Le 30e anniversaire du printemps berbère a été célébré par des milliers de manifestants en Kabylie. L'événement a été marqué par la population, même si la mobilisation n'est plus la même que celle des années ou des décennies précédentes. La rue continue à s'exprimer, même en l'absence des leaders. La multiplication des manifestations pour commémorer un seul événement n'est rien d'autre que l'expression plurielle de revendications qui se rejoignent sur l'exigence de justice et de démocratie. La guerre d'usure livrée par le pouvoir à tous les mouvements qui ont porté la contestation ces dernières décennies (MCB, partis politiques et archs) a abouti à une fragilisation notable de tous les cadres d'organisation. Mais cela est loin d'annihiler, au sein de la société, l'esprit de révolte contre l'autoritarisme et le déni des libertés. Evincés des espaces publics où le débat était encore possible il y a une décennie, les leaders des partis de l'opposition retournent dans les campus où ils ont fait leurs premières armes. Ainsi, le président du RCD, Saïd Sadi, a animé la semaine dernière une conférence à l'université Mouloud Mammeri (Hasnaoua), à l'invitation d'un comité d'étudiants. Dans la soirée d'hier, le premier secrétaire du FFS, Karim Tabbou, devait participer à une rencontre avec des étudiants, dans une cité universitaire de Tizi Ouzou. Il apparaît clairement que le débat contradictoire peut être évincé de tous les espaces, sauf des campus. Un îlot d'expression démocratique qui échappe, pour l'heure, à la chape de l'unanimisme et de la normalisation qui s'est abattue sur le pays, en particulier sur la Kabylie, ces dernières années. La date a été donc marquée, hier, même si les acteurs du mouvement qui avait secoué pour la première fois les bases du régime du parti unique n'ont pas eu la même ampleur que lors des dernières commémorations. La dernière table ronde des détenus d'avril 1980, tenue à la maison de la culture de Tizi Ouzou, remonte à une décennie. Cette activité phare était l'occasion, chaque année, de présenter aux jeunes les témoignages vivants de ceux qui ont connu les geôles et la torture pour avoir simplement revendiqué la reconnaissance d'une identité millénaire. Un programme de festivités commémorant ce 30e anniversaire du printemps berbère a été rendu public par la maison de la culture de Tizi Ouzou, mais le contenu politique contestataire lié à cet événement ne peut réellement s'exprimer dans un cadre organisé par une institution officielle. Le pouvoir politique sait pourtant que le verrouillage de tous les espaces sous son contrôle ne peut le prémunir contre la montée de la protestation. La réussite, hier, de la manifestation du MAK, alors que son leader, Ferhat Mehenni, est interdit de séjour en Algérie depuis deux ans, montre l'inanité de la répression contre l'expression démocratique. Les archs, de leur côté, ont tenu un rassemblement pour réclamer, encore une fois, que justice soit rendue aux victimes du printemps noir. Ce mouvement, qui a porté la mobilisation de toute la région pendant des années, a subi pourtant l'une des entreprises de déstabilisation les plus soutenues. Des voix subsistent encore pour exiger la levée de l'impunité pour ceux qui ont commis ou commandité l'assassinat de 126 jeunes pendant le printemps noir. Les archs sont réduits à une structure de veille, sans grand pouvoir de mobilisation, mais il est illusoire et dangereux de croire que la colère n'habite plus une jeunesse sans perspectives, vouée à la précarité.