Voici un livre qui ne démérite pas d'être (re)connu. Il s'agit de Auteurs algériens de langue française de la période coloniale – Dictionnaire biographique, de Abdellali Merdaci(*), chercheur de l'université de Constantine dont les travaux portent sur la littérature algérienne de langue française en période coloniale. A ce titre, on lui doit de nombreux titres et articles accompagnés d'une réflexion sur l'histoire des lettres d'Algérie, avec à l'appui une originale proposition de périodisation des mouvements et tendances, laquelle diverge avec celle émise par Jean Déjeux – le pionnier – et devenue une icône pour presque tous. Le voici qui déborde largement son champ d'étude habituel pour donner à lire un vaste panorama de plus de 300 auteurs ayant écrit plus de 430 ouvrages sur quelque sujet que ce soit. D'emblée, Merdaci souligne les critères d'une algérianité généreuse dans le strict domaine du savoir. Y figurent dans son dictionnaire, outre les «Indigènes » arabo-berbères naturalisés Français ou demeurés sous statut musulman, des Algériens d'origine européenne connus pour leur engagement pendant la guerre de libération et dans l'Algérie postcoloniale (Anna Gréki, Henri Kréa, Jean Sénac), des Français naturalisés (Léon Duval, Jacques Chevalier, Roland Rhaïs), des Européens rattachés «charnellement» à l'Algérie (Isabelle Eberhardt, Etienne Dinet, Henri Sanson), des Algériens inattendus enfin (Marcel Mouloudji). Après cette union heureuse, le classement chronologique paraît discutable, sinon incompréhensible. En effet, Merdaci distingue les auteurs de la «période coloniale 1833-1962» de ceux de «l'effervescence intellectuelle et littéraire 1945-1962» et de ceux de la «période coloniale publiés après l'indépendance». Si l'année 1945 (ou 1950, pour d'autres) est considérée comme tournant de mutation de l'Algérie par de nombreux historiens, il n'en demeure pas moins que nombre d'auteurs inclus dans le premier ensemble peuvent être intégrés dans le second (Kaddour M'Hamsadji) ou le troisième (Boubakeur Abdessemed). Ce parti pris relevant de la seule souveraineté du maître d'œuvre, l'essentiel est que la majorité des articles sont valorisants, à la fois descriptifs et critiques.Ce savoir-faire est appréciable et le faire savoir est encore mieux car l'auteur se pose avec récurrence des questions en donnant des éléments de réponse précis et souvent stimulants. De plus, son style alerte échappe à l'écriture absconse reprochée parfois aux universitaires. Tous les enjeux d'une longue période sont restitués : ses politiques (code de l'indigénat, assimilation, intégration, laïcité), son enseignement (européens, médersien, indigène), ses langues (avec une prédilection pour l'arabe parlé), ses préjugés raciaux ou communautaristes. Bref, cette littérature d'opinions ou de fictions constitue véritablement un «reflet» d'une nation, selon une de ses grandes préoccupations théoriques. La plupart des entrées introduisent à des lectures moins naïves ou stéréotypées des auteurs (ainsi Feraoun est perçu moins timoré politiquement). Certaines affirmations se révèlent surprenantes (Mohamed Iguerbouchène et d'autres étaient pro nazis, par exemple). Entamé par une chronologie, l'ouvrage se termine par des annexes utiles où on retrouve les noms des lieux, les journaux et revues de l'époque (la publication Soleil, 1950-1952, étant occultée), de précieuses statistiques, une nomenclature forcément non exhaustive de pseudonymes (avec une faute sur Christian et non Charles Pérez pour Jean Sénac), les prix littéraires décernés, une bibliographie des œuvres citées (sans références habituelles), et une bibliographie des œuvres utilisées (avec les références d'usage). S'il convient de saluer l'ouvrage de Abdellali Merdaci, il y a lieu de signaler toutefois qu'il renferme quelques erreurs matérielles de saisie, des inexactitudes notamment de dates, voire des erreurs (fort rares, heureusement). Que l'auteur nous pardonne, mais relevons que le film Les Puisatiers du désert de Tahar Hannache, est indiqué sous deux dates différentes : 1946 (p 30) et 1952 (p 97), cette dernière étant juste ; que ce n'est point André Breton qui a découvert Baya à Alger en 1943 (le pape du surréalisme ne s'est jamais aventuré sous nos côtes) mais Jean Peyrissac de la Fondation Maëght en 1947 (p 29) ; que la ville de Fort national n'est pas devenue après l'Indépendance Draâ El Mizan (ex-Mirabeau), mais Larba Nath Irathen (p 263). Ces réserves que le lecteur averti aura vite levées sont inévitables quand l'entreprise – du ressort d'une volonté collective, habituellement – est d'ordre individuelle. Elles ne dispensent en aucun cas l'œuvre de Abdellali Merdaci de rester un instrument de consultation des plus profitables.
. Abdellali Merdaci, Auteurs algériens de langue française de la période coloniale. Dictionnaire biographique, Paris, L‘Harmattan, 2010, 315 p.