Ventes à partir de 180 000 DA à Sehaoula, jusqu'à 800 000 DA à Jazira ou locations à partir de 5000 DA à Boudouaou : le marché immobilier des bidonvilles est en plein boom. Nous avons re ncontré ces nouveaux citadins indifférents aux rats, aux oueds puants et aux murs humides. Victimes bercées par l'espoir de décrocher un logement ou profiteurs surfant sur les défaillances de la politique de l'habitat : le gourbi est leur nouvelle maison. « Je vous propose l'baraka F2 à Boudouaou pour 400 000 DA. Vous voulez la louer ? OK. A 5000 DA par mois. » Aâmi Ali, la cinquantaine, samsar (courtier) depuis des années, connaît bien son business. Celui d'un agent immobilier un peu particulier. Ses zones : des labyrinthes de gourbis de tôle et de parpaings où circulent rats, petits oueds d'eaux usées et odeurs nauséabondes. Les favelas made in Algeria n'ont sans doute rien à envier à ceux de Rio de Janeiro. Seule différence : ici, les murs se louent, s'achètent et se vendent. A des prix considérables, sans aucune assurance si ce n'est celle d'acheter un bien construit illicitement dans un environnement des plus insalubres. L'explosion de ce bidonville et de bien d'autres à Alger remonte à la décennie noire, alors que les populations des régions avoisinantes fuyaient leur maison de peur du terrorisme. Aujourd'hui, les clients les plus demandeurs seraient, d'après aâmi Ali, les nouveaux couples mariés. Aâmi Ali, lui, a une astuce pour les attirer : il leur propose ces toits de fortune avec espace réservé à la voiture et jardin à des sommes considérables, de 200 000 DA jusqu'à 1 million de dinars, avec promesse « d'un logement social », puisqu'il se chargera personnellement de les inscrire sur les listes des APC. En effet, certaines familles n'hésitent pas à passer quelque temps dans ces maisons, le temps de bénéficier d'un logement social. Nous avons rencontré Mahfoud et Karima. Mariés et résidant à Boudouaou depuis deux ans, ils vivent là avec leur enfants. « Je ne vous cache pas, le loyer coûte cher, confie Mahfoud. Je suis fonctionnaire et je gagne 16 000 DA, je me suis inscris pour l'obtention d'un logement social, j'attends toujours. » Mais à Sehaoula (près de Bir Khadem), un résidant dénonce un trafic : « Quand on leur octroie des logements sociaux, les locataires les revendent pour revenir à leurs taudis pour bénéficier d'un autre logement . » A ce sujet, le wali de la capitale, Mohamed Kebir Addou, a récemment annoncé que si un nouveau locataire s'introduit dans un bidonville sans avoir été enregistré lors du dernier recensement, c'est tous les locataires du site qui seront exclus du logement social. A El Achour, sur les hauteurs d'Alger, c'est un autre trafic qui enrichit les occupants. « Mes deux frères ont dû payer les locataires des villas qui entourent le terrain où ils avaient construit leurs baraquements. C'est un chantage qu'on ne peut même pas signaler, car la construction elle-même est illégale », reconnaît Wassila, résidante d'un autre bidonville. Détour par Jazira, à Bab Ezzouar, bidonville construit entre El Djorf et Rabia Tahar sur les décombres d'un ancien chantier OPGI. Tuyaux, fils et bâches se disputent l'espace. Ironie du sort : cet ancien fief du terrorisme est aujourd'hui habité par de nombreux fonctionnaires de police. L'un d'entre eux nous confie avoir acheté, il y a onze ans, une baraque à 150 000 DA. En 2009, les prix peuvent atteindre 800 000 DA. Les prostituées, elles, louent jusqu'à 15 000 DA par mois leur habitation de fortune en échange de laquelle les malfrats du quartier leur promettent « la sécurité ». A Boudouaou, aâmi Ali continue de nous faire visiter ses « maisons », F2, F3 et même F4. Nous pénétrons à l'intérieur de l'une d'elles. Surprise, le logis est très bien découpé, avec cuisine américaine et baignoire. Le prix de la location est de 9500 DA. « Une maison de rêve », nous dit Samir, futur habitant des lieux. A Sehaoula, Farid est aussi très fier de son habitation : « Nous vivons dans cette "maison" depuis le mariage de mes parents, et nous ne la céderons pas à n'importe quel prix ! », affirme Farid, 35 ans, habitant à Sehaoula, dans une baraque aménagée en petite « villa », comme l'appelle la famille du jeune homme. Si ce dernier met la barre haut, c'est parce qu'il estime que leur baraque est « bien aménagée, propre et spacieuse et qu'elle fait partie des plus coûteuses du quartier ». Farid, qui a fait le guide pour nous dans son quartier, nous fait visiter quelques maisons : « Ici, les familles qui trouvent un logement vendent leur baraque à des prix allant de 180 000 DA jusqu'à 350 000 DA. » Des carrés en parpaings couverts de tôles, des fenêtres étroites, des portes entrouvertes, des égouts à ciel ouvert, des marais et des odeurs nauséabondes : tel est le décor dans ce site de baraquements à Sehaoula et dans d'autres cités telles qu'El Harrach, La Montagne (Bachdjerrah) et jusque dans les quartiers les plus chics comme Hydra (Mokhtar Doudou) ou Télemly. D'après le recensement de 2007, Alger compterait quelque 50 000 baraques type bidonvilles. « Comme c'est une nouvelle installation, je n'ai ni électricité ni eau », nous dit la cousine de Farid. Et aussi sa voisine, propriétaire d'une baraque achetée à 180 000 DA. « Les acheteurs doivent remplir certains critères : il faut qu'ils soient de bonne famille et qu'ils se conforment au règlement du quartier », indique Farid avec un sourie fier. Aâmi Ali, lui, ne travaille pas seulement à Boudouaou. Les bidonvilles de Réghaïa (une localité distante de 5 km de Boudouaou) sont aussi son fonds de commerce. En véritable professionnel, il possède deux téléphones, le premier réservé à ses clients de Boudouaou, le second à ceux de Réghaïa. Il donne rendez-vous à Adlène, un client intéressé par l'achat d'une habitation précaire. Visite guidée des lieux. Coup de foudre du client potentiel qui entame les négociations. Après trois quarts d'heure de négociation, aâmi Ali, avec un sourire sournois, cède le gourbi à 250 000 DA. Ravi, Adlène compte procéder à quelques modifications, avant son mariage, prévu dans deux mois. LamiaTagzout , Zouheir Aït Mouhoub