Tout le monde s'accorde à le dire : le marché de l'immobilier est un marché « sauvage » livré aux mains des spéculateurs. Et l'un des aspects patents de cette anarchie est sans doute le manque flagrant de professionnalisme de nombre de nos opérateurs immobiliers, qu'il s'agisse des promoteurs, des banquiers ou des agences immobilières. Pour ne parler que de ces dernières, il ne serait pas exagéré de dire à la suite de Mourad, un jeune cadre dans le privé qui semble en connaître un tantinet sur le sujet, qu'en fait d'agences immobilières, nous avons plutôt affaire à des « smasria ». Mourad sait de quoi il parle pour avoir subi de plein fouet la loi de l'un de ces flibustiers urbains. « C'est une agence qui a pignon sur rue à Didouche Mourad, un cabinet du nom de agence Massalih, qui jouxte le cinéma l'ABC. J'ai eu affaire à eux pour avoir repéré sur internet un de leurs produits, une petite bicoque de 50 m2 située sur les hauteurs de Robertseau, à la lisière du boulevard Krim Belkacem », raconte Mourad. « Il s'agissait d'un petit F2 proposé au prix de 6 million de dinars. J'ai pris attache avec l'agence, après deux ou trois visites avec ma femme, nous avons décidé de l'acquérir. Nous étions saignés par les loyers prohibitifs, et avec nos maigres économies, nous comptions, avec le concours d'un prêt bancaire, nous sédentariser définitivement dans un quelconque logement. La location, c'est de l'argent jeté par les fenêtres. Qui plus est, tu vis continuellement avec un sentiment d'insécurité, avec le sentiment d'avoir un pied dehors et l'angoisse lancinante de te retrouver du jour au lendemain sans toit, sans territoire. » Mourad finit par rencontrer le propriétaire des lieux par le truchement de l'agence en question. « Le problème a commencé déjà lors du versement des arrhes : avec le proprio, nous avions convenu de verser 100 000 DA d'arrhes, mais voilà que l'agent immobilier exige 200 000 DA. J'ai réuni la somme et je l'ai versée sans chicaner, me disant que les 10 millions restant couvriraient les honoraires de l'agence le jour où la transaction serait conclue. » Mourad s'engage ensuite sur un autre front : celui du crédit. Il fait le tour des enseignes bancaires, consulte les sites de la CNEP, de la BDL, du CPA, s'échine à caler des rendez-vous pour voir sur place, fait des simulations, commence à réunir les pièces administratives exigées pour constituer le dossier, se renseigne auprès d'un notaire sur les frais afférents afin d'éviter toute mauvaise surprise. Il songe aux copains sur lesquels il pourrait compter, le cas échéant, pour faire son montage financier. « Et le rêve de la petite bicoque grandissait dans notre tête, ma femme et moi. On se surprenait à rêver d'un petit havre de paix, un petit nid d'amour pour rêveurs pépères et sans histoire. On a même ramené un architecte pour imaginer un moyen de donner plus de volume au petit F2 et l'inonder de lumière. » Très vite, le rêve de Mourad se brise sur l'autel de l'argent. Les meilleures simulations lui promettaient à peine 3 millions de dinars. « Il fallait avec cela payer le loyer, les factures, mettre de l'argent de côté pour l'apport personnel, les honoraires du notaire, de l'agent immobilier, le fisc, l'expert. » Et de butter sur ce chiffre insolent : « L'affaire ne pouvait pas se conclure à moins de 650, 660 millions de centimes “toute tchippa comprise” », ricane-t-il avec aigreur. Un casse-tête nommé « arboune » Il reçoit une succession de tuiles sur la tête, les unes après les autres, qui semblaient se décoller de la toiture de la petite bicoque de ses rêves. « Je n'ai pas réussi à réunir le complément financier nécessaire, alors j'ai dû annuler la transaction la mort dans l'âme. Par la suite, l'agent m'a appris que l'acte du logement lui-même était entaché d'un vice d'écriture. Je n'ai donc pas perdu grand-chose. » Problème : comment récupérer les 200 000 DA confiés à l'agence Massalih ? « Je dis à l'agent d'agir conformément aux lois du marché. Je voulais le placer devant sa conscience. J'étais naïf de croire que ce milieu pouvait fonctionner selon un code d'honneur. Le propriétaire a pris de plein droit ses 100 000 DA d'arrhes conformément au principe "al arboune maywalliche" (les arrhes ne sont pas restituées). » Mourad accepte son sort avec résignation. Mais il doit reconduire son loyer, payer ses factures, son ordinaire et tout le toutim. « J'estimais qu'il était juste que je récupère les 100 000 DA restants, et qui étaient conservés dans le coffre de l'agence Massalih, d'autant plus que l'agence m'avait promis de ne pas y toucher. Mais voilà que l'agent m'annonce toute honte bue qu'il avait utilisé cet argent au prétexte qu'il était en rupture de liquidités. Mais je n'ai rien dit. Un jour, le même agent m'appelle pour me dire que son associé s'était adjugé 50 000 DA d'autorité, et pour la somme restante, il voulait quérir ma baraka. » Mourad est outré par la désinvolture avec laquelle l'agence décide du tarif de sa « douteuse » prestation en accaparant des 100 000 DA sans vergogne. « Déjà, j'ai trouvé qu'il n'était pas très légitime de s'emparer de la totalité des arrhes en sachant que l'acte de la maison n'était pas réglo. Mais ce qui était proprement scandaleux, c'était de voir l'agent immobilier toucher aux arrhes d'une façon aussi cavalière. Le manque de professionnalisme de ces gens-là est tel qu'ils se conduisent comme si ces transactions étaient conduites dans la rue, au noir, alors que le cadre de l'agence est censé être un cadre légal où le moindre centime est dûment consigné de sorte que tout se déroule dans la transparence, et que l'Etat perçoive ses droits par le biais du fisc. » Mourad assure que l'agent ne lui a remis aucun document consignant la façon dont l'avance qu'il avait fournie a été partagée entre les différentes parties. « L'associé en question, que je n'ai jamais vu, avec qui je n'ai jamais traité, s'est emparé de 50 000 DA et m'a simplement lancé au téléphone que c'était la loi du marché. J'ai voulu m'enquérir du barème sur lequel il s'est basé pour prendre 50 000 DA, il a bafouillé et éludé ma question. Quant à son acolyte, à savoir l'agent avec qui j'ai traité, il s'est contenté de se confondre en excuses en me mettant devant le fait accompli. Je n'avais toujours pas obtenu le moindre reçu pour la prestation tronquée que l'agence aurait accomplie. Et je n'avais toujours pas d'explication sur la manière dont l'agence Massalih avait jugé que ses honoraires devaient s'élever à 100 000 DA. Si on applique le tarif maximum qui est de 3%, cela nous donne à peine 6000 DA pour l'ensemble des 200 000 DA versés. » S'il ne peut ni reprendre son dû ni se consoler de son rêve évaporé, Mourad ne baisse pas les bras pour autant et fait de sa croisade contre cette agence une question de principe : il a saisi la justice et attend réparation « afin que cette mafia ne s'avise plus de gruger les gens honnêtes avec une telle indécence. Ce sont des parasites qui engrangent d'une pichenette des sommes colossales sans se fouler la rate pendant que d'honnêtes salariés se tuent au labeur pour gagner leur pitance ».