Le soleil de juillet écrase les pavillons de la Safex aux Pins Maritimes à l'est d'Alger. Peu de monde dans les allées. Les deux restaurants sont pris d'assaut à la mi-journée. Les repas des participants au deuxième Festival culturel panafricain (Panaf) sont pris en charge. Les autres doivent payer des tarifs « touristiques ». On attend l'ouverture des pavillons où se tiennent les différentes expositions. Pas de signalétique. Les horaires ne sont pas respectés. On fait avec, donc ! D'abord, au pavillon C. Là, la bande dessinée est à l'honneur. Aucun auteur n'est sur les lieux. Deux jeunes des éditions Dalimen nous expliquent que le public arrive en fin de journée. Les auteurs, eux, préparent une œuvre collective. A 100 DA, on peut s'offrir les revues Kin Label du Congo, Vie quotidienne au Togo de Amani Mensah, Les proverbes illustrés de l'Ivoirien Mendoza ou les BD amusantes du Sénégalais T.T Fons. Les éditions Dalimen œuvres des Algériens Mustapha Tenani, Mahfoud Aïder et Benatou Masmoudi. On peut apprécier, entre autres, les planches de l'Algérien Samir Toudji (Togui), du Mozambicain Georges Mabota, du Malgache DWA et des Tchadiens Moussa Adji et Adjim Dannegar. « Je dessine depuis tout petit, minuscule j'allais dire », raconte Adjim Dannegar, dessinateur au journal satirique Le Miroir. Direction Pavillon A. A droite, l'exposition « africaines ». La commissaire, cela se comprend, est une femme, Nadira Laggoune-Aklouche. L'art a-t-il un sexe ? « Dans les œuvres, il n'y pas de traits distinctifs manifestes du masculin et du féminin. Si ce n'est par leur prénom, les femmes artistes ne sont pas identifiables », écrit-elle dans un joli catalogue vert. Pour elle, seuls l'artiste et son œuvre comptent. Cela rompt -enfin- avec ces discours flasques sur l'art féminin. Les expressions dans cette expo' sont multiples : l'Egyptienne Hala El Koussy, qui vit à Amsterdam, présente une vidéo, Histoires périphériques, la Malgache Matata Andiralavidrazana expose des photos de sites funéraires, la Kenyane Larissa Hoops se distingue par des peintures réalistes, la Camerounaise Angele Ettoundi Essamba démontre une maîtrise rare de la photo mixée à l'art plastique, la Tunisienne Nadia Kaabi souligne les charmes discrets de l'art urbain avec Les stigmates de Tunis et la Sénégalaise Aminata Djegal offre une autre lecture des images de spectacles dans lesquelles la BD est convoquée. Apartir de photos, Aminata Djegal a réalisé un beau film sur les Îles Comores, Karibu, « Bienvenue aux îles de la Lune », qui l'a installé dans le circuit international. L'Algérienne Fatima Chafaâ a fait de la poupée l'élément de base d'une expression artistique où la sculpture s'impose comme le sucre dans le café. Une autre Algérienne, Amina Menia, est présente avec une installation qui ne porte pas de nom mais qui suggère tant de choses, un échafaudage, « langage » préféré de l'artiste, composé de tubes et de colliers en acier galvanisé gris, traversé par des pointes rouges. « On monte par l'escalier pour maîtriser le monde. Je voulais dès le départ que l'œuvre soit pédagogique. C'est l'une des rares fois où il y a de l'art contemporain ici. Je voulais présenter une pièce comme un scénario inattendu. On arrive au bout et on ne sait pas si l'exposition est terminée ou s'il s'agit d'un chantier. J'aime bien jouer sur la double lecture », explique-t-elle. L'installation, selon elle, est une manière de donner du sens aux idées et aux interrogations esthétiques de l'artiste. Les enfants n'ont pas résisté à la tentation d'escalader l'échaffaudage ainsi exposé. « C'est une manière de casser la passivité du visiteur. C'est une œuvre interactive. Il y a différentes plateformes, une façon de multiplier les points de vue et montrer que tout est relatif. Tout est fait pour suggérer l'élévation. On peut monter et prendre la tribune », souligne Amina Menia qui prépare des installations pour le futur métro d'Alger. D'autres Algériennes sont présentes à l'exposition comme Katia Kameli, Kheira Slimani, Thileli Rahmoun, Feriel Benmbarek et Elyasmine Hocine. Plus loin, l'exposition des designers s'annonce sans tapage. Ici, on vous offre la possibilité des « relectures » sur la vie et sur ses modes. La scénographie de Assia Ouled Kablia est parfaite. Un blanc dominant met en valeur des œuvres d'une rare beauté. « Les designers entendent dénoncer la société de consommation en récupérant les déchets et en leur donnant des formes artistiques plus dignes. Un esprit de consommation qui a pollué la culture traditionnelle africaine », souligne Zoubir Hellal, commissaire de l'exposition. Des sièges, des tables, des bibliothèques, des sofas, des lampes, des paravents...Le Sud-Africain Johann Van Der Schijff se distingue par ses œuvres ludiques, les Algériens Mehdi Izemrane, Faïza Hafiane et Rédha Ighil par leurs meubles stylisés, le Sénégalais Baltazahar Faye par ses créations pratiques, le Congolais Francis Pume avec son original « papillon chair », la Tunisienne Memia Taktak avec ses korsis et tapis et l'Ivoirien Jean Servais Somian avec des œuvres en bois de cocotier... Il y a aussi l'Algérienne Souad Delmi Bouras, qui est diplômée en désign-aménagement de l'Ecole des beaux- arts d'Alger, qui présente une table basse pour écran plasma faite avec du bois koto. Une manière bien à elle d'être actuelle, fashionable. Souad Delmi Bouras aspire à ouvrir à Alger un showroom de design. L'Algérien Mohamed Yahiaoui (Yamo) est présent avec un espace noir où une lumière flottante est célébrée. Une table avec un coupe de fruits (remplacés par des dates) est au milieu, avec au- dessus un lustre en forme de poisson. « On peut interpréter comme on veut. On est dans le rêve. Même quand on dort, on flotte. C'est le côté immatériel. Ce n'est pas facile de matérialiser une émotion. C'est tellement blanc qu'on a joué sur le contraste, le côté nuit. Faut que les gens rentrent et sentent la tranquillité. Il y a une force dans la tranquillité », explique Yamo qui vit actuellement à Tunis. « Yamo, on t'aime khir men el banane », a écrit, avec humour, Khalida Toumi, ministre de la Culture, sur une muraille réservée par l'artiste aux tags. On y lit : « Vive Usma », « Yamo, on t'aime », « Allo, El Hadj », « Pour une Afrique unie »... A souligner la présence de l'artiste marocain Rachid L'Mouddène à l'exposition des designers. Officiellement, le Maroc ne participe pas au Panaf' 2009. On change de lieu. Le pavillon G. Il y a du monde. C'est le vernissage de l'exposition d'art plastique africain. Pas de catalogue. Le ministère égyptien de la Culture a, lui, pris le soin de préparer un catalogue sur les artistes présents à l'exposition comme Atef Ahmed Ibrahim, Abdelaziz Saâb et Fadwa Ramadan. La Tanzanienne Mwandale Mwankeykwa, le spécialiste en sculpture sur bois, s'est plainte de la mauvaise organisation. « C'est bien d'organiser un festival comme le Panaf mais il faut que l'organisation soit maîtrisée. Ici, certains artistes sont déçus. Je ne connais rien à l'art algérien. C'est la première fois que je viens en Algérie. Les artistes africains ne visitent pas les pays de leur continent », soutient cette artiste connue en Tanzanie par le sobriquet « Big Mama », inspiré de la célèbre comédie John Whitesell. Elle a appelé pour un Panaf tous les deux ans. « Ce n'est pas toujours facile d'être artiste en Tanzanie. Mais, il y a une certaine liberté », dit-elle. « Big Mama » a participé à plusieurs expositions en Europe et en Amérique du Nord. Fort connue dans son pays également, l'Ougandaise Mary Naïta est présente par des sculptures sur métal. Elle a souhaité que les artistes africains rattrapent le retard et soient plus présents sur leur continent. Mary Naïta a déjà exposé au Rwanda et au Kenya. Les immenses statues devant le Parlement à Kampala ou devant l'Autorité monétaire rwandaise sont l'œuvre de cette jeune artiste. « Il est difficile de construire un nom d'artiste en Afrique. Comme il n'est pas facile de gagner la confiance du public », confie Mary Naïta qui se dit émerveillée par la création artistique en Algérie. Plusieurs artistes peintres algériens sont présents à l'exposition (ouverte au public jusqu'au 20 août 2009) comme Siaghi Smaïl, avec ses traits verts et noirs, ou Mohamed Massen avec ses toiles vivantes. Selon Khalida Toumi, présente au vernissage, cette exposition d'art plastique africain sera organisée tous les deux ans en Algérie. Alger fera donc comme Dakar et Le Caire.