Le capitaine Nachet n'est plus. Le lest accablant des ans et le ballast douloureux de la maladie ont eu raison du fauve. Ses compagnons du commando Ali Khodja le pleurent. Tous ceux qui comme lui aiment ce pays, Dieu merci, c'est tout un peuple, car qui n'aime pas l'Algérie, le pleurent aussi, car lorsqu'un moudjahid de la glorieuse ALN s'en va, c'est un fragment de légende qui s'éteint. Nous regrettons en lui l'ami fidèle qu'il fut pour tous. Comme nous nous souvenons du combattant accompli qu'il était. Nachet n'était pas un homme de guerre. Il aimait la musique, les arts, les objets qui racontent l'histoire. Il les collectionnait, comme il aimait, plus que tout autre plasticien, l'excellent Issiakhem, son ami, dont il possédait plusieurs œuvres. Nachet était un guerrier de premier plan sur le champ de bataille, mais feutré et réservé en société. Il alliait miraculeusement pondération et intrépidité. Comme beaucoup d'entre nous, il n'avait pas eu la chance d'user ses coudes sur les pupitres des amphithéâtres d'une faculté. Très vite la rue, puis la ville toute entière et puis la vie tout court, celle qui vous ride le front et vous durcit le cœur, l'ont happé, alors que si on lui pressait le nez il en sortirait encore du lait. -C'est à l'âge de 13 ans qu'il quitta son Mila natal pour Tunis, puis Alger où il a fréquenté l'école coranique. Mais en ces temps de déraison coloniale, pouvait-on raisonnablement atteindre l'âge de raison sans découvrir, avec émerveillement, le mouvement national. Et puis, il y avait ce mot magique, juteux comme une orange, que l'on goûterait sous le soleil de juillet et qui faisait rêver tout le peuple : Istiqlal. Mais voilà, justement pour Nachet, comme pour nous tous, les oranges ne mûrissent pas dans les ardeurs de l'été. A moins que… A moins de croire que rien n'est irréversible, et que ne sont irréalisables que les rêves que l'on ne fait pas. Quoique ayant reçu une solide formation militante, Nachet n'était pas comme on dit un «politique». Doué d'une intelligence instinctive, ses responsables ont toujours décelé en lui cette disponibilité à l'action, mais à l'action réfléchie. Autrement dit le travail bien fait. Notre frère était pugnace. Lors de nos rencontres entre anciens du commando, nous évoquions souvent cet épisode qui résumait parfaitement l'homme et son caractère trempé. Alors que par son fait, son unité avait perdu une mitrailleuse lourde et qu'il avait été sanctionné sévèrement mais justement par son responsable, il s'était intérieurement juré de la récupérer. C'est lors d'un engagement à Sfihat, que la providence lui a souri sous la forme de deux half-track. Dans l'action aussi fulgurante que violente si particulière aux embuscades, dont le succès dépend de la surprise et de la rapidité, il s'était distingué par sa détermination, non seulement à réparer son erreur, mais à se surpasser. Après qu'il eut démonté la première 30 du half-track de tête et qu'il l'avait confiée à ses compagnons il s'est jeté à nouveau dans la fournaise pour récupérer la deuxième sur le second véhicule blindé. Et tout cela alors qu'il avait été atteint par une balle à la jambe ! Plus tard il sera grièvement blessé, il sera néanmoins soigné puis condamné à mort et gracié. Riacha, djebel Boulegroun où est tombé si Lakhdar, djebel Bouzegza où nous avons mortifié Massu et une kyrielle de généraux et bien d'autres lieux, témoins des hauts faits d'armes de cette unité d'élite que j'ai eu l'insigne honneur de mener au combat, se souviennent de Nachet. Tout comme s'en souvient certainement la capitale, car il avait pris une part décisive à la lutte contre l'OAS, dans la résurrection de la Zone autonome d'Alger. Après l'indépendance, ses nombreux pèlerinages sur le théâtre du déroulement d'une partie de l'histoire de la Wilaya IV, l'ont fait connaître des populations, y compris et surtout de la jeunesse de ces zones montagneuses. C'est dans celles-ci justement qu'il a décidé de renouveler son engagement en apportant une aide déterminante dans la lutte contre le terrorisme islamique et l'organisation des citoyens pour la défense de leur liberté.