Le problème est posé depuis des années : le cinéma africain manque d'argent. Le constat a été évoqué hier à l'hôtel El Aurassi (Alger), à la faveur de la tenue d'un colloque sur le thème « Quels modèles d'avenir pour le(s)cinéma(s) d'Afrique ? », organisé à l'occasion du 2e Festival culturel panafricain (Panaf'). « En Occident, les sources de financement sont taries », » a remarqué le producteur tunisien Nadjib Ayad. Le cinéaste sénégalais Mahama Johnson Traoré est allé dans le même sens, regrettant le fait que les Africains regardent toujours vers le Nord . « On doit regarder vers le Sud. Notre avenir est avec le Sud. Il faut essayer de compter sur nous-mêmes. Un film a besoin d'un montage financier. Il n'y pas d'anathème à l'encontre des fonds qui viennent aider. Ils sont les bienvenus. Mais, qu'on ne soit pas dépendants des autres », a enchaîné Ahmed Bedjaoui. En marge du colloque, il nous parle de l'initiative prise par l'Algérie de financer, en partie, une dizaine de longs et de courts métrages. « Nous voulons du concret pour que ce colloque ne soit pas réduit à une parole en l'air », a-t-il appuyé. Un jury, présidé par Ahmed Bedjaoui, composé du Gabonais Charles Mensah, du Tunisien Mahmoud Ben Mahmoud, du Sénégalais Maham Johnson Traoré et des Algériens Zehira Yahi et Noureddine Touazi, s'est penché sur une trentaine de projets envoyés par internet. Les candidats devaient prouver qu'ils avaient au moins 40% du budget du film. « On ne va tout de même pas mettre de l'argent dans un film qui ne va pas se faire », a précisé le président du jury. Après délibérations, quatre courts métrages ont été retenus : Bakassa du Camerounais Auguste Yanghu, La petite Maman du Sénégalais Thierno Ibrahima, Le Stade du Tunisien Alâa Eddine Slim et Elle s'amuse de la Gabonaise Nadine Otsobogo. Une short list de sept longs métrages a été établie après pointage de voix. L'unanimité s'est dégagée pour trois projets : La Bague de mariage du Nigérien Rahmatou Keita, Sokho de la Sénégalaise Maria Ka, Segoufanga du Malien Mambaye Coulibay. Al Ziara ou Lune noire du Tunisien Nawfel Saheb Ettaba a obtenu cinq voix. Film d'animation, Segoufanga sera coproduit avec la Tunisie. Le jury, à la demande de la chaîne francophone TV5 Monde, partenaire du Panaf', a accordé deux bourses pour réécriture de scénario à la Sénégalaise Mariama Sylla pour Le Silence de l'aïeul et au Congolais Mweze Ngangura pour La Vie est ici. « Les deux projets portaient des carences. Mais, les sujets traités étaient pertinents au regard du devoir de mémoire et des préoccupations sociales du continent », a précisé Ahmed Bedjaoui. Les cinéastes algériens peuvent, selon lui, bénéficier du fonds du ministère de la Culture, le Fdatic. « Les cinéastes des dix films choisis par le jury vont travailler avec des producteurs algériens. C'est une coproduction algérienne. C'est une manière de favoriser le cinéma algérien », a-t-il estimé. L'Algérie n'a, selon lui, coproduit qu'une dizaine de films africains depuis l'indépendance. « Aujourd'hui, en un tour de main, nous avons dix coproductions. C'est une initiative modeste d'aide, ce n'est pas un fonds. On espère que d'autres pays africains vont nous rejoindre », a-t-il souligné. L'Afrique du Sud est, selon lui, prêt à le faire. Il a plaidé pour « un consensus africain » avec des pays comme le Nigeria, l'Egypte, l'Afrique du Sud, la Tunisie, le Gabon, le Burkina Faso. « Chacun met ce qu'il peut et qu'on crée un fonds. L'idée est d'arrêter de tendre la mains au Nord », a-t-il appuyé. Mahama Johnson Traoré a appelé à un travail collectif par regroupements régionaux pour aider le septième art. Il faut, d'après lui, solliciter la diaspora africaine et mener des actions envers les télévisions privées. Le réalisateur de L'Enfer des innocents a regretté que le groupe français Canal Plus n'ait pas respecté ses engagements d'accorder 3% de son chiffre d'affaires au cinéma africain. Le metteur en scène algérien Boualem Aissaoui a appelé à la création d'une association regroupant les producteurs africains et dénoncé la décomposition du secteur de la distribution dans le continent. « L'existence d'une seule chaîne publique de télévision en Algérie avec des canaux satellitaires réduit énormément la marge de manœuvre des producteurs », a-t-il regretté. Boualem Aissaoui vient de réaliser un documentaire, Il était une première fois le Panaf, qui sera projeté demain à 19h à la salle Cosmos Alpha (enfin ouverte au public !) de Riadh El Feth. Pour Nadjib Ayad, il est vital de tirer profit de l'existence de 600 chaînes satellitaires arabes, dont un tiers est spécialisé dans les films et feuilletons. Il a plaidé pour l'allégement des « textes chauvins » qui entravent la coproduction entres les pays du Maghreb. Fanta Régina Nacro, qui a choisi de s'installer au Burkina Faso, son pays, après des études à Paris, a souhaité que le colloque d'Alger « soit le dernier » à discuter des difficultés du septième art africain. Fanta Régina Nacro est présente au Panaf' 2009 avec son film La Nuit de la vérité, à la mémoire de l'oncle de la cinéaste. Soupçonné d'avoir fomenté un coup d'Etat, il a été « cuit » à petit feu jusqu'à la mort ! Le Guinéen Cheikh Fantamady Camara a estimé que le cinéaste africain est obligé de devenir producteur de ses propres films pour contourner les embûches financières. « Sinon, il n'a pas d'autre choix que de trouver un producteur européen. Et là, la machine devient lourde », a expliqué le réalisateur de Il va pleuvoir sur Conakry. La Tunisienne Moufida Tlatli est revenue sur le drame des cinéastes désabusés et qui n'arrivent pas à trouver les meilleurs moyens de ramener le public dans les salles. « La rentabilité est un problème, la visibilité en est une autre. Ce n'est pas un hasard que les salles ferment. Loin de toute nostalgie, il faut qu'on réfléchisse ensemble aux problème du septième art et s'adapter au nouveau paysage », a relevé la réalisatrice Des silences du Palais reprenant l'appel de victoire obamiste « Yes, we can ». A noter enfin que L'Algérie envisage d'organiser les Assises pour le cinéma africain en 2010. « Ces assises n'ont pas vocation de remplacer d'autres initiatives. C'est une démarche inclusive où tous ceux qui se sentent porteurs d'une partie de notre avenir collectif seront les bienvenus », souligne-t-on.