Est-ce à croire que les responsables politiques ont jugé que le service public asphyxiait le gouvernement pour réduire, de façon draconienne, sa vigueur ? Monsieur Calmette disait à ce propos : «Les dépenses faites pour la sauvegarde de la santé publique sont productives de richesses parce qu'elles sauvegardent le capital humain.» Elles constituent, selon lui, le plus fructueux des placements d'épargne. En réalité, l'hôpital exerce une activité éminemment rentable si l'on considère l'homme comme le capital le plus précieux d'un pays. Donc, angoissée par le «burn-out» (syndrome de l'épuisement professionnel) pouvant conduire au suicide, cette nurse déclare : «…Je dors très mal ! Je pense au boulot constamment. J'ai peur que le stress me fasse oublier un soin, que la pression m'empêche de prendre le temps avec un patient déprimé, que la fatigue me fasse faire un mauvais calcul de dose ou administrer un produit au mauvais patient. J'ai peur que ce métier que j'aime ne me transforme en assassin involontairement, parce qu'on aurait laissé la situation se dégrader. Parce que, dit-elle, nous sommes tous responsables ! Je suis infirmière aujourd'hui, mais nous sommes tous des patients de demain. Vous pouvez être au bout de ma ‘‘seringue paniquée'', ou vous ou votre enfant. Je vis l'insécurité dans mon travail alors que je le maîtrise pourtant… Je n'aurais pas pu gérer deux situations d'urgence à la fois ! Faut-il, s'écrie-t- elle, attendre qu'il y ait des morts pour réagir et prendre conscience de ce qui se passe dans les hôpitaux ?» Combien de dizaines de milliers d'infirmiers font défaut à cette institution qui multiplie ses structures pour être en adéquation avec les besoins d'une démographie galopante ? Comment attirer cette ressource humaine, devenue une denrée rare, sans revaloriser le statut de l'infirmière qui voudrait, par sa profession, occuper un rang social décent. En réalité, la question de l'effectif des soignants voit sa réponse dans une formation performante. Ce ne sont pas les moyens matériels qui manquent à l'hôpital, mais un personnel performant. Aussi, après avoir ressenti la dépréciation de leur profession par l'intégration de gens sans études appropriées, les infirmiers ont constaté, à leurs dépens, les dégâts de cette opération de disqualification de leur corporation. Le personnel transitoire, chargé de fonctions (qui incombent à l'IDE) qui sont d'autant plus stratégiques que la qualité de la prise en charge des malades est décriée et que l'institution est mise à mal. Ce noble art n'a plus la considération qu'il mérite et qui devait le maintenir parmi les plus beaux métiers. De nos jours, le morticole est primé pour son indisponibilité et l'infirmière est réprimée pour n'avoir pas pu (malgré sa prédisposition) suppléer aux insuffisances médicales et aux carences administratives. C'est scandaleux de vouloir soumettre la vie des gens à des palliatifs déplorables et leur sort à des mains des faisant fonction et des personnes qui exercent un art en dilettante, lorsqu'on sait que l'on ne pratique efficacement une discipline que si l'on sait avec certitude le comment et le pourquoi des choses. Hélas, les drames de l'incompétence se multiplient dangereusement, et c'est à l'infirmière qu'est imputé, avec lâcheté, le «pretium doloris». Victime expiatrice, elle est condamnée à de lourdes peines, ce qui laisse le champ libre aux vrais coupables pour tergiverser avec un humour belge sur leur «immunité népotique», en se cachant derrière les aléas thérapeutiques. Il est attendu du législateur d'accorder à l'infirmière une meilleure sécurité juridique, surtout que c'est à l'hôpital que l'esprit des classes est le plus apparent et l'esprit d'équipe est le moins évident. Ne suffit-il pas à l'infirmière son hernie discale ; au manipulateur des rayons x sa leucémie ; au laborantin son hépatite virale ? Tous sont proies à ce terrible épuisement professionnel et à cette angoisse du trapéziste, forcé au salto sans filet de sécurité. Ils souffrent de la dévalorisation sociale de leurs diplômes et de la clochardisation de leurs fonctions en endurant les effets pervers d'un ordre social dévoyé qui les place sous l'épée de Damoclès. N'est-il pas temps d'apprécier ces infirmiers à leur juste valeur ? A l'instar des études universitaires, leur formation exige désormais le baccalauréat et le recrutement dans ce corps est ouvert, par voie de concours, aux titulaires d'un bac scientifique. D'ailleurs, ce concours est sous-tendu par un entretien de motivation cherchant à déceler les aptitudes du candidat à pouvoir exercer la profession. La formation d'infirmiers se trouve ainsi apparentée, comme une filière universitaire qu'il faudrait libeller au timbre de l'enseignement supérieur. Aussi, n'est-il pas possible, avec le semis de tant d'universités réparties sur tout le territoire national d'entreprendre une «universitarisation» de cette noble profession en organisant un LMD en sciences de la santé ? Enfin, si l'université est le lieu de production et de conservation des savoirs, alors la production des savoirs en soins infirmiers et leur imprégnation est une discipline universitaire à part entière. Le passage du système Infirmier diplômé d'Etat au système Licence, master, doctorat est inévitable, pensent certains, parce que les infirmiers sont indispensables au système de santé. Ces derniers veulent être les acteurs de l'évolution de leur profession (affirmée depuis des siècles), les auteurs du développement de leur rôle et les architectes de leur formation. En un mot, l'infirmier se veut un praticien autonome des soins et être affranchi vis-à- vis du médecin, eu égard à son affirmation. Il cherche surtout à retrouver le sens originel de son art pour pouvoir reconstruire son identité professionnelle. Certes, l'infirmière sait que sa profession est née d'une filiation médicale patrilinéaire qui s'est superposée à la filiation religieuse matrilinéaire. Ce double héritage l'incite à combattre les souffrances d'autrui et à donner aux patients les soins nécessaires à leur état. Il est ardemment souhaité que continue cette réflexion d'«universitarisation» qui demande à ce qu'elle soit sous-tendue par un apport d'éléments pertinents aux conclusions qui soient en adéquation avec les attentes de la réforme hospitalière devant contribuer à l'évolution de la profession et à la revalorisation du statut public du rôle de l'infirmière. A n'en point douter, l'opposition à un tel projet cacherait quelque chose de discriminatoire et exprimerait un mépris manifeste nourri par ceux qui font du pari pascalien un divertissement suprême. Somme toute, si tous les arts aux hommes sont venus par la grâce de Prométhée, celui de l'infirmière est bien au cœur du Mythe, puisqu'elle est là dans l'immobilité figée du supplicié. Aujourd'hui, pour bénir la peur, c'est au modèle de l'innocence qu'est appliqué le châtiment exemplaire. Déjà, en 1966, l'OMS a défini le rôle de l'infirmière en déclarant que c'est à elle que reviennent le diagnostic infirmier, l'initiative, la réactualisation des soins et le contrôle de son travail. La profession s'est vu ainsi responsable de son évolution et la fonction s'est bien adaptée aux exigences d'une société en mutation. Sans doute les infirmiers préfèrent la collaboration entre professionnels à la délégation des compétences qui les dévalorise. Ils ne voudraient pas que leur travail soit une activité médicale auxiliaire. Ils désirent retrouver une place prépondérante au niveau du «braintrust», compte tenu de leur rôle stratégique dans la vie hospitalière, si ce n'est l'hypocrisie qui a corrompu la convivialité dans nos hôpitaux. Il est désormais question d'interpeller l'université qui, dans son incohérence, ne cesse d'enfler le corps médical sans l'apparier au corps paramédical. Ce qui met en évidence une disqualification bilatérale résultant de cette évolution négative. Cette spécialisation en deux corps transforme l'un en nébuleuse et pousse l'autre à l'extinction. Les infirmières appellent à l'équité, bien qu'il émane de l'esprit du législateur (malgré son abstraction dangereuse) que ces fées, aux bras affectifs, soient fréquemment forcées de panser le déclinatoire des compétences médicales pour remédier à l'indisponibilité de certains toubibs et parfois accusées de négligences graves. La pauvre ne peut expier de sa bonne foi (cette foi de charbonnier) pour se défendre, même par rapport aux incivilités qu'elle subit de la part des patients insatisfaits, qui en voudraient au médecin (les ayant abandonnés) et qui déversent, paradoxalement, leur colère sur elle. Que pourrait-elle faire lorsqu'elle sait que toute impolitesse vient de l'incompréhension et que l'agressivité s'apaise avec des explications du médecin si celui-ci daignait affronter les conséquences de son indisponibilité. Il y a également matière à interrogation, comme ces nombreuses questions rétives (qui résistent à l'autorité des fausses réponses) qui posent problèmes, telles que : «Est-ce à l'infirmière de soigner la médecine de sa schizophrénie ? Est-ce à l'infirmière de quérir le docteur Thanatos pour confirmer la mort de l'hosteau ? Est-ce à l'infirmière de rappeler aux jeunes médecins fraîchement diplômés cette maxime : «Primum no nocere, secundum salvere» ? C'est devant tant de doutes que le citoyen se demande : «Lorsque le médecin tue l'hôpital, qui peut bien sauver les malades» ? Car il refuse le cogito post mortem qui n'est qu'une injure à l'esprit de Périclès. Il s'insurge contre cette nouvelle circulaire qui doit prioriser l'exercice du temps complémentaire, en favorisant l'activité lucrative. Cet ukase n'a été diffusé que pour donner le coup de grâce au secteur public de santé, déjà déstabilisé par les deux affections ankylosantes que sont la «médicopathie» et la «bureaupathie» . L'hôpital public et la médecine du temps partiel L'hôpital n'exerce plus une médecine de «full time» (plein temps) ! La majeure partie de ses praticiens est allée pratiquer le temps complémentaire dans le secteur privé. Ni les médecins ni les équipements n'assurent le plein temps. Les textes indiquant les modalités pratiques des conditions d'exercice de l'activité complémentaire expriment une obscure hystérie corporatiste. Cette décision «gubernatoriale» comme les autres instructions, tire à hue et à dia par son manque d'objectivité. Pas clair, ce décret met en peine le chef d'établissement qui ne peut s'opposer à la désertion du secteur public sous le couvert de cet arrêté qui génère des droits exclusifs et favorise le glissement de l'hôpital vers un dangereux déclin. D'ailleurs, il n'échappe à personne que le redoutable concurrent de l'établissement public de santé est ce médecin qui émarge à son budget et pratique son art en clinique privée avec une bénédiction solennelle. Il est à noter que dans les pays ayant décrété ce temps dit complémentaire (avant de l'abolir), la rémunération a été fixée à moins de 60% de celle que perçoit le médecin du plein temps. Voir tant des toubibs du service public exercer le temps «additionnel», alors qu'ils ne s'acquittent pas du temps essentiel à l'hôpital, est une intrigue qui suscite de sérieuses interrogations. Ces praticiens semblent être missionnés pour tuer l'hôpital au mieux des intérêts particuliers. Ils s'arrogent le droit d'orienter les patients vers la clinique privée pour traire cruellement leur malheur avec des forfaits d'usuriers. Dans ce cadre d'iniquité, il faut signaler que les malades abusés sont généralement restitués à l'établissement public dès que l'impasse thérapeutique est ressentie ou lorsque leur porte-monnaie n'arrive plus à supporter le poids des prescriptions. Il faut démasquer les praticiens qui somment leurs malades, par des manœuvres pénibles (visant à rendre leurs séjours insupportables) à quitter l'hôpital pour la clinique en leur imposant un jeûne (pré-opératoire) prolongé, en dépit de leurs états de santé préexistants (diabète, hypertension artérielle, cardiopathie…) sans les opérer, et ce, plusieurs fois durant leurs séjours à l'hôpital. Aussi, l'ouverture de ces cliniques qui visait à mettre les nantis à l'amende par le paiement des prestations, selon le principe du «monopoleur discriminant par le prix», a conduit à un effet contraire. Ce sont plutôt les riches qui, sans commisération pour les impécunieux, se font curieusement soigner dans le secteur public sans bourse délier et ce sont les gens précaires et malheureux qui sont privés du «panier de soins». D'ailleurs, le malade en crise est forcé d'aller voir soit le docteur «Tant Pis» au secteur «tant mieux», soit le docteur «Tant Mieux» au secteur «tant pis», et pa-delà l'écume des apparences où pandits et bandits se confondent telles des poupées gigognes, le corps médical semble profiter de cette coexistence vénale. Il est dans les deux camps à la fois et son intérêt l'entraîne à desservir l'un pour tirer avantage de l'autre. En ce monde moderne, impersonnel, égoïste et matérialiste, les valeurs humaines comptent peu ; l'espoir est que l'hôpital puisse, sous le sceau de l'urgence, retrouver son timbre sacerdotal, son label de générosité ancestrale, sa vigueur légale ainsi que sa rigueur ; puisque à son origine, il était considéré comme l' œuvre humaine la plus importante, tout en s'instituant des vérifications rigoureuses pour se débarrasser des vermines. Que ce pactole qui se fait sur son dos (par le délitement des valeurs, l'impunité des indélicats, l'ignorance galonnée, l'inefficacité du contrôle), soit stoppé, car il relève du secteur social de la nation. Incontestablement, 1'hôpital réformé ne doit être, pour ainsi dire, rien d'autre qu'une «clinique hospitalière publique», sinon il lui faut céder la place à la clinique privée conventionnée. En tout cas, les laissés-pour-compte ont toujours le ministère des Affaires sociales pour prendre en charge leur «cura pauperum». Si cette institution, apparemment dynamique, acceptait d'éclairer un peu plus son enseigne ! Mais pourrait-elle remédier aux insuffisances de toutes les maisons dont la vocation a pour origine «1'hospes» et qui ont perdu toute option miséricordieuse qui faisait leur spécificité ? (A suivre)