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Ferhat Abbas : l'humaniste (2e partie et fin)
Publié dans El Watan le 08 - 01 - 2011


Par Larbi Mehdi (*)
Demain se lèvera le jour, un rêve dont il s'est acharné de voir l'aurore et son soleil rayonner sur l'Algérie à chaque fois que sa tête finissait de caresser l'oreiller.
Pourquoi ne l'ont-ils pas écouté ? Pourquoi ne l'ont-ils pas pris au sérieux ? Pourquoi n'ont-ils pas épousé ses idées ?… C'est de la bassesse et de la mesquinerie quand on fait semblant de ne pas reconnaître chez ces personnes la qualité d'être, tout simplement, des humanistes humbles voulant faire du bien pour autrui. Chasser leurs idées pour babiller une gloire ne mène à rien et ne fait qu'accroître un narcissisme maudit. Quand on chasse ces idées de nos esprits et qu'on fait de l'ombre à leur auteur, on n'a pas le droit, en réalité, de dire ensuite qu'on est vivant. Quel jugement peut-on avoir de nous-mêmes lorsque l'on croise dans notre vie des personnes de valeur précieuse et que l'on ne profite même pas de les écouter, afin d'apprendre, au moins, à apprécier la valeur humaine ?
Ferhat Abbas, une figure historique que Dieu a bien aimée, a trouvé la «raison» et voulait nous la transmettre pour qu'on puisse construire, ensemble, notre cher pays. Il avait hâte de ne plus voir son pays sombrer dans l'arrogance, le mépris et l'indifférence, et a insisté inlassablement pour impulser et faire boiser sa pensée politique et ses idées modernes, ouvertes sur le monde contemporain.
Il n'a pas écrit pour nous raconter ses blessures personnelles ; il n'a pas été rancunier ; il n'avait pas non plus de haine vis-à-vis de certains compatriotes qui l'ont ridiculisé. Il avait dans ses yeux la patrie, l'Algérie, et pour elle il a pardonné à tous ceux qui, de près ou de loin, étaient responsables de ses propres souffrances et douleurs. L'essentiel pour lui c'était l'Algérie. Elle était son souci majeur. Elle était la priorité des priorités. Elle était placée au sommet. Tout ce qui peut être important pour un être humain devient nécessairement secondaire pour elle.
Ferhat Abbas était virulent avec toutes les personnes qui pouvaient mettre en péril l'intérêt de l'Algérie et des Algérien(nes). Aucune exception n'était tolérée.
Jadis, l'Algérie pouvait se sentir protégée grâce à ces hommes intègres. De nos jours, ces personnes précieuses sont rares, et il est difficile, plutôt impossible, de trouver quelqu'un qui ressemblerait à Ferhat Abbas.
Aujourd'hui, nous vivons dans un monde qui facilite, malheureusement, la place et la reconnaissance aux prédateurs et aux véreux qui compromettent sans état d'âme l'intérêt public. Ce monde donne particulièrement raison à ceux qui ne respectent ni le droit canon ni le droit positif.
Actuellement, ce monde ne nous donne pas beaucoup de choix. Soit on s'enferme dans notre «trou à rats», pour, justement, créer dans l'espace qu'on peut avoir dans un «F3» délabré notre petit monde, ou bien partir là où les harraga souhaitent aller !… L'itinéraire d'une troisième voie n'est toujours pas créé et ne peut être disponible dans les conditions actuelles !…
M. Moulessehoul (Yasmina Khadra) avait raison de dire dans une interview que les Algériens se soucient de laisser une villa à leur progéniture, mais personne ne pense si, lui, a bien laissé une nation. Effectivement, posons-nous les questions suivantes : où allons-nous ? Quel sens avons-nous donné à notre vie et à notre avenir ? Comment serait l'avenir des enfants qui n'ont rien fait pour mériter cela… ?
En tout cas, ce qui est actuellement sûr, c'est que la représentation qu'on a conçue ne nous mène nulle part, et ne peut, en aucun cas, nous aider à progresser. Ferhat Abbas, de son côté, nous a fait savoir à la page 51 que «le pouvoir n'est rien quand il n'est pas au service d'un idéal partagé avec le peuple.» Dans notre situation, que pouvons-nous faire avec des responsables politiques qui ont tourné le dos au peuple et ignoré, depuis, son existence ?
Que pouvons-nous faire lorsque l'on voit dans un Etat fragile des partis politiques qui n'ont aucun organe qui fonctionne pour ranimer le corps de la société, assécher avec insistance uniquement les caisses de l'Etat et du contribuable ?
Que pouvons-nous faire avec des députés en manque d'oxygène pour donner du souffle à la vie politique et sociale ?
Que pouvons-nous faire avec des hauts cadres corrompus qui ont donné à WikiLeaks l'occasion de nous marteler avec des informations pénibles, douloureuses et honteuses ?
Que pouvons-nous faire avec certains universitaires qui cherchent à avoir le grade le plus élevé, par n'importe quel moyen, pour toucher essentiellement le «jackpot», et finir par voir, chaque fin de mois, le nouvel avoir du CCP comme les vieux retraités ?
Que pouvons-nous faire avec des jeunes qui entament la harga pour terminer leur processus de vie dans la mer ?
Que pouvons-nous faire avec des jeunes qui ont décidé aveuglément de terroriser une société déjà angoissée et embarrassée ?
Où va l'Algérie ? Une autre question qui nous fait penser, encore une fois, à un autre drame horrible qui s'est collé pour se graver à jamais dans la mémoire collective.
Je n'essaie de faire le procès de personne et je n'essaie pas non plus d'alarmer la société, d'autant plus que moi-même je fais partie de ce malheureux monde. Mais, paradoxalement, j'essaie d'être debout pour contrer la maladresse qui s'est prescrite dans notre société et s'est élargie comme une gangrène destructible. Je crois qu'aujourd'hui le moment est venu de poser les vraies questions qui font peur, mais en même temps des questions fondées qui libèrent les corps et les esprits malades, et construire, en même temps, la stabilité, l'ordre et la paix sociale. Cela dit, nous vivons quotidiennement dans la violence. Elle se généralise pour toucher toutes les personnes dans toutes les structures et dans tous les secteurs. Arrêtons de dire qu'elle est limitée uniquement aux enfants et aux femmes. Elle est générale parce qu'elle touche tout le monde, y compris les «hommes».
Nous vivons tous dans l'angoisse et dans la peur. Ces dernières sont multiples et varient d'un cas à un autre. Il nous faut une vision générale et claire, et pour réaliser cela, il ne faut pas avoir peur de poser les vraies questions.
La problématique de la «domination» est un phénomène qui fait partie de l'état naturel de l'être humain. Il faut avant tout reconnaître cela et le définir pour arriver, ensuite, à comprendre comment les hommes ont réussi à domestiquer cet état «sauvage» pour le faire fonctionner socialement, afin qu'il soit un moyen producteur de sens et de richesse. Hobbes ne s'est pas trompé quand il a soulevé ce problème philosophique, à s'avoir «La guerre de tous contre tous». Comme Emile Durkheim, de son côté, ne s'est pas trompé, lui non plus, quand il a développé dans une thèse de doctorat en sociologie intitulée De la division du travail social, que l'utilité économique que peuvent développer les uns et les autres fait reculer effectivement, la guerre de tous contre tous.
En Algérie, chacun veut dominer l'autre, parce qu'en réalité chacun de nous ne connaît pas l'utilité de l'autre pour lui, socialement. En dehors des fonctions naturelles, aucune autre fonction, que ce soit au niveau économique ou politique, ne s'est développée pour donner un nouveau sens à la vie sociale collective.
Aujourd'hui, nous vivons mal et nous subissons des effets négatifs à cause de notre maladresse et de notre incompétence en matière de définition et de clarification d'une stratégie de développement durable. Cette situation embarrassante n'arrête pas de s'ancrer en nous et de nous inscrire avec les pays malheureux, damnés et maudits.
Cependant, nous ne pouvons pas avancer dans un climat de peur et de méfiance. La perplexité qui guette pratiquement tous les Algérien(nes), sans exception est d'ordre psychologique. Il nous faut un climat serein pour éduquer un esprit clairvoyant et critique. La liberté de penser et de parler est plus que jamais recommandée pour construire une confiance réciproque. Cette liberté qui s'entretient dans un climat social ergonomique est nécessaire pour accoucher de «l'Algérien typique» qui pourrait représenter son pays dignement et ne jamais songer à déshonorer ou à renier sa patrie pour la remplacer par une autre.
Pour conclure, il est regrettable de dire que l'hommage en question ne peut avoir lieu et nos martyrs «chouhada» ne peuvent reposer en paix, tant que le chantier de la construction d'un Etat fort n'a pas démarré. Nous avons les moyens et nous pouvons le réaliser à condition que nous nous aimions et que nous nous faisions confiance, les uns aux autres. Pas comme un frère d'une même famille, mais plutôt comme un frère d'une même République.
Nous devenons frères quand nous nous soumettons, à l'aide d'une volonté collective, aux exigences et aux lois de notre République.
Ferhat Abbas nous a laissé une phrase dans la page 59 de son testament, qui explique que «le nouveau départ ne viendra que de la libre disposition de chaque citoyen algérien obéissant à la loi de la majorité.» En attendant que ce jour se lève, nous continuons à avoir des sentiments pour notre premier Président et nous l'adorerons pour, au moins, lui rendre ce qu'il nous a bien donné comme espoir. Il a voulu nous dire dans son testament (livre) qu'il sera vivant parmi nous et sera heureux à jamais quand notre pays sera prospère et permettra à ses enfants, sans distinction, de vivre heureux dans un environnement qui leur apprendra ce qu'est l'effort et leur permettrait de travailler et de persévérer pour faire accroître les énergies et les compétences.
(*) Université d'Oran


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