Derrière les murs de la prison, certains détenus se découvrent de nouvelles vocations. Plus de 500 prisonniers ont décroché leur baccalauréat, sésame pour l'ouverture des portes de l'université, et 1404 ont obtenu le brevet d'enseignement moyen. Dans le grand hall de la prison d'El Harrach, les lauréats du baccalauréat (en polo blanc et baskets neuves) et ceux du BEM (en polo rouge) ne cachaient pas leur joie lors de la cérémonie organisée hier par le ministère de la Justice pour les récompenser. C'est que le bac est considéré comme le moyen le plus rapide de sortir de prison. Même s'ils ne bénéficient pas de grâce présidentielle, ils pourront, au moins, sortir pendant quelques heures pour aller à l'université et voir la vie hors des murs. Pour d'autres, le bac est une revanche sociale. Même si une éventuelle libération paraît inconcevable compte tenu de la gravité du crime commis, les études sont comme un exutoire. La meilleure performance a été réalisée par Razika, qui a obtenu son bac série sciences expérimentales avec mention « très bien » et une moyenne de 17,22/20. Razika est calme, réservée, presque rêveuse. De beaux yeux verts, le visage encadré par un voile de couleur mauve, la jeune fille répond timidement aux questions des journalistes. « J'ai choisi les études pour éviter de perdre mon temps à ne rien faire ou à faire quelque chose d'inintéressant », dit-elle. Condamné à perpétuité, ses notes ne pourront pas la sauver de la prison. Son crime ? Elle ne veut pas en parler. Nous apprendrons que dans un moment de colère, hors d'elle, elle a porté un coup mortel à son mari. D'autres gardent encore l'espoir d'entamer une nouvelle vie. Accompagné de sa mère qui ne cache pas ses larmes (de joie, précise-t-elle), B. Z. (que nous appellerons Bilal) a obtenu son bac pour la seconde fois. Après avoir entamé des études de droit, il prévoit d'intégrer la faculté des sciences politiques. Il ne lui reste plus que sept mois pour recouvrer sa liberté. « En plus du baccalauréat, il a fait une excellente année universitaire. J'en suis très fière », nous dit sa mère dans un grand sourire. Bilal explique que les détenus préfèrent passer plusieurs fois leur bac pour maximiser leurs chances de bénéficier d'une grâce présidentielle ainsi que d'une réduction de peine. En général – mais peut-être est-ce les circonstances de la cérémonie – les détenus louent les conditions de vie dans leur prison. « Je suis à Serkadji. Dans notre salle, il y a 30 à 35 prisonniers. La nourriture est propre. Il est possible de prendre deux douches par semaine. Ça se passe bien », confie Bilal. Pour sa part, Kenza, qui a obtenu son BEM avec une moyenne de 13,28, a vu sa peine diminuée de 27 mois alors qu'elle a été condamnée à 8 ans de prison. Elle raconte que dans sa salle, « il y a 42 femmes ». « Nous avons la climatisation, il y a aussi une bibliothèque. Parfois, il y a des disputes. Mais ça peut arriver même à la maison », nuance-t-elle. Le directeur général de l'administration pénitentiaire, Mokhtar Felioune, a estimé dans son allocution d'ouverture que « tous les moyens ont été mis à la disposition des détenus ». « Il y aurait ainsi une chaîne de télévision intérieure baptisée El Amel. » Les détenus ont également, selon lui, accès à la radio et aux journaux. 1404 lauréats ont été admis à l'examen de passage en cinquième année. Le nombre de détenus qui suivent des cours d'alphabétisation et de formation professionnelle est de l'ordre de 41 000. En tout, 74% des détenus ont une activité (dessin, éducation physique...). Parmi les 3977 prisonniers graciés, une quarantaine a pu bénéficier d'un micro-crédit pour faciliter leur réinsertion. Selon M. Felioune, le ministère de la Justice a apporté une aide à près de 4000 détenus pour se réinsérer dans la société après leur libération, Le ministre a mis en garde contre le risque de « complexer » les détenus libérés, car ils ont payé leur dette à la société par une peine privative de liberté, soulignant le rôle de la presse et de la société civile dans ce domaine. Présent à la cérémonie d'hier, le ministre de l'Education nationale, Boubekeur Benbouzid, s'est dit prêt à apporter de l'aide (en matière de livres notamment) aux détenus qui souhaitent passer le bac. Il s'est montré étonné du fait que dans les prisons, les hommes réussissent mieux que les femmes au bac, alors que dans les écoles, les filles sont généralement plus studieuses. En 2009, 531 détenus ont obtenu le baccalauréat sur 1347 candidats et 120 d'entre eux ont été libérés, alors que 1404 sur 2840 prisonniers ont eu le BEM, selon les chiffres officiels. Pas moins de 2140 détenus ont ainsi décroché leur baccalauréat depuis l'année 2002. Le responsable de l'administration pénitentiaire, M. Felioune, a souligné, à ce propos, que son département n'a pas enregistré de récidive parmi les détenus ayant obtenu leur bac.