On ne se souvient des amis qu'une fois ceux-ci passés de vie à trépas. Francis Jeanson, mort à l'âge de 87 ans, rejoint ces nombreux « amis » de l'Algérie, des amis inconsolés qui ne comprendront jamais les torts faits à des hommes qui ont fait le bon choix, celui de la justice. Mais quel souvenir particulier laissera cet homme à part, celui de cette guerre qui a créé des amitiés vite conçues mais aussitôt trahies, au lendemain de l'indépendance. En menant son combat, Jeanson et ses compagnons s'attendent-ils à recevoir des dividendes ou une quelconque reconnaissance de la part de ceux auprès desquels ils se sont engagés ? On en doute fort. Engagé dans le combat, Jeanson est cet intellectuel vrai qui s'est mis à dos une partie de l'intelligentsia métropolitaine dans laquelle il était pourtant intégré. L'engagement de Jeanson obéït à une logique implacable : rejoindre l'autre bord, celui des « fellagas » était pour lui l'occasion de faire corps avec les valeurs de la France, « sa » France, celle des Lumières qui ne saurait faire offense aux ancêtres. Jeanson trouvait que la patrie des droits de l'homme a trahi ses idéaux et rejoindre l'autre camp c'est là sa manière pour « redresser les torts ». Le voyage de Jeanson en Algérie, à Sétif qui a connu les massacres abjects de Mai 1945, lui permettra de découvrir les misères faites à un peuple et de s'engager aussitôt revenu en France. Le Centre culturel français d'Alger rendra à la rentrée, le 6 septembre, un hommage à Francis Jeanson. Prémonitoire, le geste décidé depuis longtemps, verra la présence d'une historienne et d'un homme d'action, un acteur de l'histoire en marche, qui s'essaie avec bonheur à l'écriture historique, Me Ali Haroun en l'occurrence. Marie-Pierre Ulloa, directrice associée à l'université de Stanford (Californie), invitée du CCF, a consacré une biographie touffue au personnage haut en couleur qu'était F.Jeanson. Rédacteur aux Temps Modernes, l'homme au visage émacié, ami de Jean-Paul Sartre et de André Malraux, s'est adressé à la conscience des Français mais mal lui en prit. Des menaces proférées à son encontre et de cette haine de ses compatriotes, il en sortira grandi. Marie-Pierre Ulloa qui a réédité son autobiographie chez Casbah Editions reviendra sur des aspects insoupçonnés du philosophe ; son enfance, ses tribulations, la compagnie des auteurs et philosophes des années 1950 mais surtout sur l'épisode qui revient souvent, celui des « porteurs de valises », expression passée à la postérité grâce en partie à Jeanson et aux réseaux qu'il a animés en métropole et dans les pays d'Europe où l'on pouvait apporter de l'aide aux militants du FLN-ALN. L'Algérie hors la loi, l'ouvrage qu'il consacre à la révolution sera saisi et son engagement franc lui vaudra d'être condamné et grâcié des années plus tard par la France de De Gaulle, en 1966. Jeanson avait de la suite dans les idées : de l'armée française de libération dans laquelle il fut incorporé durant l'occupation allemande à l'armée nationale, ALN, algérienne, l'engagement de Jeanson fut le même ; pour des valeurs inébranlables, celles qui ne détruisent pas l'homme mais lui redonnent au contraire toute sa dignité. Etre l'ennemi des siens peut nous mener à avoir des amis dans l'autre bord lorsque l'on fait toujours siennes les souffrances des hommes incompris et laissés pour compte mais surtout calomniés et amoindris. Fragile physiquement, puisqu'il passe un séjour dans un sanatorium, l'homme saura prendre langue avec des militant du FLN et le peuple algérien qui aura pour lui une pensée pieuse.