Smaïl Kouadria, le nouveau leader syndical de l'entreprise ArcelorMittal El Hadjar, vient d'être installé officiellement avec son équipe par les représentants de la centrale syndicale UGTA. Après une bataille acharnée et sans merci qui l'a opposé à Aïssa Menadi et son clan d'apparatchiks, ce syndicaliste a pu écarter la main basse de Aïssa Menadi qui régnait sur tout le complexe. De secrétaire général par intérim, vous êtes passé à porte-parole des travailleurs et vous voilà aujourd'hui plébiscité secrétaire général du syndicat d'entreprise, écartant un coriace clan d'apparatchiks conduit par Aïssa Menadi. Pouvez-vous nous raconter les péripéties de ce combat syndical peu ordinaire ? Notre combat a commencé le 7 mai 2009 lorsque nous avons demandé l'installation du conseil syndical pour entamer avec légitimité les négociations avec l'employeur, prévues le 1er juillet 2009. Aïssa Menadi – député élu sur une liste RND – s'est opposé à l'option. Loin du milieu professionnel, il a chargé son fils, qui travaille à l'usine, de bloquer toute initiative allant dans ce sens et d'utiliser tous les moyens, y compris la force. Ce qui était insignifiant devant la ferme volonté de 7200 travailleurs qui, trois jours après, ont déclaré effectivement le combat de la rupture et du changement. La première action portait sur le retrait de confiance des sections syndicales « élues » du temps de Menadi. Même moi, j'ai enlevé la casquette syndicale et les travailleurs m'ont désigné leur porte-parole. Soutenu par ces derniers, je me suis attaqué à la dissolution du comité de participation (CP) et à son renouvellement à travers des élections démocratiques. Les 5242 travailleurs qui ont élu une nouvelle équipe, jeune, conduite par Bouraï Abdelmadjid, avaient parallèlement déposé plainte contre l'ancienne équipe auprès du procureur de la République. Ils exigeaient des comptes sur la gestion des fonds sociaux depuis l'avènement de Mittal Steel, de 2001 jusqu'à aujourd'hui. C'est ce qui a été fait. L'instruction judiciaire est actuellement en cours et plusieurs membres de l'ex-équipe du CP sont sous contrôle judiciaire. Le 20 juillet 2009, nous avons organisé les élections et le renouvellement des sections syndicales et voilà, aujourd'hui, le bureau et son secrétaire général élus et installés officiellement. Vous avez dénoncé plusieurs dossiers entachés de malversations, dont les auteurs sont des entreprises sous-traitantes de plusieurs nationalités : algérienne (Fellah Hacène), indienne (GSW et SHREE), turque (EFES), israélienne (ATF) etc. Ce qui vous a valu des menaces allant jusqu'à la liquidation physique. Est-ce que vous comptez en dénoncer d'autres ? Bien sûr. Tout ce qui touche à notre entreprise, nous le dénonçons. C'est le gagne-pain des travailleurs. Avec la bénédiction de Aïssa Menadi, plusieurs entreprises sous-traitantes ont profité indûment des finances d'ArcelorMittal en usant de supercheries et de trafic. Justement, pour mettre fin à cette impunité qui n'a que trop duré, nous avons structuré, au sein de notre nouveau syndicat, un comité d'éthique. Il a pour mission de passer au peigne fin toutes les transactions contractées avec notre complexe. Mieux encore, tous les travailleurs sont appelés à dénoncer une quelconque malversation constatée au niveau de leur atelier. Des dénonciations qui seront vite prises en charge par une enquête approfondie sur dossier, dont les conclusions seront rendues publiques après avis de la direction générale. A peine installé, ce comité a déjà deux dossiers sur la table. Le premier concerne le secteur des ateliers centraux. Le propriétaire d'une SARL sous-traitante, dont le père est un cadre manager à ArcelorMittal El Hadjar, procède au rebobinage de moteurs électriques avec les moyens de notre entreprise. Cependant, il nous facture avec mention « prestation assurée dans ses ateliers à l'extérieur de l'usine ». Cette pratique date de plusieurs années. Le second dossier porte sur l'entreprise Alprest. Le patron de cette entreprise, spécialisée dans l'hygiène publique, utilise également les moyens de l'entreprise pour assurer le nettoyage. C'est-à-dire le décapant, le désodorisant, les balais et frottoirs, les détergents ainsi que les aspirateurs. Il déclare employer plus de 60 femmes de ménage avec un salaire de 12 546 DA chacune, alors en réalité, après enquête, il s'est avéré qu'il n'en emploie que la moitié, dont 50% ne sont pas déclarées à la CNAS. L'élément féminin est-il représenté dans votre composante syndicale ? Bien qu'elle représente une masse de 650 travailleuses, la femme sidérurgiste n'a jamais été représentée à ArcelorMittal. Conscients de son inéluctable rôle dans la représentation syndicale, nous avons installé une commission : les femmes du complexe. Elle est présidée par Mme Ouled Zaoui Djamila, une syndicaliste et non moins cadre juridique à ArcelorMittal El Hadjar. Assistée par son équipe, elle est spécialement affectée pour enregistrer, suivre et surtout prendre en charge les préoccupations de quelque 650 employées que compte le complexe sidérurgique d'El Hadjar. Des femmes issues des services administratifs de l'usine occupent des postes techniques au niveau des différents ateliers tels les aciéries à oxygène 1 et 2, les laminoirs et même la cokerie. Jusqu'alors, cette importante masse travailleuse n'a jamais été représentée dans son milieu professionnel et affiche de sérieuses difficultés d'intégration dans le monde syndical de la sidérurgie. Dorénavant, cela ne sera plus le cas. Quelles sont actuellement les priorités de votre programme ? Les priorités de notre syndicat portent essentiellement sur l'amélioration des conditions socioprofessionnelles de nos 7200 travailleurs. Nous devons étudier et négocier avec notre employeur, représenté par le PDG Vincent Le Gouic, plusieurs points prévus par l'accord du 5 juillet 2009 relatifs aux travailleurs des aciéries 1 et 2. Et aussi instaurer une nouvelle méthode de prise en charge et de traitement des préoccupations des sidérurgistes à travers des réunions mensuelles qui seront sanctionnées par une synthèse, à négocier avec la direction générale. Pour ce faire, une formation syndicale est imposée selon un programme de formation qui sera assuré par l'Institut national du travail (INT). Outre l'aspect socioprofessionnel, nous tablons principalement sur la réhabilitation de notre outil de travail. Dans ce contexte, nous avons écourté notre mandat à 18 mois au lieu de 3 ans. Ce qui coïncide avec la veille du 18 octobre 2011, date marquant la fin de l'accord d'investissement et de partenariat entre Sider et le groupe ArcelorMittal et le passage à la renégociation 30/70% ou 51/49%. Réhabiliter l'outil de travail, hisser la production à un million de tonnes/an, rationaliser toutes dépenses du complexe et moraliser ses structures permettra au gouvernement algérien de négocier en position confortable avec le numéro 1 de la production mondiale de l'acier.