Pour ce faire, il a « squatté » l'une des œuvres exposées, en l'occurrence une sculpture en forme d'échafaudage réalisée par l'artiste plasticienne Amina Ménia (qui n'est autre que Madame Benfodil). « La pièce de Amina suggère, entre autres possibilités de sens, la prise du pouvoir par le peuple et moi, j'ai voulu m'emparer de cette tribune et prendre le pouvoir par la parole », a-t-il expliqué à l'adresse du public venu assister à ce spectacle. Mustapha Benfodil a, en outre, souligné que cette lecture-performance venait étrenner un cycle qui s'inscrit sous le concept Pièces détachées - lectures sauvages . Il s'agit pour l'auteur de Les Bavardages du Seul (roman, éditions Barzakh, 2003) et de Clandestinopolis (Théâtre, éditions L'Avant-scène Théâtre, 2008) d'extirper le 4è art de ses « lieux communs » et de son territoire premier (les théâtres conventionnels) pour le porter dans la rue, dans la ville, « comme une grève sauvage » , en une relation interactive avec le (ou les) public(s). Avec le peuple. « C'est une sorte de “théâtre commando” , de théâtre de guérilla », confie-t-il. Et de développer : « C'est un théâtre urbain qui investit d'une façon volontariste voire interventionniste l'espace public en détournant, le temps d'une lecture, des espaces qui ne sont pas fonctionnellement conçus pour " faire théâtre ". « Il s'agit en gros de créer à chaque fois un "moment théâtral"en dehors des salles"officielles" devenues des lieux de pouvoir et de casser - si je peux me permettre cette métaphore - le quatrième mur politique qui s'élève entre le TNA et les parias du Square Port Saïd. » poursuit-il. L'auteur entend ainsi engager à travers ce concept une réflexion sur le triptyque « le théâtre, la rue et le politique » . Une manière également de s'insurger contre la difficulté qui est la sienne d'être joué dans son propre pays alors même que ses textes sont régulièrement joués à l'étranger. Dernière escale en date : Montréal, où sa pièce Les Borgnes a été récemment mise en espace au festival du « Jamais Lu ». « Il se trouve que les gens s'étonnent de découvrir que j'écris pour la scène. Pourtant, voilà une dizaine d'années que j'écris du théâtre. J'ai donc songé à faire jouer mes textes ici, en Algérie, dans des conditions minimales de représentation, quitte à me contenter de simples mises en lecture, juste de quoi permettre à mes lecteurs de "goutter" à mes textes dramatiques en attendant de les monter », ajoute l'auteur. A cet effet, Mustapha Benfodil compte bien investir dans les prochains jours des lieux alternatifs aussi improbables qu'une place publique, une carcasse abandonnée, un théâtre antique, un bar, un appartement, un café maure ou un hangar en friche avec l'intention de rétablir le lien charnel entre le théâtre et le peuple. Parmi les lieux annoncés : la Place des Martyrs, la Maison hantée , cette fameuse bâtisse abandonnée qui tutoie la mer, près de Bologhine, ainsi que le théâtre antique de Tipasa, avant de se lancer dans une tournée nationale aux quatre coins du pays, car, dit-il, « l'Algérie entière est un immense théâtre à ciel ouvert ». Il sera accompagné, dans ces lectures, par le comédien Samir El Hakim. Les Borgnes, convient-il de le signaler, fait d'ores et déjà l'objet d'une création par la compagnie El Ajouad d'Oran, dans une mise en scène de Kheireddine Lardjam. Notons par ailleurs que l'expérience Pièces détachées - Lectures sauvages est filmée de près par la caméra du jeune cinéaste Lamine Ammar-Khodja, auteur notamment de Le Serment des oranges, un film sur l'écrivain et dramaturge algérien Aziz Chouaki. « Je suis très extasié par l'ensemble de ces collaborations interdisciplinaires qui permettent de démultiplier le sens de l'action artistique. Et je suis particulièrement heureux de cette collaboration, la première du genre, avec ma femme Amina », conclut l'auteur.