Le boom extraordinaire que connaît le marché de l'immobilier dans la wilaya n'a d'égal que la folie des prix qui ont pris l'ascenseur pour atteindre des cimes vertigineuses. Des prix qui excluent des pans entiers de la population locale et donnent le monopole aux maquignons lesquels, eux, placent la barre très haut et opèrent une véritable OPA. Le simple quidam est interloqué, voire terrifié par cette ascension et s'indigne de la surévaluation des biens mis en vente et de « la fièvre vendeuse » qui caractérise la ville, et surtout fait passer la propriété de la main d'une classe sociale à une autre, certes riche mais traditionnelle. Les prix des terrains, appartements, villas, et bien entendu ceux des loyers, dépassent l'entendement. Un simple F3 en périphérie est proposé actuellement à 15 000 DA, quant aux locaux de commerce loués au centre-ville, ils atteignent actuellement 40 000 DA. Du jamais vu pour une ville où, a priori cela n'est pas justifié. Côté vente, la fourchette donne le tournis : entre 3,8 MDA (millions) pour le F3 le moins cher et 160 MDA comme plafond pour un F4 ! Même les promoteurs se sont mis à pratiquer ces prix en première main, brassant des marges bénéficiaires qui dépassent de loin, très loin, le coût de revient. La question qui se pose est de savoir comment le marché de l'immobilier en est-il arrivé là ? On s'interroge aussi sur les tenants et aboutissants de cette situation et sur le rôle que peuvent avoir les intervenant, administrations, agences foncières, courtiers et notaires, pour réguler et juguler ce marché. La crise chronique du logement et les années de braise vécues par le pays sont les causes objectives qui ont fouetté sacrément un marché immobilier qui était, il n'y a pas longtemps, plus ou moins sensé. La logique implacable de la loi de l'offre et de la demande, principal indice des prix, y est pour beaucoup. La capitale des Aurès a connu, durant la tragédie nationale, et même avant, un flux humain spectaculaire, et pas uniquement issu de l'exode rural. Les gens sont venus de partout se réfugier à Batna, ville hospitalière, demeurée relativement à l'abri de la folie meurtrière du terrorisme islamiste. Cette immigration a contribué à faire hausser les prix, mais était-elle aussi influente sur le marché ? D'aucuns diraient non, car d'autres facteurs, et pas des moindres, contribuent à cette ascension, comme l'affirme Louardi Djebbar, président du bureau local de la fédération nationale des agences immobilières (FNAI). Les ravages du sous-seing privé Selon ce dernier, l'informel est la première cause de cette folie ; ce serait même l'élément clé qui cache la forêt d'un trafic tous azimuts. Déplorant le fait que la majorité des transactions est conclue hors agences, c'est-à-dire hors circuit légal, M. Djebbar avance le chiffre de 5 000 actes sous-seing privé (ôrfi) conclus en 2009 à Batna. Si l'on soutient que la plus simple des transactions ne descend pas au-dessous de la barre de un million de dinars, multipliés par 5 000 cela donne des chiffres astronomiques qui échappent au fisc. Les pertes fiscales ne sont pas la seule source d'ennuis pour les collectivités locales et l'administration, le phénomène est plus complexe et possède des ramifications parfois insoupçonnées. Toute cette bouillabaisse a été favorisée par la nature même d'une bonne partie du tissu urbain de Batna. En effet, des quartiers historiques sont nés anarchiquement sur initiative des propriétaires des terrains sur lesquels ils se trouvent. C'est le cas de Lombarkia, la cité Chikhi ou encore Kechida et Hamla, quartiers où il est parfois difficile d'installer un équipement public à cause du statut irrégulier du lotissement quasiment dominé par des actes « ôrfi », non reconnus dans ce cas par l'Etat. La situation perdure à cause de l'inaction du bureau du cadastre à Batna, estime M. Djebbar, et les gérants des agences immobilières, comme lui, en connaissent un bout et se méfient de conduire des opérations sur ces sites. Les sommes injectées dans le marché n'ont pas une origine contrôlée non plus. Et c'est le secret de polichinelle de dire que les revenus du crime organisé et de l'activité terroriste sont investis dans ce marché. M. Djebbar n'a pas peur de le dire, en tout cas. L'immobilier est la machine à laver l'argent sale, c'est connu, et l'argent sale il y en a beaucoup à Batna, selon lui, notamment celui des commerçants bijoutiers et des trafiquants d'or « impur » (mélangé avec le cuivre), qui, depuis Batna, en pourvoient tout le pays. Le rush des acheteurs sur les biens mis en vente nous rappelle les spectacles des soldes dans les capitales européennes sauf qu'il n'y a pas de soldes à Batna. Au contraire, les prix sont surévalués au grand bonheur des vendeurs particuliers, devenus à l'occasion des spéculateurs, mais les acheteurs s'en fichent car l'important est de placer son argent. Un argent investi de manière encore étonnante quand on sait que beaucoup laissent leurs maisons, pourtant acquises à coup de millions de dinars, fermées !? Ce qui contribue à asphyxier davantage le marché en réduisant l'offre. La revanche du montagnard Le second facteur avancé par M. Djebbar est celui de la multiplication des intermédiaires illégaux. Le cas des coopératives privées (il cite environ 16 agences ouvertes à Batna) est illustratif de la débandade. Il s'agit, selon lui, d'une activité illégale qui permet à des courtiers de vendre des terrains en lotissements en toute liberté. Des notaires, des huissiers se mêlent aussi de la partie et tirent des profits en spéculant sur des biens mis en vente. Le maire a été alerté sur cette situation, mais aucune mesure n'a été prise, affirme notre interlocuteur. L'autre aspect du problème devrait intéresser d'abord sociologues et architectes. Le passage de la propriété aux mains des nouveaux riches est sur le point de changer le visage de la ville. Adieu l'architecture coloniale et post-coloniale homogène, bonjour les blocus « a-esthétiques ». Mine de rien, l'architecture se transforme à Batna et le paysage est de plus en plus marqué par l'émergence de bâtiments difformes et autoritaires, dénotant d'une mentalité dont le seul souci est de dominer l'autre. C'est un peu la revanche du montagnard sur le citadin, une prise de pouvoir par le bâti à l'image du fait colonial. En l'absence d'une vision globale et d'un projet pour la ville de demain, le vide est comblé par une « rurbanisation » qui refait Batna à l'image de ses nouveaux occupants, faisant fi des règles élémentaires de l'architecture. L'Etat, à travers ses institutions et ses organismes, censés réguler le marché en orientant et en contrôlant les intervenants, ne fait rien hélas face à ces dérapages aux conséquences désastreuses, alors que les jeunes qui fondent des foyers continuent de souffrir des prix trop élevés des loyers. Le versement dans le parc immobilier locatif des logements fermés par leurs acquéreurs pourrait régler en partie la crise de l'offre et faire baisser sensiblement les prix de location. Dans ce sens, la loi de finances complémentaire (LFC) 2009 a décidé d'une batterie de mesures portant sur les avantages fiscaux encourageant les propriétaires des biens immobiliers à les louer. Le feedback positif est moins sûr, hélas, si l'on se réfère au statut des nouveaux propriétaires et à leurs intentions. Abdelhakim N. , Nouri Nesrouche