– Comment expliquez-vous votre violente réaction le 10 mars dernier à la Mosquée de Paris à l'adresse de l'UMP et de son secrétaire général, Jean-François Copé ? Avec le président Sarkozy, que je connais très bien, nous avons passé un accord : celui de rester fidèle à notre amitié et de tout se dire. Depuis 2003, cette règle a été respectée. Nous avons travaillé pour que l'UMP promeuve la diversité, l'intégration des Français issus de la diversité dans le gouvernement, dans l'administration, et éradique l'Islam des caves. Tout ceci a été réalisé avec la nomination de préfets, de sous-préfets, de ministres… Jusque-là, les choses se passaient en harmonie et j'avais fait une campagne d'ami à un ami. J'étais chargé de mission depuis 2005 et un des premiers Maghrébins à devenir secrétaire national de l'UMP. J'avais carte blanche : je pouvais faire nommer des gens, régulariser certains cas précis, naturaliser ou réintégrer des Chinois, des Africains ou des Maghrébins. Le président Sarkozy me rappelle le 12 janvier 2011. Nous n'avions jamais rompu nos relations, j'avais toujours les avantages d'un conseiller même si je ne l'étais pas (en 2009, Abderrahmane Dahmane est nommé inspecteur général de l'éducation nationale, ndlr). Nicolas Sarkozy me nomme conseiller chargé de l'Intégration. Je retrouve alors un travail que j'aimais et que je faisais de façon très amicale. Je commence à faire ma tournée à travers la France et au Maghreb comme je l'ai faite en2003-2007. Alors que j'étais inspecteur général de l'éducation nationale, j'avais attiré l'attention du président Sarkozy sur l'existence d'une dérive qui n'est pas supportable de la part des Maghrébins, des Africains et des Asiatiques, au moment du débat sur l'identité nationale. Il n'a rien dit. J'ai compris que Besson voulait aller au-delà de l'idée de Nicolas Sarkozy sur l'identité nationale.
– Vous semblez épargner le président Sarkozy, alors qu'il continuait à vouloir le débat sur l'Islam, renommé «Débat sur la laïcité», malgré toutes les critiques dont il a été l'objet au sein même de l'Exécutif et de la majorité présidentielle ? Ce débat a été voulu – c'était ma conviction – du fait que Nicolas Sarkozy, fatigué du discours islamophobe et de Marine Le Pen, a estimé que la meilleure façon d'y mettre fin était d'engager un autre débat. Jusque-là, c'était compréhensible, mais les choses ont complètement changé de nature à partir du moment où Jean-François Copé s'en est emparé. Jean-François Copé a été en 2002-2003 l'homme du TSS (Tout sauf Sarkozy), et était au service de Jacques Chirac. De mon côté, j'avais créé le TAS (Tous avec Sarkozy) en 2003. Je n'ai jamais pensé que Nicolas Sarkozy allait un jour remettre l'UMP à Jean-François Copé. J'étais contre cette nomination et beaucoup de mes amis partageaient le même point de vue. Jean-François Copé s'est saisi du débat sur l'Islam pour opérer un rapprochement avec la poignée de gens proches du Front national, qui sont à l'intérieur de l'UMP, et qui souhaitaient une alliance avec le FN. Depuis quand un parti ou un responsable d'un parti politique exigent des musulmans de faire leur prière à droite, à gauche ou en français ? J'ai alors rédigé une note à l'adresse du président en signalant que le débat sur l'Islam est contre-productif. C'est l'écho que m'ont transmis les relais que j'ai contactés pour la future campagne de 2012. Le président ne m'a pas répondu. J'en ai ensuite parlé à Claude Guéant, qui était gêné par ce débat.
– Claude Guéant, ministre de l'Intérieur ? Non, il était encore secrétaire général de l'Elysée. L'arrogance de Jean-François Copé se met en place. Je considère que c'est grave, parce que l'UMP est en train de glisser vers le Front national. La députée Chantal Brunel parle de bateaux, des ministres comme Brice Hortefeux ou Nadine Morano tiennent des propos qui ne sont pas pour unir les Français. Quand j'ai vu qu'il y avait un silence pratiquement complice des uns et des autres, j'ai décidé de réagir. J'ai revu des élus issus de la diversité, des associations pour leur demander ce qu'ils pensaient d'une conférence de presse. Celle-ci a été fixée au 10 mars. J'ai pris ensuite attache avec le recteur de la Mosquée de Paris laquelle représente un symbole des musulmans de Paris parce qu'elle a été construite en hommage aux milliers d'Algériens, de Marocains, de Tunisiens et de Sénégalais morts pour la souveraineté et les valeurs de la France, la laïcité. Le recteur a accepté.
– Votre déclaration du 10 mars dernier n'est-elle pas excessive ? Lorsqu'on parle de bateaux, on fait référence aux Maghrébins. Lorsqu'on dit «Un Arabe c'est bien, deux c'est trop», ce sont les musulmans qui sont visés, ce vocabulaire rappelle la situation des Juifs avant 1939.
– Le président Sarkozy, lui, ne vous a pas entendu… Qu'il m'entende ou pas, ma décision était prise. J'ai pensé que le président comprendrait que Copé et moi n'étions pas d'accord. En outre, Copé étant l'adversaire de Nicolas Sarkozy, j'ai pensé que le président avait peut-être besoin d'un coup de main contre quelqu'un qui s'est imposé à lui. Si quelqu'un était capable de défendre l'Islam, de ne pas toucher à l'Islam, c'est bien Copé, de par sa culture, ses origines maternelles. Sa mère est née à Miliana, c'est une Ghenaïssia, et son grand-père maternel était rabbin à Tunis. Jamais la communauté juive au Maghreb n'a eu à se plaindre des musulmans. Le roi du Maroc Mohammed V avait refusé de livrer les juifs à la gestapo, les ouléma d'Algérie avaient émis une fetwa par laquelle aucun musulman ne pouvait acheter ne serait-ce qu'une fourchette appartenant à un juif arrêté par les pétainistes. Le recteur de la Mosquée de Paris, cheikh Benghebrit, a sauvé des centaines de juifs des griffes de la gestapo. Et Copé va nous donner des leçons sur le patriotisme, le combat antisémite et sur la liberté du culte et de la laïcité ? C'est ce qui explique ma virulence à son égard. Nicolas Sarkozy a parlé de débat, il n'a pas exigé que la khotba du vendredi se fasse en français, il n'a pas explicité sa pensée. Il fallait mener une action, peut-être gênante pour les uns ou les autres, mais pas pour moi.
– C'est-à-dire ? Il faut d'abord dire qu'un chat est un chat. Et que Copé est l'enfant légitime de l'extrême-droite. Nicolas Sarkozy a choisi le diable au lieu de l'amitié. Il s'est mis à dos toute une communauté et n'a peut-être pas compris que la communauté est capable de tout supporter sauf une chose : que l'on remette en question sa valeur musulmane. Et en même temps, il y a eu un mouvement des Républicains après ma déclaration pour me soutenir. L'UMP est devenue le parti bis du Front national. J'ai pris ensuite la décision de fabriquer l'étoile verte et de la porter avec mes amis.
– Pourquoi l'étoile et pas le croissant ? J'ai choisi l'étoile parce que je voulais montrer qu'il y a un passé sombre de la France avec l'étoile jaune et il y a un présent sombre avec l'étoile verte. C'était une provocation.
– Qui n'a pas été appréciée par tout le monde… Elle n'a pas été appréciée par une seule personne : le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, mais M. Prasquier oublie que dans le monde arabe, les juifs ont été protégés, sauf que lui, poursuivant une idée en référence à Israël et au Proche-Orient, veut diaboliser les musulmans. Les dirigeants du Conseil français du culte musulman de la Mosquée de Paris ont tardé à réagir au débat tel qu'il se présentait. Dalil Boubakeur, recteur de l'Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris,avant de changer d'avis, a publié un communiqué dans lequel il disait qu'il irait jusqu'au bout du débat et qu'il regrettait mes propos sans me nommer. Comment le président de la République algérienne pouvait-il se taire quand le représentant des musulmans algériens en France recevait le secrétaire général de l'UMP et faisait alliance avec lui ?
– Le recteur de la Mosquée de Paris, dans un communiqué, a pris publiquement ses distances avec le débat en le désavouant… Mais il a trahi le pays qui le finançait ! Il est quand même curieux que l'Algérie ne puisse pas faire de Copé une personnalité non grata. Des préparatifs étaient en cours pour qu'il se rende en Algérie. A mon avis, il fallait un geste fort de l'Algérie. Le CFCM est lui aussi resté longtemps silencieux. Il a pris position lorsque Abdallah Zekri (responsable régional de cette instance) a déchiré sa carte d'adhérent à l'UMP, en demandant aux militants de confession musulmane d'en faire autant.
– Etait-ce le bon geste à avoir ? Le bon geste est celui qui met en place un mouvement. Ce geste-là, mes déclarations, le port de l'étoile verte, ont fait que des responsables de la majorité se sont désolidarisés de Copé. Ces gestes-là nous ont permis de gagner une bataille. Pour ma part, je n'ai rien à regretter et pour revenir au président de la République, lorsque des ministres ont dérapé (sur les jeunes des banlieues, sur les Arabes, sur l'immigration), quelle décision a-t-il prise, lui qui se disait ami des musulmans ? Aucune. Mais lorsqu'un Arabe réagit et lui dit qu'il n'accepte pas que sa communauté d'origine soit piétinée, il est limogé. Il m'a rendu un grand service parce que je suis libre. Aujourd'hui, le combat de tout musulman est de faire perdre Nicolas Sarkozy. L'amitié de 2003 à 2010 est finie. Nous allons soutenir celui qui respecte l'Islam et notre communauté. Nous avons une mémoire et payé le prix du sang à Verdun, à Monte Cassino, à Toulon et à travers tout le territoire français pour libérer la France de l'occupation.
– Avec le maintien du débat sur la laïcité, Nicolas Sarkozy ne risque-t-il pas de se couper pour 2012 des voix des musulmans ? Aujourd'hui, il est coupé de toute la diversité.Nicolas Sarkozy s'est fait hara kiri. Il est entouré de gens d'extrême droite. Buisson (conseiller) est du Front national, Gaino (conseiller) avec son discours de Dakar, est proche du FN. Cet entourage-là lui porte préjudice. Le président s'est isolé dans ce débat.
– Comment ce débat aurait-il dû être organisé, selon vous ? Sur quels thèmes aurait-il dû porter ? Si le débat devait réellement porter sur la laïcité, quel intérêt aurais-je eu à être contre ? Le débat sur l'Islam, les musulmans le font tous les vendredis. C'est l'islamophobie en puissance qui est devenue une idéologie du pouvoir en place. Pour le débat, j'aurais souhaité qu'il y ait une commission qui interroge les raisons pour lesquelles les musulmans n'ont pas de lieux de culte dignes et prient sur les trottoirs. Nous aurions aussi pu réfléchir à intégrer la religion musulmane dans la société française et lui appliquer la loi de 1905. Le débat aurait été positif et nous aurions adhéré.
– Vous avez été chargé de mission à la Diversité et à l'Intégration, quel bilan en tirez-vous ? La nomination de préfets, de sous-préfets, de ministres a été positive. Nicolas Sarkozy a fait un geste, mais que lui est-il arrivé ensuite ? Pourquoi oublie-t-il ces actions positives ? Aujourd'hui, la communauté musulmane est mise à l'écart et moi je ne suis ni un supplétif alimentaire, ni l'Arabe de service. Je ne suis le représentant de personne. Je recommande aux Français d'origine musulmane de s'inscrire sur les listes électorales et de voter contre l'UMP. Le Front national c'est l'original, l'UMP c'est le caméléon. Notre communauté est la deuxième communauté de France. Elle a une histoire très importante dans ce pays, elle a construit la France, l'a enrichie et a le droit à la parole qui est le même pour tout le monde. Il y a aujourd'hui des débats dans toute la France.