On avance les chiffres d'une fortune personnelle de 5 milliards de dollars pour Zine Ben Ali, entre 40 et 70 milliards de dollars pour Hosni Moubarak et plus de 100 milliards de dollars pour Mouammar El Gueddafi. Une fortune accumulée au moment où une partie de leurs populations respectives survivait difficilement. En Egypte, par exemple, un rapport publié en 2009 par des experts arabes, en collaboration avec l'ONU, indiquait que 41% de la population égyptienne vit au-dessous du seuil de pauvreté. A la différence des monarchies du Golfe, où «il y avait une accumulation de capital importante à travers l'histoire, dans les cas de Ben Ali, Moubarak ou El Gueddafi, il n'y a pas de back-grounds familiaux très riches. Ils sont issus d'un milieu modeste et n'ont pas d'héritages familiaux. Leur fortune a été accumulée pendant l'exercice de leur fonction», estime Lahcen Achy, économiste et chercheur à l'institut Carnegie du Moyen-Orient. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils n'ont pas lésiné sur les moyens pour se fabriquer une richesse dont de nombreux comptes bancaires solidement dissimulés dans les plus grandes banques internationales. Leur fortune a été construite «à travers des commissions formelles ou informelles sur certains marchés où participent des entreprises étrangères, par l'acquisition de terrains dans des périmètres urbains qui prennent de la valeur par la suite où qui appartiennent au domaine public et qui sont vendus au privé où encore à travers les opérations de privatisation», indique M. Achy. Ahmed Izz, personnage clé de l'ex-parti au pouvoir en Egypte, «s'est d'ailleurs enrichi dans ce cadre», ajoute-t-il. En Tunisie, on estime que les privatisations ont été l'occasion pour le clan Ben Ali de mettre la main sur des pans entiers de l'économie tunisienne. Selon les autorités financières tunisiennes, «il possédait 90 entreprises et avait des participations dans 123 autres». Les banques dépassées Brahim Gacem, expert financier installé en Suisse explique que le transfert de cette richesse à l'étranger s'est fait «en général à travers des sociétés écrans et des prête-noms. A côté de cela, il y avait des activités qui sont supposées exister alors qu'elles sont fictives à travers de sociétés offshore». C'est tout «un imbroglio» qui rend très difficile pour les banques de remonter au bénéficiaire ultime du bien. «Il faut aller trouver de l'information sur la société, sur son activité, sur les personnes intermédiaires qui sont impliquées. Savoir qui ils sont. C'est presque un travail de police», note M. Gacem. Or, ajoute-t-il, «le banquier s'occupait uniquement de s'assurer que le co-contractant ou l'ayant droit économique présente ses pièces d'identité, qu'il ne soit pas fonctionnaire dans un service public, mais on n'allait pas voir derrière si cette personne travaillait pour une autre personne qui, elle, occupait un poste de fonctionnaire». Du coup, «quant il y a un chef d'Etat qui par le biais d'opérations assez complexes ou intermédiaires arrive à transférer une certaine somme d'argent dans des coffres de banques suisses ou étrangères, il est vraiment difficile de savoir si cet argent vient de la corruption ou bien a été soustrait aux deniers publics.» Complicité, hypocrisie et éthique Mark Pieth, spécialiste de droit criminel à l'université de Bale en Suisse, a affirmé dans une déclaration à Swiss Info qu'une «banque doit se donner la peine d'analyser ce que l'on nomme les «personnes politiquement exposées», les PPE. «Cela ne veut pas dire qu'un politicien ne peut pas ouvrir un compte en banque, mais on doit réfléchir très précisément aux risques que l'on prend avec de telles personnes». Selon lui, «ce qui est très souvent un souci pour les banques et les autres institutions de la place financière, c'est l'impossibilité de savoir exactement à qui appartient l'argent. Il est relativement facile de faire apparaître des fonds comme ayant une origine tout à fait correcte et ce n'est qu'au prix de recherches approfondies que la banque verra qu'ils appartiennent à l'une de ces PPE». Certains observateurs n'hésitent pas à employer le mot complicité pour désigner le rôle joué par les banques étrangères dans la dissimulation de la fortune transférée par les dictateurs déchus en dehors de leurs pays. «Ces chefs d'Etat étaient généralement alliés» des Occidentaux, donc «on ne voulait pas trop les déranger», explique M. Achy. M. Gacem parle quant à lui de «problème d'éthique» dans la mesure où il y a «un gendarme international qu'on appelle le GAFI (Groupe d'action financière) qui émet une réglementation sur le blanchiment d'argent, mais qui n'est pas appliquée au niveau de tous les pays. Il y va donc de la crédibilité de ces Etats». Certains juristes parlent parler «d'hypocrisie» des Occidentaux puisqu'il a fallu que ces régimes de dictateurs tombent pour que l'on daigne s'intéresser à la provenance de leurs biens. Pourtant, comme l'explique M. Achy, cette complicité «ne joue pas dans l'intérêt» des pays occidentaux, puisque le détournement des richesses des peuples entraîne «l'appauvrissement avec ce que cela peut induire comme insécurité et montée de l'immigration».