Hier, à Dakar, devait avoir lieu l'enterrement de Mahama Johnson Traoré, après la prière du vendredi, à la grande mosquée de Mermoz. Celui qui aimait dire que «créer, c'est comme accoucher», préparait un long métrage sur la femme, son thème de prédilection. N'der ou les flammes de l'enfer devait raconter l'histoire véritable de ces femmes du village de N'der, au nord du Sénégal, qui, en 1819, s'étaient immolées par le feu pour ne pas tomber entre les mains des esclavagistes. Ce scénario, il l'avait coécrit avec une scénariste algérienne, Meriem Hamidat. Le ministère algérien de la Culture avait accepté de le financer, autant pour le talent et les références du cinéaste que pour son engagement panafricain exceptionnel. Mahama Johnson Traoré aimait particulièrement l'Algérie où il comptait de nombreux amis, et il est une des rares grandes figures des arts africains à avoir assisté aux deux éditions du Panaf, in extremis pourrait-on dire. Le film qu'il laisse en plan devait poursuivre une carrière cinématographique entamée sur le thème de la femme africaine, convaincu que l'homme africain ne trouverait sa liberté qu'avec l'épanouissement des Africaines. En 1968, sa première œuvre, un court métrage de fiction intitulé Diankha-bi (La Jeune fille, en wolof), lui avait valu le Grand prix du Festival du film de Dinard. Puis vint, en 1970, son premier long métrage, Diegue-bi (La Femme). M. J. Traoré est né en 1942 à Dakar. Son père, entrepreneur, le pousse vers une carrière d'ingénieur en électronique. Il étudie au Sénégal, au Mali, puis en France où, lors d'une séance de travaux pratiques consacrée au cinéma, il découvre sa vocation comme un coup de foudre. Il va aussitôt s'inscrire à Paris, au Conservatoire libre du cinéma français, bonne institution de formation qui a aussi formé son compatriote, Djibril Diop Mambety. La filmographie de M. J. Traoré, après s'être focalisée sur le thème de la femme, s'est étendue aux problématiques sociales dans leur ensemble. On citera Lambaay (1972), Reou-taax (1972), Garga Mbossé (1975), Njangaan (1975), Sarax si (1980), La Médecine traditionnelle (1982) qui, tous, ont marqué les publics africains, tout en se distinguant dans le monde. Leur succès s'appuie sur une vision très proche des réalités africaines dont il était imprégné. Membre fondateur du Fespaco (Festival du cinéma africain), il était présent en 1969 à Ouagadougou, lors de la Semaine du cinéma, qui donnera naissance au festival. Il avait lancé, l'an dernier, Cahier d'Afrique, un magazine des cultures africaines, et avait été décoré par l'Etat burkinabe. Mme Toumi, ministre de la Culture, a adressé à la famille du défunt une lettre émouvante dans laquelle elle exprime toute la reconnaissance de l'Algérie envers le cinéaste et l'Africain convaincu.