Depuis cette date, la réputation de Béjaïa, capitale de l'eau, n'a fait que se confirmer, ne serait-ce qu'à travers le nombre de marques d'eau minérale auxquelles elle a donné naissance. En effet, la région de Béjaïa est, aujourd'hui comme par le passé, riche de ses ressources hydriques grâce à ses montagnes qui bénéficient d'un taux de pluviométrie proche de celui que reçoit le bassin parisien. C'est donc, à juste titre, qu'un musée de l'eau a été inauguré samedi à Toudja à l'initiative de l'association Gehimab qui œuvre depuis une décennie à réhabiliter l'histoire et la culture de l'ancienne capitale hammadite. Selon les concepteurs du musée, sa mission première sera de sensibiliser les jeunes générations à la problématique de l'eau ; cet «or bleu» qui risque de chambouler les équilibres mondiaux dans les prochaines décennies. Au-delà, il s'agit également d'expliquer les enjeux liés aussi bien à l'usage rationnel et intelligent de l'eau qu'aux conséquences qui découlent fatalement du non-respect et du gaspillage de ce précieux liquide. En dernier lieu, en suivant la route de l'eau, on navigue à travers des pans entiers de l'histoire de la région depuis l'antiquité jusqu'à nos jours. En effet, beaucoup de sites et d'endroits de la région sont entrés dans l'histoire grâce à l'usage de l'eau. Il s'agit, entre autres, de l'aqueduc de Bougie, des citernes d'El Arioua, du Cippe romain, du tunnel d'El Habel, rendu célèbre par les méthodes de calcul de l'ingénieur militaire, Nonius Datus, qui est arrivé à percer la montagne de part et d'autre et à faire la jonction entre deux galeries. Il y a également la fameuse source d'El Aïnseur de Toudja que les Romains réussirent à capter pour alimenter la ville de Saldae. Ce système d'alimentation pour une ville fondée en l'an 26 av. J.-C. a été repris par les Hammadites qui fondèrent Nacéria sur les ruines de Saldae. Des Romains aux Hammadites Il a été également repris par les Français à partir des années 1890. En 1950, des ingénieurs français ont calculé que la source d'El Aïnseur débitait 5615 litres d'eau à la minute. La route de l'eau comprend également l'escale de Bir Esslam, le puits médiéval sis à l'entrée de la ville de Béjaïa. C'est là que les visiteurs faisaient leurs ablutions avant de rentrer purs dans une cité hammadite qui était considérée comme la «petite Mecque» pour le savoir qu'elle renfermait. Toujours au chapitre des vestiges historiques liés à l'eau, il faudra aussi citer les grands thermes de Tiklat. Là, également, les Romains, bâtisseurs infatigables, captèrent plusieurs sources situées à Ifenaïen et à Ilmathen pour alimenter l'antique Tubusuptu, sœur jumelle de Saldae, fondée par l'empereur Octave en l'an 27 av. J.-C. L'autre escale sur la route de l'eau est la baie des Aïguades qui a vu défiler les navigateurs grecs et phéniciens pour s'alimenter en eau potable à partir de ses nombreuses sources. Patrie de l'eau par excellence, Toudja a développé un savoir-faire séculaire relatif à l'usage et à la gestion des ressources hydriques. L'eau est source de vie pour l'usage domestique et en fait pour l'irrigation des cultures aussi. Elle est également source d'énergie propre et renouvelable qui faisait, il y a encore quelques années, fonctionner une centaine de moulins à eau au profit de toutes les tribus de la région. Cela ne fut rendu possible que lorsque les habitants de la contrée décidèrent de collecter toutes leurs sources et leurs cascades en un canal unique. Toute une industrie faisant appel à des techniques et à un savoir-faire local est née de cette organisation. Les artisans et les techniciens nécessaires à la maintenance des moulins ne manquaient jamais. C'est cette eau abondante qui a permis, quand elle s'est conjuguée au savoir-faire d'une population industrieuse, une production agricole dont la réputation ne s'est presque jamais démentie. A titre d'exemple, les oranges de Toudja sont connues et fort appréciées pour leur saveur particulière. «A Toudja, l'oranger est roi, les cimes des orangers plus haut qu'ailleurs se touchent, s'emmêlent. On plonge dans une verdure merveilleuse. On n'aperçoit que des orangers. Devant soi, derrière soi, au-dessus, l'oranger est là, partout, qui presse le visiteur et le domine», écrit, dans l'un de ses livres, Augustin Ibazizen, dont le père était instituteur à Toudja vers 1907. Comme pour d'autres régions de la Kabylie connues pour leurs ressources hydriques, telles que l'Akfadou, la gestion de l'eau était rigoureuse et établie selon un code commun consensuel. Les tours d'eau pour l'usage des moulins ou l'irrigation des propriétés étaient gérés selon un calendrier et un timing qui tenaient compte des saisons, des semaines et des heures de la journée. Toudja est également connue pour ses poteries blanches avec des décors noirs et rouges et dont, malheureusement, il ne reste que quelques exemplaires détenus par la British Museum en Angleterre.