Avant-hier, à l'hôtel El Aurassi, l'Afrique défilait, non pas pour aller quémander du riz devant la tente d'une ONG, non pas pour fuir une guerre civile aux frontières de l'horreur, non pas au pas martial de quelque armée rebelle ou régulière, non pas pour présenter des condoléances, non pas encore pour se faire vacciner contre quelque innommable virus, non pas enfin devant un bureau de vote au destin électoral tracé ou une administration cultivant la haine de ses administrés. Non, elle défilait à la gloire du talent, de la beauté et du partage. Le talent. Sept de ses stylistes les plus émérites présentaient ce soir-là leurs créations sous la direction artistique de Claire Kane. Il y avait là Alphadi, Imane Ayassi, Mariam Diop, Mickael Kra, Lamine Badian Kuyaté, Pépita D. et Karim Sifaoui. Un septuor de rêve pour donner au vêtement toute sa dimension artistique et culturelle. La beauté. Celle de ces costumes allant cueillir la sève du patrimoine vestimentaire africain pour la réinterpréter selon les canons de la mode internationale. Celle aussi de ces mannequins sublimant le corps pour interpréter des partitions gestuelles gracieuses. Le partage. Avec le public d'abord, enthousiaste et complètement gagné par le haut niveau professionnel du spectacle : scénographie parfaite, éclairages, sons… Mais aussi, en amont, par les efforts de ces stylistes à fédérer des potentiels en Afrique, en faisant travailler des artisans, en encourageant la formation, en créant des réseaux de promotion et de distribution, en aidant enfin des causes humaines. Le titre de la manifestation « Quand l'Afrique habille le monde » venait enfin souligner la position de ces créateurs africains qui se sont imposés dans la mode internationale, ouvrant parfois des boutiques dans de grandes capitales occidentales, distribuant partout leurs lignes de vêtements et de bijoux, etc. Pourtant, en contemplant ces merveilles d'imagination et de raffinement - hormis quelques banalités ou déjà-vus - on ne pouvait que se demander pourquoi l'Afrique ne parvenait pas à habiller l'Afrique. Pourquoi le paysage vestimentaire de la plupart des pays du continent reste dominé par le costume européen, même quand ce sont des Chinois qui le fabriquent ? Pourquoi les vêtements traditionnels, utilisant des maîtrises locales et adaptés aux climats, n'arrivent-ils pas à s'imposer au quotidien ? On peut se dire que le blue-jean, par exemple, est désormais un vêtement universel, pratique et économique. Il ne s'agit donc pas de rejeter tout ce qui peut venir d'ailleurs mais simplement de défendre ce que nous pourrions créer ici. Samedi soir, justement, ces sept artistes africains, issus de plusieurs régions du continent, ont encore apporté la preuve magistrale et séduisante, que la modernité ne rimait pas forcément avec « l'occidentalité » et que nos patrimoines-mêmes, y compris les plus anciens, proposaient des formules ingénieuses dans une esthétique en mesure de combiner sobriété et splendeur. Pour résoudre cette équation, également présente dans d'autres disciplines, comme les arts plastiques, il faudrait d'abord que les créateurs soient reconnus chez eux, soutenus concrètement et encouragés à produire du prêt-à-porter authentiquement africain et résolument moderne. Finalement, c'est d'abord dans sa tête que l'on s'habille.