« Le terrorisme international et ses effets sur l'action humanitaire sur le terrain », tel est le titre d'une conférence politique organisée hier à la fondation culturelle de la ville d'Abu Dhabi (Emirats arabes unis), en présence de Gilles Kepel, chercheur et professeur à l'Institut des études politiques de Paris et Rony Brauman, médecin et ancien président de Médecins sans frontières. Dans son exposé, Kepel a indiqué que l'islamisme mondial a perdu sa bataille politique, mais tente, tout de même, de se régénérer par d'autres formes. « L'islamisme comme alternance au pouvoir n'a aucun avenir, a-t-il expliqué. Il a montré ses limites et perdu le pari de gouverner dans de nombreux pays du monde comme l'Algérie, l'Arabie Saoudite, le Koweït et autres. » « Cependant, a-t-il continué, il a choisi de nouvelles méthodes pour exister et s'affirmer dans la société, en recourant notamment à une violence inouïe en vue d'attirer les médias internationaux. Le résultat était l'attentat du 11 septembre contre le centre du commerce mondial et les tueries quotidiennes en Irak. » Venu présenter son livre Fitna : guerre au cœur de l'Islam, traduit pour la première fois en arabe, Gilles Kepel est revenu succinctement dans son intervention sur les origines du terrorisme international, montrant que celui-ci a pris une tournure tout à fait particulière après les attentats du 11 septembre 2001. De son côté, le docteur Rony Brauman a tenté de montrer combien le travail humanitaire indépendant est devenu difficile à cause de la confusion qui règne entre les acteurs humanitaires et les militaires sur le terrain. Il a ajouté que l'Administration américaine cherche à pousser les organisations humanitaires à travailler selon ses « propres agendas politiques et à faire la promotion de la politique étrangère US ». Et de donner comme exemple une des déclarations de Colin Powell, ancien ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, indiquant que « les organisations humanitaires sont des forces multiplicatrices de la politique du département d'Etat à l'étranger. Elles doivent nous aider à lutter contre le terrorisme partout où elles sont. Et toute organisation qui refuserait de jouer ce rôle verrait ses subventions financières suspendues ». Pour Rony Brauman, ancien président de MSF, ce genre de déclaration constitue un danger pour les humanitaires et les met directement en danger lors de l'exercice de leurs fonctions auprès des populations en détresse. « Il faut plaider pour une aide humanitaire indépendante et sans conditions politiques. C'est ce que nous essayons de faire à Médecins sans frontières en refusant les subventions gouvernementales et en n'obéissant à aucun agenda politique. Ce qui nous garantit une liberté d'action et nous permet d'apporter des soins efficaces pour les populations qui souffrent sur le terrain. » Et d'enchaîner : « Nous n'avons pas à prendre partie pour ou contre l'axe du mal ou du bien, selon la formule populaire de Bush, ni à nous prononcer sur le terrorisme international ; notre travail est avant tout médical et consiste exclusivement à apporter des soins médicaux de qualité sans aucune considération politique ou idéologique. » Des représentants de pays confrontés aujourd'hui au terrorisme comme l'Arabie Saoudite et le Koweït étaient venus assister à la conférence, inaugurée par le ministre de l'Education des Emirats, Nahyan Ben Mubarak. Ce dernier a relevé l'importance de ce genre de rencontre qui intervient à un moment où le terrorisme frappe aux portes des pays du Golfe longtemps considérés comme des oasis de paix. La conférence fut aussi l'occasion pour les deux auteurs de dédicacer leurs livres ( Fitna : guerre au cœur de l'Islam pour Kepel et L'Action humanitaire pour Rony Brauman ).