On est tenté parfois de dire que la folie, la belle folie, cela s'entend, se fait rare, voire inaccessible surtout lorsqu'il est question de la coupler à la créativité artistique et littéraire. Le grand peintre, Vincent Van Gogh (1853-1890), était assurément un grand névrosé, c'est du moins ce qu'on retient des différentes étapes de sa vie, mais pas de son œuvre picturale qui, elle, se situe dans le renouveau artistique ayant marqué la deuxième partie du XIXe siècle. Justement, aurait-il pu atteindre le summum de son art sans ce déséquilibre psychique qui l'avait martyrisé dès son plus jeune âge ? Selon certaines interprétations, il n'a fait que peindre sa folie et, lorsqu'il s'était mis à peindre la nature, il n'a fait que peindre sa propre folie encore en la transposant sur les mêmes supports. D'habitude, on n'attend pas de celui qui souffre d'un mal psychique qu'il se rétablisse pour entreprendre ou reprendre son travail de création artistique ; on l'accepte plutôt en tant que tel, d'où ces spéculations portant sur la relation entre folie et créativité artistique qui, en vérité, ne donnent lieu à aucun résultat. Même l'essence de térébenthine, utilisée comme dissolvant de la peinture, a été mise à l'index pour avoir, selon certains experts, exacerbé, voire donné le coup de grâce au système nerveux de Van Gogh. Toutefois, faut-il être vraiment fou pour pouvoir dessiner et peindre comme Vincent Van Gogh ? L'histoire de l'art pictural depuis la fin du XIXe siècle nous apprend que ce peintre damné n'a pas eu de successeur, non que la barre fut trop élevée, mais parce qu'il mettait tout son être dans ce qu'il peignait, et cet être là ne pouvait être cloné. La preuve est que son compagnon d'un certain temps, Paul Gauguin (1848-1903), qui possédait, à quelques différences près, la même technicité en matière de larges aplats de couleurs, n'a jamais été comparé à lui. Le déséquilibre mental de Van Gogh faisait de lui un être à part sur le double plan, social et artistique. Dans le même état d'esprit, on ne manque pas d'être tenté de faire le parallèle avec le monde de la créativité littéraire, et de citer le cas du romancier Marcel Proust (1871-1922), tout particulièrement. Atteint d'asthme depuis sa première enfance, Proust ne cherchait-il pas une compensation à son mal, à son manque de respiration, dans cette phrase longue qui caractérise son style, et qui s'étend, dans la plupart des cas, sur trois ou quatre pages sans le moindre essoufflement ? Le lecteur ayant fait ses classes dans les œuvres classiques de la littérature française a dû, sans aucun doute, s'interroger sur la raison de la longueur de la phrase de Proust, voire l'absence de ponctuation traditionnelle dans son roman fleuve, A la recherche du temps perdu. La maladie sournoise qui l'accablait pour ainsi dire et la sensibilité à fleur de peau qui ponctuait ses allées et venues dans la société, selon ses proches et ses biographes, ont fait de lui, indirectement, un écrivain à part, d'où la quasi impossibilité de l'imiter sur le plan stylistique. En effet, il n'existe pas d'imitateurs de Proust même s'ils sont légion à s'essayer depuis sa disparation. Décidément, il n'est pas donné à tout le monde d'être fou et artiste peintre, comme Van Gogh, ou souffrant d'une maladie de luxe, dirait-on, comme celle de Marcel Proust ! La barre restera élevée à tout jamais. Les imitateurs les plus talentueux ne réussiront à faire qu'un saut dans l'inconnu.