dans mes livres il y a beaucoup de violence, mais l'élan est humain comme pour le cas de ma trilogie consacrée aux rapports de l'occident au Moyen-Orient. C'est une manière d'apaiser les esprits tout en rappelant les responsabilités des uns et des autres. » Pourtant, il reconnaît que la partie est loin d'être gagnée, en évoquant quelques situations politiques de l'heure, notamment en constatant lui-même que la densité du racisme a augmenté et, qu'avec la mondialisation et la construction de l'Europe, les premiers à en payer le prix ce seront les Arabes et les Africains. Il prophétise de graves conflits et un retour massif au pays qui, selon lui, va démarrer. Mais sa « baguette magique d'écrivain » (sa propre formulation) qui lui permet de réécrire l'histoire en lançant des clins d'œil aux vrais acteurs du mouvement national est-elle suffisante pour changer le réel ? Il est lui-même en lutte contre l'institution littéraire parisienne qu'il a « osée dénoncer » et qu'il accuse de ne pas reconnaître ses efforts et de l'avoir disqualifié malgré un succès prouvé en librairie. « Je ne cours pas après les prix, mais j'estime mériter une reconnaissance », plaide-t-il avant de revenir à l'Algérie et une pensée pour une patrie, selon lui défigurée par la médiocrité et la déchéance à tel point que ce sont les honnêtes gens qui sont suspects. « l'Algérie est un paradis dont les rêves sont ailleurs. » Une autre de ses citations, un paradoxe pour quelqu'un dont les cauchemars de l'enfer algérien ont été révélé au monde.