L'acquittement des deux non-jeûneurs de Aïn El Hammam, le 5 octobre dernier, est à la fois un soulagement et en même temps une interrogation. Soulagement parce que le droit et la raison l'ont emporté. Interrogation car, en réalité, ce procès n'aurait jamais dû avoir lieu ; sa tenue est une prime à la crispation identitaire et à la provocation. C'est dire la régression que l'on a subi depuis l'indépendance à ce jour et les écarts que l'on a pris avec les principes et fondements du Mouvement national dans l'ensemble de ses composantes, y compris avec les ulémas de l'époque. C'est dire également à quoi mène la concurrence – biaisée par nature – entre l'Etat et les intégristes sur un terrain balisé par ceux-là, et ce, dans toute l'aire musulmane. De glissement en dérapage, on quitte la patrie spirituelle pour entrer dans l'Etat confessionnel qui revêt les habits de la bigoterie et de l'intolérance, les deux piliers qui mènent tout droit à l'inquisition. La poursuite judiciaire des non-jeûneurs – incroyants ou chrétiens – relève de ce phénomène où l'Etat brandit la coercition là où il n'y a que liberté de conscience. Ce faisant, l'Etat séculier perd ses oripeaux un à un, au grand soulagement des intégristes qui voient leur travail s'accomplir par procuration. Nos dirigeants doivent se rappeler que l'inquisition est née au Moyen Age, en Espagne, par l'obligation faite aux musulmans et aux juifs de se convertir. Puis ne croyant pas en leur apostasie car «dissimulateurs ayant fait semblant d'avoir adopté la vraie foi», les rois catholiques et leurs descendants décidèrent de «purifier les cœurs et les âmes» de ces damnés par la violence. Voilà la préfiguration des purifications ethnique, religieuse et idéologique du XXe siècle et du début de l'ère actuelle. La décennie noire est un avatar de cette configuration où la terreur a fait office de justice. L'avenir est parsemé d'embûches aux conséquences redoutables si les digues de la liberté ne sont pas mises en place face aux douaniers de la pensée. Le droit de la force ? Devant la montée de l'uniformisation religieuse, il faut se battre pour des choses simples mais essentielles : les libertés démocratiques. Les libertés de croire, de s'exprimer, entre autres, sont constitutives de la dignité de la personne humaine. Le Pacte civil et des droits de l'homme de 1966, ratifié par l'Algérie en 1989, est à cet égard suffisant pour cet ensemble des droits et libertés, notamment celle de l'exercice du culte. La Constitution, qui vient en seconde position dans la hiérarchie des normes juridiques, confirme cet engagement. Dès lors, pourquoi a-t-on peur des convertis au christianisme ? L'Islam n'est-il pas la religion de la tolérance ? Comment peut-on s'indigner chaque fois des difficultés des musulmans à exercer leur culte dans des espaces décents en Occident et ne pas le faire pour les chrétiens en Algérie ? C'est pour «exercice illégal du culte» que quatre prévenus (détention préventive) de Larbaâ Nath Irathen seront déférés devant le tribunal, aujourd'hui 10 octobre 2010. Sans entrer dans les arcanes de la justice, il y a comme une contradiction entre la difficulté d'obtenir des endroits publics pour exercer son culte et l'arrestation des fidèles dès lors que ceux-ci dégagent un espace privé dans ce but. Quel crime y a-t-il à cela ? Combien y a-t-il de moussalat dans des lieux publics et privés de rite musulman sans autorisation ? Que dit à ce sujet l'ordonnance régissant la pratique cultuelle ? Deux poids et deux mesures ? La République à laquelle nous croyons, issue des limbes du Mouvement national, est fondée sur l'exercice des droits et libertés. L'égalité des droits est l'alpha et l'oméga de cette citoyenneté républicaine. Peut-on rappeler que des chrétiens –Français et Algériens – se sont engagés pour l'indépendance de l'Algérie parce que précisément la justice est indivisible ? Les textes et les paroles de Jean Amrouche, notamment, ont été des balles assassines contre le colonialisme afin qu'advienne l'Algérie libre et indépendante. Croyant ou citoyen A l'instar des pays musulmans, l'Algérie est confrontée au salafisme – intolérant, uniformisateur et dominateur – qui semble s'infiltrer dans les interstices de l'Etat pour en modifier la substance idéologique. Atteint par un déficit de légitimité à cause du mariage raté entre la république et la démocratie, le pouvoir cède d'autant plus facilement aux revendications salafistes que celles-ci permettent le contrôle social sur les masses. La citoyenneté cède le pas, trahie. Le combat entre le citoyen et le croyant est relancé de façon inattendue par ces multiples affaires de Aïn El Hammam, Larbaâ Nath Irathen et Ighzer Amokrane. Auparavant, c'était Tiaret. La citoyenneté, qui se base sur la non-discrimination, doit l'emporter car elle inclut la croyance. Le contraire n'est pas toujours vrai. Ce postulat doit se manifester, aujourd'hui à Larbaâ, comme demain à Akbou, afin que le «vivre ensemble» se passe dans l'harmonie et le respect des uns envers les autres. Auparavant, la parole doit se libérer de l'autocensure face à «des sujets délicats et sensibles» qui, si on les attaque pas de front, vont demain constituer la norme culturelle, sociale et politique.