« J'ai failli faire accoucher à la mairie. » C'est la sage-femme de la maternité d'Aït Zikki qui parle ainsi. Une APC sans élus peut au moins servir de salle d'accouchement, cela grâce à son poêle à mazout. Une tempête de neige sans accouchement en catastrophe n'en est pas une, et Aït Zikki n'a pas failli à la règle. Une femme enceinte du village Berkis a été transportée sur un brancard de fortune par un groupe de jeunes décidés à marcher dans la neige pour rallier le dispensaire. Plusieurs kilomètres séparent le village du chef-lieu. Les jeunes disent avoir marché pendant des heures pour arriver à cette bâtisse qui n'a de centre de santé que la peinture bleue. Devant l'urgence obstétricale, la sage-femme n'a que ses yeux pour pleurer. Il n'y a ni chauffage, ni électricité, ni médicaments d'urgence. La femme de Berkis est installée dans une salle frigorifiée après avoir été portée à bout de bras sous les flocons et sur un mètre de neige. En l'absence de chauffage, le ou les bébés peuvent ne pas survivre. L'hypothermie est fatale, en passant de 37° à 0°. Y a-t-il un peu de chaleur dans les alentours ? Oui, mais au siège de l'APC. Pendant quelques minutes, on envisage la possibilité de rallier la mairie, avec femme et sage-femme. On abandonne cette idée après l'intervention de la garde communale, présente évidemment à chaque coup dur. Ils s'engouffrent dans leur siège et ressortent avec un poêle et un bidon de mazout. ça ira, dit la technicienne de la santé. Son dispensaire est chauffé en quelques heures. Les deux bébés peuvent naître, car il s'agit de jumeaux, et le second surprend tout le monde par une « présentation transversale ». « En temps normal, il faut évacuer vers un hôpital », dit la technicienne. « Car cela peut demander une césarienne. En tout cas, il faut une assistance médicale spécialisée », ajoute-t-elle. Mais cela finit par s'arranger. Les jeunes de Berkis ont marché pendant des heures sur la neige, le bébé a fini par prendre la bonne posture et naître sans complication. Pour cela, il a eu droit au prénom de Yahia. Son frère s'appelle Moussa. Ils sont nés le 27 janvier 2005 à 5h. Ils restent encore trois jours dans la maternité grâce à la réserve de carburant, puis rejoignent le village. Le lendemain, la garde communale revient et récupère son bien, le poêle. Car ils n'ont pas envie non plus de geler dans leur base. Ils abandonnent le gros câble qu'ils avaient branché dans la nuit pour alimenter en électricité le dispensaire. Celui-ci retombe dans sa froide morosité et risque d'attendre longtemps pour de nouveaux vagissements. La technicienne de la santé qui a fait office de sage-femme, d'infirmière et d'obstétricienne, et qui mérite pour cela une vraie décoration, n'est pas débordée de travail dans son unité qui a été d'ailleurs fermée pendant presque un an avant d'être rouverte, mais avec les mêmes moyens, c'est-à-dire aucun. « Il y a entre trois et cinq accouchements par mois dans la commune, et la plupart préfèrent aller à la polyclinique de Bouzeguène (13 km) ou à l'hôpital de Azazga (40 km) », dit-elle. L'unité est censée assurer la protection maternelle et infantile (PMI), un tableau de vaccination est d'ailleurs affiché sur des murs rongés par l'humidité. Les vaccins sont jetés dès que la coupure de courant dépasse deux jours. Une infirmière exercerait également dans cette structure pour les injections et autres premiers soins, mais difficile de confirmer cela auprès de la population. Il existe un seul médecin dans cette commune de 8000 habitants. Il tient un cabinet privé et sert les médicaments qu'il prescrit, car la pharmacie se trouve trop loin.