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Chronique africaine. Chinua Achebe, romancier nigerian : Un intense cheminement
Publié dans El Watan le 27 - 02 - 2010

Né à Ogidi dans le nord-est du Nigéria, en 1930, pas loin de l'Onitsha market, un signe car ce marché est réputé et connu car on y achète des livres de toutes sortes. C'est un grand bazar du livre. Il est le cinquième enfant d'un évangéliste, un des premiers Ibo convertis au christianisme. Son père a été son premier instituteur en langue anglaise, et, après le lycée, il est entré à l'université d'Ibadan où il a commencé des études de médecine avant de rejoindre au bout d'un an le département d'anglais, car la littérature était indéniablement sa passion. En 1953, il fut un des premiers nigérians à obtenir une licence en littérature anglaise. Sa passion pour la langue de Shakespeare n'a jamais été démentie. Il l'a toujours défendue et elle reste pour lui un lien entre les différents pays africains qui possèdent tant de langues différentes.
A ce propos, il a déclaré qu'à partir du moment où «on lui a donné cette langue, il ne peut que l'utiliser dans sa vie quotidienne et dans sa vie artistique», rejoignant ainsi la célèbre expression de Kateb Yacine pour qui la langue française était « un butin de guerre » qu'il fallait utiliser et surtout ne pas perdre. Ces deux auteurs africains étaient visionnaires de ce point de vue, car on voit aujourd'hui l'importance du bilinguisme, dans un monde ouvert et si cosmopolite. Les influences littéraires sur Chinua Achebe sont nombreuses mais la plus significative est celle de Joseph Conrad pour qui il voue d'abord une grande admiration. Ce Polonais a acquis la langue anglaise alors qu'il avait 21 ans et il est devenu un des plus grands romanciers de la littérature anglaise. Le premier roman de Chinua Achebe Et Le monde s'effondre (Things Fall Apart) a été écrit en réaction à Joseph Conrad.
En effet, après avoir lu Le Cœur des ténèbres, Achebe fut choqué par le fait que les Africains étaient toujours en arrière-plan dans ce roman où l'intrigue fascine. Ecrit en 1958, Things Fall Apart est le roman africain le plus étudié dans les universités du monde. Plus de huit millions de copies ont été vendues et ce roman a été traduit dans plus de cinquante langues ! Cela pour contrecarrer le discours de l'Empire et rappeler que les Africains peuvent eux aussi être des héros de romans et jouer des rôles de premier plan.
Cette œuvre-maîtresse a révélé au monde que l'Afrique n'était pas le cœur des ténèbres. Au contraire, dans ce récit haletant, l'Afrique précoloniale resplendit de son histoire et de sa cultureavec une société organisée qui possédait ses lois et avait une morale. L'Afrique n'était pas une «tabula rasa», comme le prétendaient les Blancs. Par l'écriture d'un tel récit, Chinua Achebe a déstructuré la vision orientaliste de l'Afrique, car il l'a décrite de l'intérieur. Dans ce roman construit comme une horloge, le héros Okwonko représente un destin tragique, celui de l'Africain qui ne comprend pas le changement de société que vit sa tribu ibo.
Ce texte romanesque met aussi en avant le choc civilisationnel qui s'opère à Ikemefuna, un village reculé du Nigeria, les Africains face aux Anglais. Comprenant que cette situation le dépassait en tant qu'individu, et après avoir longtemps résisté, Okwonko commet l'irréparable et se suicide. Après ce texte poignant, Chinua Achebe s'est tourné vers des thématiques de la post-indépendance avec No Longer at ease, A Man of the people ou encore Anthills of the Savannah. En effet, Chinua Achebe a été très critique des différents gouvernants du Nigeria indépendant. Il a dénoncé avec virulence et drôlerie et à travers des personnages vivants, la corruption et la gabegie qui caractérisent l'Afrique en général. L'ironie et l'humour rayonnent dans cette écriture acerbe et sans concession.
Au plan politique, Chinua Achebe a eu le courage de prendre position contre la guerre du Biafra. Il fût même emprisonné pour ses écrits de l'époque et pour ses nombreux poèmes, récits et nouvelles comme Girls at War qui dénonçaient cette guerre fratricide. Son oeuvre a été toujours été bien accueilli par la critique. Il a reçu plusieurs prix prestigieux africains, américains et britanniques.
L'écriture d'Achebe mêle et entremêle un anglais parfait avec la force, la richesse et la vivacité de l'oralité africaine. Il intègre les mots africains de manière harmonieuse dans la phrase anglaise. Les proverbes font partie de son discours littéraire comme ces phrases traduites de l'Ibo : «Il y a quelque chose de menaçant derrière le silence» ; «les proverbes sont l'huile de palme qui fait passer les mots avec les idées» ou encore «il n'y a rien à craindre de quelqu'un qui crie». A travers une écriture tout à fait postcoloniale, Chinua Achebe a réussi le pari littéraire et idéologique de pointer du doigt les carences de la gouvernance africaine, qu'elle soit pré ou postcoloniale. Il est souvent qualifié de père de la littérature africaine moderne, un honneur qu'il refuse d'endosser comme il aime à le rappeler dans différentes interviews. Il vit aujourd'hui à New York, en fauteuil roulant depuis dix ans suite à un accident de la route.
Il vient de publier en janvier 2010, une autobiographie intitulée he Education of a British-Protected Child, où il raconte différentes étapes de sa vie à travers des essais-mémoires, écrits entre 1988 et 2009, qui retracent le cheminement intense d'un intellectuel africain engagé qui n'a jamais considéré l'Afrique par rapport à la couleur de la peau. Pour Chinua Achebe, l'Afrique doit être toujours une et le Sahara en est le lien.


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