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Le Devoir d'espéranced'Aldjia Benallegue Nourreddine
Publié dans El Watan le 08 - 10 - 2010

Dans cet ouvrage, le professeur en pédiatrie Aldjia Benallegue Nourreddine, déroule pour nous, non pas sa vie, une vie classique, qui se contente à partir de son itinéraire certes singulier, de retracer les accidents visibles de son existence, de reconstruire son curriculum vitae officiel qui se confond avec l'histoire de la médecine en Algérie.C'est plutôt, une analyse au sens psychanalytique du terme, d'un contexte social, culturel, cultuel, politique et idéologique, hostiles dans lesquels a baigné l'auteur et sa famille.
L'auteur à travers, son génogramme (arbre généalogique qui renseigne sur ce qui se transmet à notre insu d'une génération à l'autre) comportant quatre générations (celles de ses grands parents, ses parents, la sienne et en filigrane celle de ses enfants, petits-enfants et arrières-petits -enfants), se livre et nous offre une source inestimable d'informations rarissimes sur l'évolution sociétale de l'Algérie de la fin du XIXe siècle jusqu'à la fin du XXe siècle.
Dès l'avant-propos le professeur Aldjia Benallegue Nourreddine nous invite à jeter un «…Coup d'œil dans “le rétroviseur” de l'histoire», et d'ajouter de suite pour qu'il ne subsiste aucune ambigüité dans cette introspection : «Il n'est nullement de mon intention de réveiller un quelconque ressentiment…Mais s'il est vrai que l'on ne reconstruit jamais le passé, on doit cependant le visiter pour comprendre le present. »
Ce livre, avertit, le professeur en pédiatrie Aldjia Benallegue Nourreddine, elle l'a écrit pour ses petits-enfants et arrières-petits- enfants, pour laisser une trace des commencements hésitants, tâtonnant et dans une solitude absolue des femmes qui se sont aventurées dans un monde réservé jusqu'alors aux seuls hommes : le monde des études (primaires, secondaires et universitaires), celui du travail, de l'organisation sociale et de la lutte politique, car comme elle souligne.
En revisitant et en feuilletant pour ses petits et arrières petits-enfants, son vécu et le vécu de ses parents pris en tenaille à équidistance entre 50 ans de vie passé sous la colonisation française (celles de ses grands-parents, parents et une partie de la sienne) et 50 autre années de vie retraçant sa vie à l'indépendance et post-indépendance de l'Algérie (une partie de celle de ses parents, la sienne, celle de ses enfants et en pointillé celle de ses petits enfants et arrières-petits enfants), on saisit mieux le sens de l'intitulé de son ouvrage Le Devoir d'espérance.
Ouvrage qu'elle dédie à son père comme signe de reconnaissance pour tous les sacrifices qu'il a fait et a fait faire à toute la famille pour qu'elle, une fille née en 1919, puisse s'instruire, apprendre la logique et la philosophie et accéder à la faculté de médecine et devenir un professeur agrégé, chef de service en pédiatrie.
Elle nous rappelle que la médecine était réservée à l'époque au seuls mâles européens, aussi être la première indigène à figurer parmi les rares pionnières européennes et surtout américaines, à avoir osé braver l'interdit social et épouser la carrière médicale, n'était pas aisé et s'est fait sur fond de conflits, de jalousies et d'envies qui l'ont épuisée plus que les études médicales déjà harassantes.
Chapitre après chapitre, l'auteur à la manière d'une archéologue va restituer les failles, non pas de notre mémoire, mais celle de l'histoire, prompte à caviarder et à brouiller toute trace de présence de femmes dans l'avènement de l'humanité, et nous rappeler qu'au commencement les femmes pratiquaient la médecine, mais progressivement, elles ont été évincées avant d'être chassées, voire pourchassées et dès le XIe siècle la pratique médicale est exclusivement masculine.
Dans le déroulé de son histoire singulière et à la manière d'une analysante, on apprendra dans la foulée de sa remémoration que son oncle maternel a succombé à la maladie à la veille de l'obtention de son diplôme de médecin, c'est certainement cet événement qui a influencé inconsciemment son choix pour faire médecine, réalisant ainsi le rêve de cet oncle éploré, par sa mère et sa grand-mère ; dans un va-et-vient allant des souvenirs infantiles les plus lointains jusqu'aux souvenirs les plus récents, et avec la précision d'un chirurgien, plutôt d'une chirurgienne, elle convoquera pour nous, les noms, tous les noms (de sa famille, de ses maîtres d'école primaire jusqu'à l'université, de ses amies : de l'école ouvroir de Médéa pour les filles indigènes jusqu'à sa retraite), des lieux de sa Kabylie natale, en passant par le Sud algérien, marocain, tunisien et les villes françaises, elle s'appuiera dans ces évocations de toutes les personnes qu'elle a croisées dans sa vie pour décrire avec force détail, qu'elle étayera avec des statistiques parlant, la scolarisation, l'état de santé et les conditions de vie et d'habitat des indigènes qu'elle articule aux environnements et contextes des différents moments.
Ces évocations, et le tableau qu'elle peint des lieux de naissances de ses parents en Kabylie, où les enfants, plutôt les garcons : «Pour atteindre l'école, tous les garçonnets devaient parcourir 3 à 4 kilomètres environ .
Le matin ils emportaient dans un petit panier ce qui serait leur déjeuner frugal à l'école (galettes et figues sèches…la tante paternelle de mon père qui chérissait particulièrement son jeune neveu le portait alors sur son dos, gravissait la côte jusqu'à l'école et revenait le soir le reprendre à la sortie des classes…Tous ces garçons ont fréquenté l'école avec avidité, tout en suivant les leçons en arabe à l'école coranique. Ni la pluie, ni le ni le vent, ni la neige, ni le soleil brûlant ne les rebutaient.»
Outre ces descriptions qu'elle cisèle et qui décrivent l'état d'indigence des Algériens durant la colonisation, elle feuilletera pour nous les lois, les décrets, notamment le décret Crémieux auquel elle consacre un chapitre et à la manière d'un médecin qui examine et explore toutes les pistes pour rechercher l'origine de la maladie et ne se contente pas de traiter le seul symptôme, elle revisitera les extraditions, les expulsions, les expropriations et les exclusions, qui vont fragiliser toute les franges de la population et vont les miner de l'intérieur, rendant lisibles certaines us et coutumes, qui nous ont été transmises, vidées de tout sens, non explicités.
L'auteur dans ce déroulé va donner du volume à des notions galvaudées à volonté, ainsi il y va du code de l'indigénat, qu'elle rappelle qui a été «… établi en 1881…. soit 50 ans après le début de la conquête militaire, non pas par les autorités militaries, mais par les autorités civiles, citoyens venus de France ou d'autres pays européens…Pour être citoyen français, les indigènes devaient renoncer à leur statut personnel…». Ensuite elle déplie comment par touches successives ce code sera modifié : «Cette discrimination envers les autochtones avait été supprimée pour les juifs indigènes le 24 octobre 1873 par le décret Crémieux (Crémieux était alors ministre de la Justice à Paris). Ce décret prescrivant la naturalisation collective d'office des juifs indigènes d'Algérie, sans renoncement à leur statut personnel…»
Enfin, elle explique en quoi consiste ce code : «Pour les indigènes musulmans, l'accès à la pleine citoyenneté française ne fut pas automatique : il exigeait de chacun une demande en bonne et due forme stipulant le renoncement à leur statut personnel, c'est-à-dire aux règles conformes à leur religion, renoncement considéré par les musulmans comme une apostasie…. ce qu'impliquait ce code de l'indigénat : une série de mesures spéciales discriminatoires, vexatoires, visant tous les domaines : mesures sociales, juridiques, économiques, sociales… en 1945 exactement, en vertu de ce code, un Européen français se plaignit de ce qu'un Arabe l'avait bizarrement regardé dans la rue en le croisant : cet Arabe était un instituteur, il fut immédiatement condamné à deux ans de prison sans procédure judiciaire préalable.»
Cet ouvrage qu'elle a écrit pour ses petits- enfants et arrières-petits-enfants se veut un hommage à son père, qui l'a soutenu, encouragé et poussé à devenir cette femme, médecin en 1937, chef de service en 1964 d'une pédiatrie qu'elle a pensée, bâtie et organisée à l'hôpital Parnet: « Prendre à- bras-le-corps la pédiatrie en Algérie, dans un pays exsangue, dévasté par une guerre effroyable, où tout est à reconstruire, où l'on annonce officiellement trois cents cinquante mille orphelins, c'est, à la fois, faire face à la maladie déjà installée, empêcher l'explosion de nouveaux cas par une médecine préventive structurée, dépister la maladie non encore évidente aux yeux des parents, compenser l'absence de centre de PMI, l‘absence de centre spécialisé dans le suivi de la santé mentale de l'enfant .»
A son départ à la retraite elle constate : « L'aménagement du service tel que je l'ai laissé en 1989 s'est effectué en plusieurs étapes au cours desquelles la ténacité voire l'acharnement eurent raison de toutes sortes de difficultés. Bâtir, ce fut chaque fois choisir ce qu'il faut en fonction des besoins. En fonction de la nécessité urgente et des maigres disponibilités financières de l'hôpital.»
Le livre s'achève sur cet épilogue : « J'ai fait de mon mieux pour être utile. Servir d'abord la condition féminine en Algérie : obtenir mon baccalauréat, c'était ouvrir une brèche dans la muraille de l'illettrisme dressée contre la femme. Entrée à l'université, j'ai pu transformer cette brèche en un portail ouvert sur voie de l'élitisme universitaire. Puis aider l'être humain dans le domaine social et médical : c'est dans l'action au service des défavorisés sociaux et des malades de tous âges, plus particulièrement des enfants et des parents éprouvés que je me suis sentie en phase avec ma vocation.»

Edition Casbah 2005
Où le
Génogramme de la famille d'Aldjia Benallegue Nourreddine

Ce témoignage précieux de Mme Aldjia Benallegue Nourreddine est un livre à lire et à faire lire.


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